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Sémantique et société médiévale. Le verbe adouber et son évolution au XIIe siècle

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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L'étude des notions passe par celle des mots utilisés pour les exprimer. Cet aphorisme, tellement évident qu'il fait figure de truisme, fut parfois négligé par les historiens des idées. L'élan nouveau imprimé depuis plusieurs années à l'histoire des mentalités a mis l'accent sur l'intérêt des recherches historiques de vocabulaire. L'examen des vocables désignant des groupes sociaux, des notions, concepts ou systèmes de valeurs revêt pour l'historien une importance d'autant plus grande qu'il risque toujours, s'il s'en dispense, de transporter dans le passé qu'il scrute des conceptions plus modernes, commettant ainsi le redoutable anachronisme.

C'est ce qui est arrivé, nous semble-t-il, pour la notion de chevalerie. On a trop longtemps, à la suite de travaux pourtant fort décriés, attribué aux mots chevalerie et chevalier des acceptions sociales, juridiques, voire honorifiques ou culturelles qui, vraies pour le XIVe siècle ou peut-être pour le XIIIe siècle, ne peuvent être attribuées sans nuances et réserves à la chevalerie des XIe et XIIe siècles.

Summary

Summary

The quantitative analysis of the verb adouber and of its derivations in the twelfth-century French chansons de geste reveals a noticeable evolution in the meaning of these words. This is not simply a literary or linguistic evolution; it is evidence of a change in social thought pattern.

Since the appearance of these words in the French language, they have applied to mounted fighters. But at the beginning of the 12th century, their meaning was purely utilitarian or professional. In the course of the century, they took on a more ceremonial coloring. There was a tendency to use other words—armer, ferarmer, fervestir—to designate the utilitarian sense, while adouber was progressively restricted to describing the first conferring of arms on a young man entering the body of knights. Towards the end of the century, the word adouber took on an even stronger social, hierarchical, almost initiatory value. It became a word indicating "class" even "caste".

This evolution corresponds to, illustrates and confirms the transformation of knighthood itself; originally a professional group, knights tended to form a body and then a closed caste, forging an ideology, specific rites and a special language which set them apart from the rest of society.

Type
Les Domaines De l'Histoire
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1976

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References

Notes

1. En particulier Duby, G., « Histoire des mentalités», dans l'Histoire et ses méthodes, de Ch. Samaran, Paris, 1967, p. 953 Google Scholar, appelant à l'étude des vocables et de leur évolution. Dans le domaine littéraire, des études dans ce sens ont vu le jour récemment. Voir par exemple Stefenelli, A., Der Synonymenreichtum der altfranzüsischen Dichtensprache, Vienne, 1967 Google Scholar; R. L. Wagner, L'Ancien Français, Paris, 1974 ou Burgess, G. S., Contribution à l'étude du vocabulaire précourtois, Genève, 1970 Google Scholar. Ces études littéraires insistent souvent plus sur les nuances des mots et sur les synonymes que sur l'évolution des sens et sur leur signification historique. Voir aussi Hollyman, K. J., « Le développement du vocabulaire féodal en France pendant le haut Moyen Age », Étude sémantique, Genève, 1957.Google Scholar

2. Non sans excès parfois, nous pensons en particulier à l'ouvrage de L. Gautier, La chevalerie, Paris, 1884, qui a pendant si longtemps orienté les esprits. Fruit d'une immense érudition, il avait cependant trop tendance à idéaliser et systématiser les « vertus chevaleresques ». Il a été très critiqué par G. COHEN, dont l'ouvrage Histoire de la chevalerie en France au Moyen Age, Paris, 1949, répétait pourtant et amplifiait même les défauts, sans avoir la richesse et la solidité d'information de Gautier.

3. Nous nous permettrons, faute de place, de renvoyer le lecteur à un autre article dans lequel nous avons tenté de mettre en évidence les différents sens du mot chevalier ainsi que leur évolution au XIIe siècle. Flori, Cf. J., « La notion de chevalerie dans les chansons de geste du XIIe siècle. Étude historique de vocabulaire », Le Moyen Age, 1975, n° 2, pp. 211-244 et n° 3-4, pp. 407-445.Google Scholar

4. C'est ce qu'a fort bien compris par exemple Johrendt, J., Militia und milites im 11. Jhdt, Düsseldorf, 1971 Google Scholar, qui consacre plus de 30 pages (pp. 10-41) à l'étude des sens des termes miles, militia, militare ; un exemple à suivre.

