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Les Grecs égyptologues

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

François Hartog*
Affiliation:
Université de Metz

Extract

τóδε κατ' ήμαρ ὅτῳ βίօτօς εὐδαίμων, μακαρίζω

Pour Jean-Pierre Vernant

Jamais l'Egypte, connue des Grecs à l'époque mycénienne déjà, avec laquelle ils ont entretenu, au cours des siècles, des relations tout à fait effectives, avant de s'y installer en maîtres avec les Lagides, ne les a laissés indifférents. Il s'agit ici, non de faire l'histoire de ces rapports, mais uniquement d'esquisser celle des visions grecques de l'Egypte, qui d'Homère aux néo-platoniciens, du VIIIe siècle avant J.-C. au IIIe après, vont se construisant et se modifiant ; de marquer quelques moments où se forment et se transforment les regards portés sur cet étrange pays, en se plaçant non du point de vue de leur degré de réalité ou de véracité, mais de celui des logiques qui, à l'intérieur même de la culture grecque, les organisent et leur donnent sens ; ou comment un même thème transmis et repris, l'importance du religieux, par exemple, massivement souligné d'Hérodote à Porphyre, voit en fait sa portée changer dans une culture grecque qui, elle-même, se transforme très profondément.

Summary

Summary

Egypt, that ancient land with a faultless memory in which the first relations between men and the gods developed, always interested and even fascinated the Greeks. We will discuss here certain Greeks’ views of this strange country, from Herodotus to Porphyry, taking up Plato and Diodorus along the way. Our concern will not be to measure their accuracy but rather to relate them to the logic—working within Greek culture and leading the Greeks to scrutinize themselves on numerous occasions—which underlies them and accounts for their meaning. The Greek Egyptologists will thus be considered on the basis of the shifts in their discourse about “the other” over a long period of time.

Type
L'Identité De L'Autre
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1986

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References

Notes

1. Même si Plutarque (mais sept siècles après), en rapprochant les préceptes pythagoriciens, énigmatiques au premier abord, des textes hiéroglyphiques (De Iside 354 E), accrédite l'idée qu'il s'agit d'un langage symbolique, que Pythagore s'est justement efforcé d'imiter et de transposer, à l'aide d'aphorismes, dans un monde grec où prédomine l'oralité. Alors que Plotin (originaire de Lycopolis en Egypte) verra en chaque hiéroglyphe, mettant « la chose sous les yeux d'une manière synthétique, sans conception discursive ni analyse », l'expression d'une « espèce de science et de sagesse » (Ennéades, V, VIII, 6).

2. Pour toute cette première partie, voir Froidefond, Ch., Le mirage égyptien dans la littérature grecque d'Homère à Aristote, Thèse, Paris, 1971.Google Scholar

3. Hartog, F., Le miroir d'Hérodote. Essai sur la représentation de l'autre, Paris, Gallimard, 1980 Google Scholar, et id., Hérodote. Histoires, Paris, La Découverte, 1980, pp. 5-21.

4. Selon P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, s.v. theos, l'étymologie est inconnue.

5. On peut relever que pas un instant Hérodote n'envisage la question de la traduction (ou même la traduction comme question). N'apparaît pas non plus la distinction, mise en oeuvre par Plutarque, par exemple, dans le De Iside entre le « nom » (onomd) et la puissance (dunamis) d'une divinité.

6. Détienne, M. et Vernant, J.-P., La cuisine du sacrifice, Paris, Gallimard, 1979, pp. 37 132.Google Scholar

7. Apollodore II, 5, 11. Un drame satirique d'Euripide portait ce titre. Surtout existe tout un dossier iconographique. Voir Durand, J.-L., Lissarague, F., « Héros cru ou hôte cuit », Actes du colloque de Rouen, Rouen, 1983, pp. 153167.Google Scholar

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9. Sur Dionysos, comme incarnation de la figure de l'Autre, voir Vernant, J.-P., « Le Dionysos masqué des Bacchantes d'Euripide », L'Homme, 93, 1985, XXV (1), p. 38.Google Scholar

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11. Avec Cicéron et Diodore, voir Riginos, A. S., Platonica, Leyde, Brill, 1976, pp. 6465.Google Scholar

12. Vidal-naquet, P., Le chasseur noir, Paris, Maspero, 1981, « Athènes et l'Atlantide », pp. 335360.Google Scholar

13. Phèdre, 274c-275d. Timée, 21c-24c. Sur ce point, voir l'article de Joly, H. (que je suis), « Platon égyptologue », Revue philosophique, 2, 1982, pp. 255266.Google Scholar Gwyn-griffiths, J., dans un article récent, « Atlantis and Egypt », Historia, XXIV, 1985, pp. 328 Google Scholar, s'efforce de démontrer que l'Egypte platonicienne renvoie à des étymologies égyptiennes et à un arrière-plan égyptien.

14. Toutefois les encyclopédies y retrouvent le nom de Ammon (R.E. Pauly, Wissowa, s.v. Ammon et Lexikon Roscher, s.v. Thamus).

15. Vernant, J.-P., Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, Maspero, 1971, « Le travail et la pensée technique », pp. 1643.Google Scholar

16. Sur tout ce texte, et particulièrement sur l'ambiguïté constitutive du mot que la traduction par « remède » ou par « poison » manque, en la supprimant, voir Derrida, J., La Dissémination, Paris, Éditions du Seuil, 1972, pp. 108120.Google Scholar

17. « En égyptien (Aiguptistî) son nom est Neith, mais, en grec, à ce qu'ils disent, c'est Athéna (Hellênisti) ». L'histoire se transmet des prêtres de Sais à Critias le jeune, en passant par le relais de Solon et de Critias le vieux.

