Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
L'histoire morphologique des villes a longtemps été réduite à celle de l'urbanisme planificateur. Cette préférence pour l'histoire de l'urbanisme allait de pair avec l'ambition de ceux qui, à la même époque, tentaient de maîtriser l'évolution urbaine en construisant la ville à venir, souvent au détriment de la ville préexistante. Or depuis une vingtaine d'années, les grandes opérations de rénovation deviennent de plus en plus rares, au point que ville future et ville passée sont de moins en moins opposées dans la pensée urbanistique. Aujourd'hui l'effort instrumental et intellectuel est plutôt porté à définir un projet urbain capable de composer avec ce qui le précède. De ce fait, la ville ancienne, jadis objet d'intérêt purement pittoresque, devient le thème d'études opérationnelles qui ne s'intéressent plus uniquement aux monuments ou aux quartiers prestigieux, mais qui cherchent à comprendre également le tissu urbain banal, objet de la plupart des interventions courantes.
This study of the great reorganizations is related to an attempt to go beyond the traditional distinction between urban history and the history of spontaneous urban development. It examines how the interests, ideas and means of the actors “from above” and “from below” combine in the production of urban forms. The examination of urban reorganization in Montpellier, Nantes, Rouen and Toulouse demonstrates the important role played by small proprietors when compared with that of the prefects, mayors, engineers, architects, etc. The interaction between all of these elements led to the creation of wide boulevards which were less monolithic than is commonly thought. A close reading of these reorganizations allows us to see and understand the morphological subtleties which resulted from the introduction of these new urban forms into the former urban fabric.
* Cet article est issu d'une thèse de Troisième cycle préparée sous la direction de Marcel Roncayolo et soutenue à l'EHESS (juin 1986) et d'une série de recherches (” Patchwork urbain ») menées au sein du Bureau de Recherche Architecturale du ministère de l'Équipement et du Logement.
1. Mentionnons à titre indicatif, Aymonino, C., Lo studio deifenomeni urbani, Rome, 1977 Google Scholar ; Benevolo, L., History of Modem Architecture, Cambridge (Mass.), 1977 Google Scholar ; Castex, J., Depaule, J. -Ch., Panerai, Ph., Formes urbaines : de l'îlot à la barre, Paris, 1977 Google Scholar ; Lavedan, P., Histoire de l'urbanisme à Paris, Paris, 1975 Google Scholar ; Rouleau, B., Le tracé des rues de Paris, Paris, 1975 Google Scholar ; Saaluan, H., Haussmann, Paris Transformed, New York, 1971 Google Scholar ; Sica, P., Storia dell'urbanistica : l'ottocento, Rome, 1977.Google Scholar
2. Il est évident que Halbwachs occupe une place à part à cet égard.
3. Lacave, M., « Stratégies d'expropriation et haussmannisation : l'exemple de Montpellier », Annales ESC, 1980, n° 5, pp. 1 Google Scholar 011-1 025.
4. Morin, C., De l'alignement ou régime des propriétés privées bordant le domaine public, Paris, 1888, p. 260.Google Scholar
5. Si le nombre de carrosses présents à Paris reste très restreint pendant le XVIe siècle (on en compte seulement trois en 1550), il augmente dans une telle proportion au début du XVIIIe siècle — 324 en 1610 — que le Parlement est de nouveau amené à intervenir pour le limiter à un seul par ménage, cf. Hillairet, J., Dictionnaire historique des rues de Paris, Paris, 1963, p. 44.Google Scholar
6. Le 16 mai 1638, un certain Michel Bore acquiert une maison appelée « Lion ferré » qui donne sur la rue Saint-Jacques à Paris. Il souhaite la reconstruire totalement mais, « en pareilles occasions, pour les maisons voisines d'ycelle Rue, il y a eu du retranchement de portions de leur profondeur afin deslargir la dicte Rue Sainct Jacques ». Le Bureau de la Ville ordonne donc qu'il « tire » sa maison « à l'alignement des dites maisons retranchées ». Par la suite, dans les années 1670-1680, seront élargies les rues Saint-Martin, de la Verrerie, Galande, de la Vieille-Drapperye, Mathurins-Saint-Jacques, Saint-Merry, Saint-Séverin, Aubry-le-Boucher, Hautefeuille, des Bons- Enfants, des Noyers, Tiquetonne et aux Ours (cf. Alphand, A., Deville, A., et Hochereau, , Recueil des lettres patentes, ordonnances royales, décrets et arrêtés préfectoraux concernant les voies publiques, supplément II, Paris, 1902 Google Scholar).