5. Au mot adouber, les dictionnaires spécialisés donnent le plus souvent le sens premier de « faire chevalier», avec un sens d'investiture. Voir par exemple Tobler-Lommatzsch, , Altfranzösisches Wörterbuch, Berlin, 1925, vol. 1, col. 146-147Google Scholar : « Zum Ritter schlagen ». Les Trésors de la langue française, Paris, 1971, t. I, p. 731, donnent comme premier sens « armer quelqu'un chevalier » et par extension équiper, arranger. Voir aussi O. BLOCH et Von Wartburg, W., Dictionnaire étymologique de la langue française, Paris, 1968, 5e éd., p. 10.Google Scholar Il nous semble que le mot a plutôt subi l'évolution inverse, comme nous allons le voir.

6. Le mot est Delaruelle, d'É., « Essai sur la formation de l'idée de croisade », Bulletin de littérature ecclésiastique, t. 45, 1941, pp. 34-35.Google Scholar

7. Adouber apparaît 171 fois, dans un ensemble dépassant 80 000 vers. Voir tableau 1.

8. C'est du moins l'opinion de Köhler, E., « Quelques observations d'ordre historico-sociologique sur les rapports entre la chanson de geste et le roman courtois », dans Chanson de geste und höfischer Roman, Heidelberg, 1963, pp. 23-25.Google Scholar H. R. Jauss, Chanson de geste et roman courtois, ibid., p. 65, et Le Gentil, P., « Quelques réflexions sur les rapports de l'épopée et de l'histoire », dans Mélanges I. Franck, Saarbrucken, 1957, p. 267.Google Scholar Un historien comme L. Genicot pense même qu'elles révèlent mieux que les chroniques l'évolution des mentalités. Genicot, Cf. L., « La noblesse dans la société medieval », Le Moyen Age, 1965, pp. 553-554.Google Scholar

9. On trouvera dans le tableau 1 la liste des sources et les éditions utilisées. Nous avons tenté de suivre les orientations données par G. DUBY, dans « Histoire et Sociologie de l'Occident médiéval », Revue roumaine d'histoire, 1970, pp. 451-459.

10. Nous avons pris pour base de départ l'ordre de succession proposé par Levy, R., « Chronologie approximative de la littérature française du Moyen Age», Beihefte zur Z.R.P., 1957, pp. 9-59,Google Scholar complété et corrigé par divers travaux récents.

11. Du Cange, Glossarium…, t. I, Paris, 1840, p. 87. Voir aussi Flach, J., Les origines de l'ancienne France, t. II, Paris, 1893, p. 458 Google Scholar ss. qui insiste plus cependant sur le lien d'affection, sur le compagnonnage, que sur les liens réels de la vassalité. Voir aussi Boutruche, R., Seigneurie et féodalité, t. II, Paris, 1970, p. 179 Google Scholar ss., soulignant ces liens de compagnonnage.

12. Sur l'origine germanique du mot (de dubban) voir Brüch, J., Einfluss der Germ. Sprachen auf das Vulgärlatein, 1913, p. 37-38.Google Scholar Étymologie admise par Von Wartburg, W., Franzäsisches Etymologisches Wärterbuch, vol. 15, art. Dubban, Bâle, 1969, p. 77.Google Scholar Pour une discussion de cette étymologie, voir Meyer-Lübke, W., Romanisches etymologisches Wärterbuch, Heidelberg, 1935, p. 13.Google Scholar Voir aussi Gamillscheg, E., Etymologisches Wärterbuch der Franzäsischen Sprache, 2e éd., Heidelberg, 1969, p. 12.Google Scholar Cette étymologie fut acceptée et répandue par Bloch, M., La Société féodale, 2e éd., Paris, 1968, p. 435.Google Scholar

13. L. Gautier, op. cit., p. 270 ss. Le rite de la colée, origine de l'accolade, apparaît tardivement en Allemagne, selon W. Erben, « Schwertleite und Ritterschlage », dans Zeitschrift für historischen Waffenkunde, Bd 8, Hft. 5/6, 1918-1919, p. 147 ss. Selon Pietzner, F., Schwertleite und Ritterschlag, Heidelberg, 1934, pp. 128-136,Google Scholar le premier exemple allemand de Ritterschlag daterait de 1350. Massmann, E., Schwertleite und Ritterschlag, Hamburg, 1932, pp. 186-195,Google Scholar n'en connaît pas d'exemple avant la 2e moitié du XIVe siècle ; selon lui le rite viendrait d'Italie ou de France. On n'en connaît pas d'exemple en France avant la fin du XIIe siècle, tant pour les sources littéraires (Chrétien de Troyes) que dans les chroniques (Lambert d'Ardres).

14. M. Bloch, op. cit., p. 436.

15. Ganshof, F. L., « Qu'est-ce que la chevalerie?», Revue générale belge, 25, 1947, pp. 77-86.Google Scholar

16. Voir par exemple Leclercq, J., « La Spiritualité médiévale », dans ﹛'Histoire de la Spiritualité chrétienne, Paris, 1961, p. 339,Google Scholar faisant un large écho aux thèses de G.Cohen.

