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La vie politique romaine des derniers siècles de la République s'explique-t-elle par l'opposition de deux oligarchies aux intérêts économiques irréductibles, dont chacune s'incarnerait dans l'un des deux grands ordres (l'oligarchie foncière dans l'ordre senatorial, l'oligarchie financière et commerciale, cette « middle class of businessmen » chère à H. Hill, dans l'ordre équestre) ? Non. L'ordre équestre n'est pas une classe d'hommes d'affaires. La plupart de ses membres, comme les sénateurs, sont de grands propriétaires fonciers. Les livres de C. Nicolet ont beaucoup contribué à imposer cette idée, également défendue par E. Badian et P. A. Brunt. Elle est désormais admise de presque tous les historiens. Y. Thébert en prend acte, sans chercher à la remettre en question. Je pense, comme lui, qu'elle a fait progresser notre conception de la vie politique et sociale romaine, et mérite d'être définitivement retenue.
Summary
"Did the politically influential milieux in late-Republican Rome belong to a single social class ?" Replying to this question in the negative, Y. Thébert distinguishes a class of businessmen standing in opposition to the landowners (neither of which could be closely assimilated to the senatorial milieux or the equestrian order). But it is impossible to define social classes on the basis of the dividing Unes between the main sectors of the economy, and it would be more fruitful to view all the different Roman oligarchies as forming a single class—although this scarcely facilitates study of the way in which the different economie interests influenced of the State policy.
- Type
- La Société Romaine
- Information
- Copyright
- Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1980
References
1. Voir cependant ce qu'écrit E. Gabba dans le présent fascicule, p. 943.
2. Poulantzas, N., Pouvoir politique et classes sociales, Paris, François Maspero, 1970 (surtout les pp. 57-103).Google Scholar
3. « Les produits de la terre, c'est-à-dire tout ce que l'on retire de sa surface par les efforts combinés du travail, des machines et des capitaux, se partagent entre les trois classes suivantes de la communauté, savoir : les propriétaires fonciers — les possesseurs des fonds ou des capitaux nécessaires pour la culture de la terre — les travailleurs qui la cultivent. Chacune de ces classes aura cependant, selon l'état de la civilisation, une part très différente du produit total de la terre sous le nom de rente, de profits du capital et de salaires… » (Des principes de l'économiepolitique et de l'impôt,trad. P. Constancio et A. Fonteyraud, Paris, Flammarion, 1971, p. 19). Dans ce cadre, la notion de « capital foncier », qu'utilise Thébert à propos des propriétaires fonciers romains, me paraît étrange, et ne contribue pas à clarifier le débat.
4. Tite-Live, 21,63, 3-4. Prenant à la lettre le texte de Tite-Live, j'interprète les clauses de la lex Claudiade façon plus restrictive que C. Nicolet. Selon lui, elle interdisait aux sénateurs toute forme d'activité ayant pour but le profit, et les empêchait de vendre les produits de leurs terres au-delà d'une quantité de 300 amphores ; voir Nicolet, C., L'ordre équestre à l'époque républicaine, t. 1, Paris, 1966, p. 373 Google Scholar ; id.,« Les classes dirigeantes romaines sous la République : ordre sénatorial et ordre équestre », dans Annales Esc,n°4, 1977, p. 746.
5. D'Escurac, H. Pavis, « Aristocratie sénatoriale et profits commerciaux », Ktèma, 2, 1977, pp. 339–355, p. 343.Google Scholar
6. Cicéron fait allusion à la lex Claudiadans 2 Verr.5, 45-46. Ce qu'il en dit me semble indiquer qu'elle n'était plus guère appliquée au début du icr siècle av. J.-C. (pour une conclusion contraire, voir H. Pavis d'Escurac, « Aristocratie sénatoriale et profits commerciaux », pp. 340- 341). Mais en 59 av. J.-C, César en reprit les clauses dans sa lex repetundarum.A l'époque augusteenne et aux deux premiers siècles de notre ère, les nombreux textes qui font allusion à la composition des patrimoines de sénateurs et de chevaliers ne parlent jamais de navires, alors qu'il y est souvent question de prêts à intérêt et d'immeubles de location. Mais comme l'a bien vu H. Pavis d'Escurac (ibid.,p. 344 et ss), les sénateurs, pour participer à certains profits commerciaux, n'avaient pas besoin de posséder des navires.
7. Rougé, J., Recherches sur l'organisation du commerce maritime en Méditerranée sous l'Empire romain, Paris, Sevpen, 1966, pp. 279 et 288.Google Scholar
8. CIL,X, 1797.
9. Désirant consacrer de prochains articles aux problèmes posés par le mot negotiator,je n'en parle pas davantage ici. A mon avis, Thébert a raison d'écrire que tous les negotiatoresd'époque républicaine n'étaient pas des manieurs d'argent. Il ne s'ensuit pas pour autant que chaque negotiatorait été à la fois un commerçant, un usurier, un financier et un propriétaire foncier. Certains negotiatorespouvaient être des banquiers ou des financiers, d'autres des commerçants, d'autres même des propriétaires fonciers.
10. Nicolet, C.. L'ordre équestre à l'époque républicaine : I. Shatzman, Sénatorial wealth and Roman politics, Bruxelles, coll. Latomus, 1975.Google Scholar
11. « S'il y a une différence d'échelle entre les patrimoines fonciers des ‘princes’ que nous avons cités et ceux de la majorité des sénateurs et des chevaliers, il n'y a entre eux aucune différence de nature. Tous sont d'abord et fondamentalement des propriétaires ruraux, possesseurs de domaines de rapport dont ils touchent les rentes… Constater ce fait ne suffit pas : l'intéressant, c'est de savoir comment s'est constituée cette ‘classe’ (le mot est cette fois pertinent) de propriétaires vivant du revenu de leurs terres » (C. Nicolet, « Les classes dirigeantes romaines sous la République », p. 744). Dans cet article, Nicolet parle aussi de l'ordre sénatorial comme d'une « classe » héréditaire, et il écrit qu'une « classe » de juges commence à se dégager, parmi les chevaliers, après l'époque des Gracques (pp. 731 et 735) ; mais dans ces pages, il prend le mot « classe » en un sens très large, « non pertinent », synonyme de catégorie, de groupe à tendance héréditaire. Toutes ces catégories font partie de la véritable classe sociale que constituent les propriétaires vivant du revenu de leurs terres.
12. « Décurions, chevaliers et sénateurs, en dépit des différences de rang, forment une même classe ; s'il existe une ligne de clivage, elle passe au-dessous d'eux », écrivait Veyne, P. dans « La table des Ligures Bébiens et l'institution alimentaire de Trajan », Mefr, 70, 1958, pp. 177–241 Google Scholar, p. 215.
13. C. Nicolet. « Les classes dirigeantes romaines sous la République », pp. 744-745.
14. C. Nicolet. ibid.,pp. 734-736 et 738-739.
15. Macrobe, Saturnales,3, 7, 10.
16. D. Dessert et J.-L. Journet, « Le lobby Colbert : un royaume, ou une affaire de famille ? », Annales ESC,n° 6, 1975, pp. 1 303-1 336, p. 1 326.
17. Voir ce que j'écrivais à ce propos dans « Une anthropologie politique de Rome : servitude et grandeur politiques dans la Rome républicaine », Annales ESC,n° 4, 1977, pp. 756-763.
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- Cited by