7. Debauve, A., Les travaux publics et les ingénieurs des Ponts et Chaussées depuis le XVIIe siècle, Paris, 1893 Google Scholar ; Petot, J., Histoire de l'administration des Ponts et Chaussées, 1594- 1815, Paris, 1958.Google Scholar
8. L'établissement des plans généraux d'alignement, exigé par la loi du 16 septembre 1807, donne parfois lieu (par exemple à Nantes) à de tels projets sous l'impulsion du Conseil des Bâtiments Civils.
9. Expression fréquemment utilisée par les conseillers municipaux des diverses villes.
10. L'idée que plus une rue est large et droite plus elle est belle remonte au xvie siècle, cf. Boudon, Ph., Richelieu ville nouvelle : essai d'architecturologie, Paris, 1978 Google Scholar, citant Palladio. Elle sera abondamment exploitée au XIXe siècle par les nombreux édiles qui s'en prendront aux anciennes rues « étroites et sinueuses » de leurs villes.
11. La Hure, « Des portions de propriétés après alignement », Annales des Ponts et Chaussées, 1848.
12. Mentionnées par La Hure.
13. Cf. article II du décret.
14. M. Lacave, op. cit., p. 1 016.
15. En se basant sur le tableau des 40 grandes villes françaises en 1851, établi par M. Roncayolo, dans Duby, G., Histoire de la France urbaine, t. 4, Paris, 1983, et sur les cartes dressées par Ph. Pinchemel pour 1851 et 1881, Le fait urbain en France, Paris, 1963 Google Scholar, nous avons construit la liste suivante : Amiens, Angers, Avignon, Besançon, Boulogne-sur-Mer, Bordeaux, Brest, Caen, Calais, Cherbourg, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Le Havre, Lille, Limoges, Lorient, Le Mans, Lyon, Marseille, Metz, Montpellier, Nancy, Nantes, Nice, Nîmes, Orléans, Paris, Poitiers, Reims, Rennes, Roubaix, Rouen, Saint-Étienne, Strasbourg, Toulon, Tours, Troyes, Versailles.
16. Paris, Lyon et Marseille étant exclues, il s'agit des 16 villes qui suivent : Angers, Avignon, Bordeaux, Lille, Limoges, Montpellier, Nantes, Nîmes, Orléans, Poitiers, Reims, Rouen, Strasbourg, Toulouse, Tours, Troyes.
17. Coppolani, J., « Une opération d'urbanisme à Toulouse », Académie des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse, volume 138, 15e série, t. VII, 1976, p. 207.Google Scholar
18. Les édiles de l'époque seraient sans doute d'accord avec J.-P. Chaline, « Les grands travaux d'urbanisme à Rouen au xixe siècle », Bulletin des Amis des Monuments rouennais, janvierseptembre 1975, pour dire que cette percée « apparaît largement comme un échec » et que « les expropriations réduites au minimum dans un but d'économie et l'absence de remembrement parcellaire ont abouti à de simples placages sans profondeur ou à d'invraisemblables façades si étriquées qu'elles n'ont parfois qu'une ouverture par étage, sans parler des moignons de rues, vestiges de l'ancienne voirie qui subsistent de part et d'autre, cisaillés net par de grotesques pans coupés ».