17. G. Cohen, op. cit., p. 185. Nous étudions ailleurs les descriptions d'adoubement au XIIe siècle. Ils sont rares et suivent une évolution parallèle à celle que nous analysons dans les pages qui suivent. L'exemple souvent cité de la Tapisserie de Bayeux, où certains voient Guillaume donnant la colée à Harold, nous paraît plutôt se rapporter à un don d'armes. Guillaume pose le heaume sur la tête d'Harold. Le texte commente d'ailleurs HIC ; Willelm ; Dedit ; Haroldo ; Arma. Voir sur ce point W. Erben, op. cit., p. 163 et F. Pietzner, op. cit., pp. 44-45.

18. Guilhiermoz, P., Essai sur l'origine de la noblesse en France au Moyen Age, Paris, 1902, pp. 392-400.Google Scholar

19. Rocher, D., « Chevalerie et littérature chevaleresque», Études germaniques, 1966, 2, p. 169.Google Scholar Nous étudions ailleurs l'origine et l'évolution de sens de la remise des armes conduisant à l'adoubement dans un article à paraître ; cf. J. Flori, « Pour une histoire de la chevalerie : les origines de l'adoubement chevaleresque. Étude des remises d'armes et du vocabulaire qui les exprime dans les sources latines du début du IXe au début du XIIIe siècle ». Nous y soulignons le glissement significatif de cette cérémonie d'abord liée à la prise du pouvoir chez les rois, puis chez les princes et enfin chez les châtelains et leurs milites. Elle ne prend des teintes nettement « chevaleresques » que vers la fin du XIe siècle. Le prestige croissant de la chevalerie de la fin du XIe au début du XIIIe siècle transforme peu à peu ce rite en symbole caractéristique de la chevalerie.

20. Moniage Guillaume, 3258, 3954, 6282.

21. Nous ne pensons pas, au contraire de Knudson, « La Brogne », Mélanges R. Lejeune, Gembloux, 1969, t. II, pp. 1625-1635, que brogne et haubert désignent toujours le même vêtement protecteur. Plusieurs textes littéraires sur lesquels nous reviendrons ailleurs nous paraissent établir clairement la différence existant entre ces deux pièces de l'armement.

22. Ce qui ne signifie pas que le mot adoubs disparaisse. On le trouve encore plus tard désignant les armures et vêtements. Par exemple au XIIIe siècle dans Huon de Bordeaux, 1743, 7675. Voir aussi les exemples cités, pour le XIVe siècle, par Godefroy, F., Dictionnaire de l'ancienne langue française, 1.1, Paris, 1881, p. 109 ss.Google Scholar

23. Chanson de Guillaume, 854, 3311.

24. Sur les conséquences sociales des nouvelles techniques de combat et d'armement lourd, voir White, L. Jr, Technologie médiévale et transformations sociales, trad. de l'anglais, Paris, 1969, pp. 1-25.Google Scholar Voir aussi Berbruggen, J. F., « La tactique militaire des armées de chevalier », Revue du Nord, 29, 1947, pp. 161-180CrossRefGoogle Scholar et De Krijgskunst in West-Europa in de Middeleeuwen, Brussel, 1954, pp. 97, 100, 113, 132, etc.

25. G. Duby estime qu'au XIe siècle dans la région de Mâcon la seule cuirasse coûte 100 sous, 2 à 5 fois plus que le cheval, soit le prix d'un bon manse. Il faut donc, pour s'armer en chevalier, disposer d'un revenu de plusieurs livres et de loisirs. Duby, Cf. G., La société aux XIe et XIIe siècles dans la région mâconnaise, Paris, 2e éd., 1971, p. 197.Google Scholar

26. Les chevaliers soldoiers sont mentionnés déjà dans Roland, v. 34, 133, Couronnement, v. 2356, 2273, Le Moniage Guillaume, v. 5-545, Garin, v. 7537, et surtout dans Aye d'Avignon, v. 1817, 1824, 1830, 1910, 1990, 2075, 2215, etc. Cette augmentation des références doit être mise en parallèle avec la généralisation des armées de mercenaires dans la deuxième moitié du XIIe siècle. Voir sur ce point J. Boussard, « Les mercenaires au XIIe siècle, Henri II Plantagenet et les origines de l'armée de métier », Bibl. Ec. ch., 1945-1946, pp. 189-224. Les troupes de mercenaires ne sont pas seulement composées de piétons, mais aussi de chevaliers, plus sûrs que l'ostféodal. Voir, pour la fin du XIIe siècle et le début du XIIIe, Audouin, E., « Sur l'armée royale au temps de Philippe Auguste », Le Moyen Age, 1913, pp. 16-18, 221,Google Scholar 232.