18. Ainsi ce que racontent les Grecs sur Phaéton, le fils du soleil, est un mythe, « mais la vérité, c'est qu'une alternance des choses qui vont autour de la terre dans le ciel se produit à de longs intervalles et qu'il en résulte pour les choses qui sont sur la terre une destruction par le feu » (trad. L. Brisson, Platon, les mots et les mythes, Paris, Maspero, 1982, p. 138). Voir aussi Détienne, M., L'invention de la mythologie, Paris, Gallimard, 1981, pp. 163166.Google Scholar

19. Joly, op. cit., p. 261.

20. Le thème revient souvent au rve siècle (cf. Isocrate, Busiris, 15 par exemple). Hérodote parlait déjà d'une division en classes, mais il en comptait sept (2, 164).

21. Isocrate, Panégyrique, 50.

22. F. Gr. Hist., 264 F. 1-14 Jacoby. Pour Jacoby, Hécatée (entre Alexandre et Ptolémée fils de Lagos) a écrit des Aiguptiaka, qui devaient se présenter comme un roman philosophique ou une utopie ethnographique — voir Burton, A., Diodorus Siculus, I, A Commentary, Leyde, 1971.Google Scholar En fait, rien ne le prouve. Dans les quelques citations que l'on possède, il est associé à Manéthon, son contemporain à propos du sens du nom du dieu Amon, de la façon qu'ont les rois de boire du vin, des principes de la philosophie égyptienne (dans le prologue de Diogène Laerce).

23. Hartog, F., « Le passé revisité. Trois regards grecs sur la civilisation », dans Le temps de la réflexion, IV, 1983, pp. 168173.Google Scholar

24. F. Gr. Hist. 70 F 42 Jacoby.

25. F. 49, F. Wehrli (Porphyre, De l'Abstinence, iv, 228-231 Nauck).

26. Porphyre, De l'Abstinence, II, 5, 1.

27. Porphyre, Vie de Pythagore, 7-8.

28. Étant entendu que l'ethnographie d'Hérodote ne se réduit pas à la manipulation de cette seule figure.

29. Outre Isocrate, les biographies d'Aristoxène et de Timée font une place à l'épisode égyptien.

30. F. Gr. Hist. 609 Jakoby.

31. La vague parenté, notée par Platon (Timée, 21e), est devenue rapport de descendance (I, 28, 6).

32. Momigliano, A., Sagesses barbares, Paris, Maspero, 1979.Google Scholar

33. Selon les Égyptiens, Héphaistos était le fils du Nil et avec lui commença la philosophie. Le résumé de la philosophie égyptienne (I, 10-12) est rapporté à Manéthon et à Hécatée.

34. Zoroastre, dont on calcule les dates (6000 ans avant Xerxès), voit croître, avec le nombre d'ouvrages qu'on lui attribue, sa notoriété à partir du rve siècle.

35. Sur la perception de l'Egypte, on pourrait interroger ici une autre documentation, que je me contenterai de signaler : les inscriptions grecques et latines laissées par les voyageurs, officiels ou privés, touristes ou pèlerins, sur différents monuments : celles du temple de Hatshepsout (A. Bataille), celles des tombeaux des rois ou syringes (J. Baillet) et surtout celles du colosse de Memnon (A. et E. Bernand) — auquel on rendait un véritable culte — ont le plus souvent une dimension religieuse. Ainsi sur les tombeaux des rois, les visiteurs inscrivent leur admiration, leur adoration et les souhaits qu'ils formulent pour eux-mêmes et pour les leurs. On pourrait rappeler aussi l'épisode de « la pluie miraculeuse », rapporté par Dion Cassius : un certain Harnouphis, mage égyptien de l'entourage de Marc-Aurèle, appela des divinités par art magique, notamment Hermès Aèrios et, par leur entremise, il provoqua une pluie, qui, au cours de la campagne danubienne, sauva l'armée ; J. Guey, « Encore la pluie miraculeuse », Revue de Philologie, 1948, pp. 16-62.

36. Voir la liste donnée par Festugiere, , La révélation d'Hermès Trismégiste, Paris, 1944, I, p. 86.Google Scholar

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40. Porfirio Lettera ad Anebo, A. R. Sodano éd., 2, 10 (Bidez pour la traduction de ce passage).

41. Théophraste, le successeur d'Aristote à la tête de l'École, auteur, parmi beaucoup d'autres livres, d'un traité Sur la piété, où il remet en cause la religion traditionnelle, que nous connaissons précisément par les longues citations qu'en donne Porphyre. Sur le livre II, De l'Abstinence, voir Bouffartigue, J., Porphyre, Notice au livre II, C.U.F., Paris, 1979, pp. 371.Google Scholar

42. Pourtant en II, 55, 2 est évoqué, avec Manéthon, un temps, auquel mit fin le pharaon Amosis, où existaient des sacrifices humains ; il y substitua des statuettes de cire. Voir Yoyotte, J., « Héra d'Héliopolis et le sacrifice humain », Annuaire E.P.H.E., 5e section, LXXXIX, 1980-1981, pp. 31102.Google Scholar

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