27. Voir par exemple, Raoul de Cambrai, 6395. Ceci s'oppose une nouvelle fois à l'interprétation de G. Cohen, op. cit., p. 35, selon lequel « on n'est pas le chevalier de quelqu'un ». Le nombre très élevé des occurrences du mot chevalier précédé du possessif suffirait à anéantir cette affirmation hasardeuse. Certes chevalerie et féodalité ne sont pas toujours liées : il y a des chevaliers indépendants, des chevaliers vassaux et des chevaliers domestiques. Mais, dans la plupart des cas, on est bel et bien le chevalier d'un maître ou d'un seigneur auquel on doit le service militaire par obligation vassalique, par profession de service permanent (domestique) ou temporaire (mercenaires).

28. Roland, 993, 994, 3134, 3139 ; 1793, 1797, 2997, 3000. Au total, dans toutes nos sources, s'adouber s'applique 16 fois à des Sarrasins sur les 37 occurrences du mot dans ce sens.

29. En réalité, les Sarrasins combattaient le plus souvent sans armure encore au XIIIe siècle, ce qui leur faisait dire avec mépris, selon Joinville : « Le Franc s'arme pour poour de mort », Joinville, Histoire de Saint Louis, ch. 51, éd. Nathalis de Wailly, Paris, 1867, p. 168.

30. Voir tableau 2, col. 5 et schéma 2, croquis b. La proportion des occurrences de s'adouber par rapport au nombre total d'apparition du mot dans toute l'œuvre est de 61 % dans Roland, 64 % dans le Moniage Guillaume, 35 % dans Barbastre, 15 % dans Raoul de Cambrai. Elle descend au-dessous de 10 % dans les œuvres de la fin du siècle : 7,5 96 dans Aspremont, 7% dans la Chevalerie Vivien, 5 % dans Garin.

31. Armer remplace de plus en plus adouber dans le sens de revêtir ses armes. La croissance des occurrences de ce mot est significative : il apparaît 1 fois dans Roland, 2 fois dans le Charroi, 4 fois dans Gormont et Isembart, 12 fois dans le Couronnement de Louis, 13 fois dans la Chanson de Guillaume, 38 dans le Moniage Guillaume, 57 fois dans Barbastre, plus de 50 fois dans Aspremont et dans Garin (où il voisine avec 27 occurrences de fervestir). Le record semble appartenir à Aliscans (plus de 60 occurrences) ou à Aye d'Avignon (une quarantaine d'occurrences pour 4 000 vers environ, soit 40 fois plus que dans Roland !). On ne trouve nulle part encore « armer chevalier » dans le sens honorifique.

32. Voir par exemple Guibourc « adoubant » son mari lorsqu'il part combattre les Sarrasins. Guillaume, 1497.

33. Nous avons montré ailleurs que bacheler désigne un jeune homme quel que soit son rang social ou son état professionnel. Le mot n'a pas de coloration sociale particulière. Il semble en revanche chargé de l'idéologie de jeunesse. Flori, Cf. J., « Qu'est-ce qu'un bacheler ? », Romania, t. 96, 1975, pp. 289-314.CrossRefGoogle Scholar Il est vrai cependant que les bachelers, lorsqu'ils sont chevaliers, souvent sans richesse parce que jeunes et sans terres, constituent un groupe instable prêt à l'aventure militaire, tout comme les juvenes, dont ils forment sans doute les éléments les plus ardents parce que les plus jeunes et les plus désireux de gloire. Voir par exemple dans Gui de Nanteuil les « bacheler legier qui le tornoi désirent » (v. 2328), qui s'estiment « plains de chevalerie » et capables d'exploits impossibles à d'autres (v. 2368). Sur l'instabilité des jeunes, Duby, voir G., « Au XIIe siècle, les jeunes dans la société aristocratique », Annales E.S.C., 1964, pp. 835-846.Google Scholar

34. Adouber signifie alors re-fournir, réparer, refaire. L'expression radouber dans le sens d'armer à nouveau n'existe pas, à notre connaissance, dans la littérature du XIIe siècle. On le rencontre avec le sens d'armer pour la première fois dans Aye d'Avignon, v. 2620. Il existe aussi dans le sens de réparer, remettre en place, dans le vocabulaire du jeu d'échec (adouber une pièce tombée), en termes de marine (radouber des filets) ou de médecine en Poitou (radouber un bras cassé). Soulignons que c'est là encore le sens utilitaire qui a survécu. Cf. F. Godefroy, op. cit.

35. Charroi, 650. Si notre interprétation est exacte, adouber s'applique ici tout aussi bien aux povres chevaliers, démunis et mal équipés (as roncins clops…) qu'aux bachelers et escuiers qui n'ont pas encore reçu l'équipement complet du guerrier à cheval et aspirent à le recevoir.

36. Cette boutade recouvre une réalité : dans Raoul de Cambrai, 6734 ss, Archambault promet au roi de lui fournir 20 chevaliers. Il traduit ainsi cette promesse : « je vous donrai XX destriers arrabis / et XX haubers et XX hiaumes brunis / et XX espees, et XX escus votis ».

37. Ce sont Couronnement 1646, 1650, Charroi, 25, Guillaume 1032, 1074, 2003, 2019, 2832, 2837, Moniage Guillaume, 2232.

38. L'expression a lei de chevalier ne doit pas se comprendre dans le sens restrictif, comme si le portier était adoubé « à la manière d'un chevalier » sans l'être vraiment. Ce serait donner là aumot chevalier un sens socio-juridique ou honorifique qu'il n'a pas encore, selon nous, à l'époque du Couronnement de Louis. Voir sur ce point J. Flori, « La notion de chevalerie », op. cit., pp. 8 et 39-40. L'expression a lei de chevalier se retrouve d'ailleurs dans Roland, 1143, où l'on voit d'indiscutables chevaliers bénis par Turpin, se préparer au combat : « adobez sont a lei de chevaler », dit le texte, c'est-à-dire qu'ils sont équipés comme il convient à de vrais chevaliers dignes de ce nom.

39. Ce sont Guillaume 1074, 2003, 2019, Charroi, 25, Moniage Guillaume, 2232.

40. Nous sommes loin, on le voit, de la veillée d'armes dont l'usage se répand à la fin du XIIe siècle, ou au début du XIIIe, selon Helinand De Froidmont, De bono regimine principis, Migne, P.L. 212, col. 744.

41. Nous réservons pour un autre article l'étude systématique des descriptions d'adoubement au XIIe siècle, nous bornant ici à l'étude du mot adouber lui-même.

42. Voir par exemple Garin 8630-9020, 12100-12150, Raoul de Cambrai 3735-3813 (avec apparition de l'expression « je te fais chevalier »), Aspremont 7350-7592, etc.

43. Rappelons que la plupart des dictionnaires donnent pour adouber le sens principal et premier de « faire chevalier » ou « armer chevalier ». Pour notre part, nous dirions plutôt que c'est là un sens dérivé, le sens premier étant, avant 1180, armer un chevalier. La nuance est d'importance.

44. Voir sur cette idéologie G. Duby, « Au XIIe siècle, les jeunes… », op. cit., p. 845. Mancini, M., Società feudale e ideologia nel Charroi de Nimes, Firenze, 1972, pp. 94-108,Google Scholar Köhler, E., « Troubadours et jalousie », dans Mélanges J. Frappier, t. I, Genève, 1970, pp. 543-559Google Scholar et « Sens et fonction du terme « jeunesse » dans la poésie des troubadours », dans Mélanges R. Crozet, vol. I, Poitiers, 1966, pp. 567-583, à nuancer par Flori, J., « Qu'est-ce qu'un bacheler ? », Romania, t. 96, 1975, p. 308 ss.CrossRefGoogle Scholar

45. Sur la « passion de Vivien », Frappier, cf. J., « Le caractère et la mort de Vivien dans la chanson de Guillaume », dans Colloquios de Roncesvalles, Zaragoza, 1956, pp. 229-247.Google Scholar Levysilver, B., « The death of Vivien in la chançon de Willame », Neuphilologische Mitteilungen, 11, 1970, pp. 306-311,Google Scholar et Payen, J. Ch., Le motif de repentir dans la littérature française des origines à 1230, Genève, 1968, pp. 142-143.Google Scholar

46. Cet exemple illustre peut-être un droit à l'épée que l'on réserve aux « chevaliers adoubés » dans la 2e moitié du XIIe siècle. Bloch, M., La Société féodale, 2e éd., Paris 1968, p. 404,Google Scholar rappelle que jusqu'à cette époque il n'y a pas d'interdiction du port d'armes pour les classes inférieures. Le noble n'est pas le seul armé. La littérature, on le voit, reflète bien ici encore l'évolution des mœurs. Sur le port de l'épée, réservé aux chevaliers adoubés, voir aussi Aspremont, 5548, où l'on voit Roland se porter au secours de Charlemagne, avec un équipement qu'il se procure en cours de route sur l'ennemi : il trouve successivement cheval, heaume et haubert, mais n'ose prendre une épée « car il n'ert mie encore chevalier ».

47. C'est du moins ce dont se vantent les chevaliers, opposant la rudesse de leur métier au loisir des clercs. Mais si l'on en croit ces derniers, la chevalerie de la fin du XIIe siècle passait plus de temps dans les festins qu'aux exercices militaires. La fonction est devenue en partie un privilège. Cf. Pierre De Blois, Lettre à l'Archidiacre, Migne, P.L. 207, col. 295, ou Salisbury, Jean De, Policraticus, lib. VI, C. 4, 11, 14, éd. Webb, Berlin, 1909.Google Scholar

48. Gui de Nanteuil, 140. Ceci rejoint Duby, G., La société…, op. cit., Paris, 1953, p. 418,Google Scholar remarquant qu'au cours du XIIe siècle l'adoubement est devenu une formalité automatique consacrant la majorité du noble. Vers la fin du siècle, on tend au contraire à retarder de plus en plus l'adoubement. Duby, Cf. G., Le Dimanche de Bouvines, Paris, 1973, p. 27.Google Scholar Voir aussi P. Guilhiermoz, op. cit., p. 469. Selon Genicot, L., « Noblesse, ministérialité et chevalerie en Guelbre et en Zutphen », Le Moyen Age, 1965, p. 114,Google Scholar l'adoubement est devenu au XIVe siècle un couronnement de carrière. Selon nous, la fréquence des mentions de jeunes gens adoubés dans les chansons de geste postérieures à 1180 s'explique par le fait que dans la réalité on commence précisément à retarder les adoubements. Comme le faisaient les troubadours à propos de la courtoisie, les jongleurs ont ainsi présenté aux jeunes aristocrates une image du monde rêvée, idéalisée, propre à les satisfaire et à s'attirer leurs faveurs. Ils partagent d'ailleurs souvent leur idéologie. Cf. E. Köhler, L'aventure chevaleresque, Paris, 1973, Observations historiques et sociologiques sur la poésie des troubadours, CCM, VII, 1964, pp. 27-51, et « Troubadours et jalousie », dans Mélanges J. Frappier, 1.1, Paris, 1970, pp. 543-559.

49. Le port de l'épée et de certaines fourrures (vair et gris) semble réservé aux « chevaliers adoubés » après 1180, ce qui souligne encore l'impression d'une formation d'une classe socio-juridique, de caste privilégiée. Cf. Garin 9141, 9445, 9462, 11176, 12105, où « donner le vair et le gris » paraît être synonyme de « faire chevalier ». Voir aussi Gui de Nanteuil, 2305 ss.

50. C'est du moins l'opinion de L. Gautier, op. cit., p. 256 et de G. Cohen, op. cit., pp. 38-39, qui suppose, doublement à tort selon nous, que la chevalerie était un « ordre égalitaire ». Voir aussi les remarques de M. Bloch, op. cit., p. 437 ss, p. 448. Sur la tendance de la chevalerie à se fermer en noblesse, chevalier devenant un titre, voir par exemple Duby, G., « Structures de parenté et noblesse », dans Mélanges Niermeyer, Groningen, 1967, p. 159.Google Scholar Une enquête à poursuivre, la noblesse dans la France médiévale, R.H. 1961, pp. 1-22 ; « Lignage, noblesse et chevalerie », Annales E.S.C. 1972, pp. 803-823. L. Genicot, L'économie rurale namuroise au bas Moyen Age, II, Les hommes, la noblesse, Louvain, 1960, pp. 81, 83, 119, 121 etc. Voir aussi la note 52.

51. Voir par exemple Raoul de Cambrai, 3055, 3135, Huon de Bordeaux, 9493, etc. d'où il ressort que l'adoubé est par là même l'homme lige de l'adoubeur, peut-être parce qu'à cette époque l'adoubement s'accompagne presque toujours, dans nos sources du moins, de la concession d'un fief (terre, charge ou rente).

52. Les dates de cette fusion varient de fin XIe siècle à fin XIIIe siècle selon les régions et les auteurs. Ainsi G. Van Luyn, « Les Milites du XIe siècle », Le Moyen Age, 1971, 1-2, pp. 193-198, penche pour la fin du XIe tandis que J. Bumke, Studien zum Ritterbegriffim 12. und 13. Jhdt, incline pour le XIIIe siècle, ainsi que Van Winter, J. M., Rittertum. Ideal und Wirklichkeit, Bussum, 1969, p. 87 Google Scholar ss et « A propos de l'article de Genicot, M.… », Le Moyen Age, 1966, pp. 279-289.Google Scholar Selon Duby, G. cette fermeture aurait eu lieu fin XIe ou début XIIe siècle, dans la région mâconnaise (La société…, op. cit., Paris, 1953, p. 396 Google Scholar et p. 410) et au cours du XIIe siècle dans les régions du Nord et de l'Ouest. Cf. « Structures de parenté et noblesse… », op. cit., pp. 149-165. C'est aussi l'opinion de Fasoli, G., « Lineamente di una storia della cavalleria », dans Studi… E. Rotta, Roma, 1958, pp. 83-93,Google Scholar et P. Bonenfant et Despy, G., « La noblesse en Brabant aux XIIe et XIIIe siècles », Le Moyen Age, 1958, pp. 27-66.Google Scholar Voir aussi Genicot, L., « La noblesse au Moyen Age dans l'ancienne Francie », Annales E.S.C, 1962, pp. 1-22.Google Scholar

53. Cf. Aspremont, 7760, 9657, etc. cette façon de « rêver » la promotion sociale est à mettre en parallèle avec l'habitude qu'ont les chroniqueurs ou généalogistes des grandes familles de placer à l'origine de leurs « dynasties » un fondateur aventurier de petit lignage ne devant son ascension sociale qu'à la valeur de son bras ou à sa vertu. Voir les remarques de Duby, G., « Structures familiales aristocratiques en France du XIe siècle, en rapport avec les structures de l'État », dans L'Europe aux IXe-XIesiècles, Varsovie, 1968, p. 59.Google Scholar Devailly, G., Le Berry du Xesiècle au milieu du XIIIe , Paris, 1973, pp. 323,Google Scholar 520, 528, montre aussi des cas d'ascension sociale de quelques familles par la chevalerie.

54. Remarquons que dans nos textes l'âge le plus souvent cité pour l'adoubement des bachelers est de 14 ans environ. On peut rapprocher cet âge de celui que l'Église exigeait pour tout acte engageant l'avenir : vœux, mariage, entrée en religion, etc. Cf. G. Le Bras, Institutions ecclésiastiques de la chrétienté médiévale, Paris, 1959, p. 137.

55. Voir note 48. Nous étudions ailleurs, dans les sources liturgiques du IXe au XIVe siècle, l'évolution de la cérémonie de remise des armes conduisant à l'adoubement complet du ms. Cologne 141 (Ordo ad armandum…) de la fin du XIe siècle et surtout à l 'ordo d'adoubement de Guillaume Durand, à l'extrême fin du XIIIe siècle. Voir J. Flori, « Remise des armes et vocabulaire 'chevaleresque’ dans les pontificaux et les rituels du IXe siècle au début du XIVe siècle », à paraître prochainement.

56. On retrouve cette tendance chez Chrétien De Troyes, du moins dans Perceval, où le jeune vallet désireux de devenir chevalier dit à sa mère : « Molt m'en iroie volentiers Au roi qui fait les chevaliers » (v. 493) Le Roman de Perceval, éd. W. Roach, Genève, 1956. Voir cependant les v. 1620-1700 montrant que le roi n'est pas seul à pouvoir faire des chevaliers.

57. Sur le vocabulaire témoin des mentalités, voir Jones, G. F., The Ethos of the Song of Roland, John Hopkins Press, 1963 Google Scholar ; M. Gildea, Expression of Religious Thought and Feeling in the chansons de geste, Washington, 1943. Manduech, G., « La ‘bonne ville', origine et sens de l'expression », Annales E.S.C, 1972, pp. 1441-1448Google Scholar ; Hollyman, K. J., Le développement du voca-bulaire féodal en France pendant le haut Moyen Age, Genève, 1957,Google Scholar et son compte rendu par G. Duby dans Annales E.S.C., 1958, p. 767.

58. Deux chiffres significatifs. Roland, comme Aspremont, emploient 13 fois le mot adouber : Roland l'emploie toujours dans le sens utilitaire, Aspremont une fois sur deux dans le sens promotionnel. Armer se rencontre une seule fois dans Roland, avec un sens utilitaire. Un siècle plus tard, Aspremont, emploie ce verbe plus de 50 fois. Il a un sens utilitaire 47 fois et se colore trois fois du sens honorifique « faire chevalier ».

59. Elle n'apparaît pas dans le groupe A. On la rencontre dans le groupe B une dizaine de fois, souvent jumelée avec adouber : voir par exemple Garin 3787, 11108, 11176, Raoul de Cambrai 1124, Aspremont 2401, etc. De même l'expression « novel adoubé » qui n'apparaît que dans le Charroi (groupe A) se généralise dans le groupe B ; cf. par exemple Barbastre, 49, 2378, 3503, 4551, Aliscans, 5989, Raoul de Cambrai, 4974, 5163, 7700, Chevalerie Vivien 121, Garin, 1394, etc. Voir aussi, chez Chrétien De Troyes, Lancelot, 2248, Cligès, 4620, Perceval, 465, 468.

60. Il ne disparaît pas totalement de l'usage : on le retrouve au XIIIe siècle dans Huon de Bordeaux, 1743, 7675, Les Enfances Ogier, 2112, Gaydon 129, 130, etc. Peut-être est-on là à une époque où la teinte cérémonielle et honorifique du mot adouber est désormais assez forte pour que l'emploi du mot dans un sens plus banal ne vienne plus l'altérer. Cette remarque vaut aussi pour les objets adoubés, ou l'expression s'adouber, fréquente par exemple dans Huon de Bordeaux, 1600, 1605, 4141, 4378, 7586, 8361.

61. Voir les chiffres cités aux notes 31 et 57.

62. Rappelons que l'ordre de nos sources, celui que l'on admet généralement, est établi sur des bases linguistiques et littéraires principalement, ce qui rend d'autant plus solides les concordances frappantes que manifestent les tableaux 2 et 3 entre l'époque des groupes et leurs caractères propres. La coupure semble s'établir aux alentours de 1180, le Moniage Guillaume présentent à bien des égards des « caractères intermédiaires ». Or on le date de 1170 à 1190. Cf. J. Frappier, op. cit., et De Riquer, M., Les chansons de geste françaises, 2e éd., Paris, 1957, p. 159.Google Scholar Les années 1180 sont par ailleurs témoins d'un changement profond dans l'économie et la société. Duby, Cf. G., Guerriers et paysans. VIIe-XIIesiècle, Paris, 1973, pp. 298-299.Google Scholar Voir déjà La société…, op. cit., pp. 470 ss. Sur le plan politique, voir G. Devailly, op. cit., pp. 382-413. Sur le plan des mentalités, à l'égard des pauvres par exemple, Mollat, cf. M., « La notion de pauvreté au Moyen Age, position du problème », Revue d'Histoire de l'Église de France, 1966, pp. 5-23.CrossRefGoogle Scholar Peut-être ces années sont-elles plus marquantes encore que les années 1140, choisies depuis M. Bloch pour séparer les deux âges féodaux. Cf. M. Bloch, op. cit., p. Ail.

63. Nous étudions actuellement ces textes et en trouvons fort peu antérieurement au XIIIe siècle. G. Duby n'en trouve aucun dans le Maçonnais, au XIIe siècle, op. cit., p. 418, G. Devailly n'en trouve pas non plus en Berry, op. cit., p. 190, ce qui ne l'empêche pas d'admettre cette cérémonie comme certaine dès le milieu du XIe siècle.

64. Dans nos sources c'est une femme qui adoube les chevaliers dans plus de 10 % des cas. L. Gautier, op. cit., en mentionne d'autres exemples. Ce fait embarrasse quelque peu H. A. Smith, « La femme dans les chansons de geste », Colorado Collège Studies, 1903, p. 38, qui pense qu'il ne s'agit pas d'adoubement tel que nous sommes habitués à le considérer, c'est-à-dire l'adoubement promotion honorifique et collation d'un titre. L'histoire connaît d'ailleurs des femmes faisant des chevaliers : voir par exemple Guibert De Nogent, De Vita sua, I, 6, éd. G. Bourgin, p. 18 ; Orderic Vital, Histoire ecclésiastique, XI, éd. Le Prévost, p. 245 ; Hariulf, Vita Sancti Arnulfi, Migne, P.L. 174, col. 1392.

65. Sur la constitution d'une idéologie et même d'une mystique chevaleresque en réaction d'auto-défense, voir surtout E. Köhler, L'aventure chevaleresque, Paris, 1973, pp. 135-142 et Frappier, J., « Le Graal et la chevalerie», Romania, 75, 1956, pp. 165-210.CrossRefGoogle Scholar

66. Des sondages faits dans le groupe des romans de Chrétien de Troyes nous montrent que, chez lui, le sens cérémoniel, honorifique, promotionnel est prépondérant. C'est ainsi que dans Cliges (selon le glossaire de P. W. Foerster, Halle, 1910) on rencontre le mot adouber 2 fois, toutes deux avec ce sens promotionnel. Dans Perceval, nous avons fait le relevé exhaustif qui revèle 5 occurrences du mot : l'une avec le sens « utilitaire » et 4 avec le sens promotionnel et honorifique. Voir Perceval (éd. M. Roques, Paris, 1958), v. 102, 290, 465, 468, 7602. « Faire chevalier » apparaît 7 fois. Voir J. Flori, « L'adoubement et le vocabulaire chevaleresque dans les romans de Chrétien de Troyes ».

67. On ne peut parler de perte de faveur de l'épopée au XIIIe siècle, comme l'a bien montré D. Poiron, « Chanson de geste ou épopée ? », Travaux de linguistique et de littérature, X, 2, 1972, pp. 7-20.

68. En 1970, G. Duby incitait les historiens à étudier de manière statistique des ensembles denses et cohérents dans les sources narratives ou littéraires, afin de déceler l'évolution des mentalités sociales. Cf. G. Duby, « Histoire et sociologie de l'Occident médiéval », op. cit., p. 454. Nous espérons avoir montré par l'étude statistique du mot adouber que cette suggestion était fructueuse.