19. Registre des délibérations du conseil municipal de Rouen, Archives départementales de la Seine-Maritime 30P 10517.
20. Ibid.
21. Registre des délibérations du conseil municipal de Montpellier, 1er septembre 1869.
22. Notons qu'il s'agit des trois termes qui seront à la base de l'idéologie de l'urbanisme du XXe siècle.
23. Pour une description générale du percement rouennais, voir J.-P. Chaline, op. cit., et C Vautier, Transformations de Rouen sous le Second Empire, manuscrit déposé aux Archives municipales de Rouen, 1954.
24. Cf. Ch.- Léonard, M., Lyon Transformed : Public Works of the Second Empire, Berkeley, 1961.Google Scholar
25. Le conseil général des Ponts et Chaussées soutient le percement rouennais qui n'améliore aucunement la voirie régionale ; au point qu'il considère la future rue Jeanne d'Arc comme une annexe de la route Paris-Le Havre à laquelle elle est perpendiculaire.
26. Pour une description générale du percement toulousain, voir J. Coppolani, op. cit.
27. Ilot analysé par J. Castex, op. cit., et repris souvent par d'autres.
28. Un ancien architecte du département, M. Esquié présente, en 1870, une liste accablante des méfaits commis par la commission municipale. Il vilipende l'ancienne équipe municipale pour avoir permis des pratiques qui ne se réalisent « sous un gouvernement régulier qu'à la condition de trouver réunis, par une exception malheureuse, des maires spéculateurs, des ingénieurs avides et incapables, une commission municipale forcément docile par vice d'origine, follement irritée des dédains de l'opinion publique et par dessus tout enfin, un préfet habitué à appliquer impunément son omnipotence à la défense de tous les abus », Archives départementales de la Haute-Garonne 20T6et20T3.
29. A Strasbourg, par exemple, le maire, M. Schwander, étudie, avant de procéder à l'ouverture de la grande percée en 1907, plusieurs opérations de percement, puis décide d'acheter secrètement des immeubles situés le long de la future voie pour prévenir la spéculation, cf. A. Arbogast, Un problème d'urbanisme : la grande percée à Strasbourg, monographie de la 3e année de l'École Pratique d'Administration de Strasbourg, 1952.
30. Pour la réaction des propriétaires à Montpellier, voir M. Lacave, op. cit.
31. Archives municipales de Montpellier, rue Nationale 1.
32. Ceci résulte du mode de la revente des terrains au coup par coup.
33. Au dire d'un conseiller municipal de l'époque, le quartier traversé « est habité par des personnes très modestes et les maisons à construire sur cette grande artère municipale ne pourront être occupées par la classe ouvrière recherchant des loyers moins élevés ni par les propriétaires du quartier des cours, ni par le commerce ; ainsi cette rue restera ruine et déception. Vous aurez pour dix, vingt, trente, quarante ans peut-être des portions non bâties, la vue de maisons démolies et non reconstruites, des pans de murailles coupés, des maisons irrégulières, sans harmonie entre elles, dont la hauteur ne sera pas en rapport avec la largeur de la voie ; vous n'aurez autour de vous que baraques, masures, ce sera le désordre au milieu de la cité », Délibération du conseil municipal, 10 avril 1862.
34. Archives de la Seine, vol. 11.
35. Archives municipales de Nantes. Voirie urbaine, rue de Strasbourg 1.
36. cilleuls, A. Des, Traité de la législation et de l'administration de la voirie urbaine, Paris, 1877.Google Scholar
37. Extrait du registre des délibérations du conseil municipal de Caen, séance du 12 juillet 1904, faisant partie d'une brochure intitulée « Aux membres du Gouvernement et du Parlement, voeux de 52 villes en faveur d'une loi sur les expropriations par zone », Archives nationales F14 12596.
38. Rapport par E. Morlot au nom de la Commission de l'administration générale, départementale et communale des cultes et de la décentralisation chargée d'examiner les propositions de loi de MM. Delroy et Siegfried, s. d. Archives nationales F14 12596.
39. Boivin, G., Étude juridique sur l'urbanisme, Paris.Google Scholar
40. Pendant les années 1930, quelques municipalités exécuteront leurs anciens projets ; voir, par exemple, Strasbourg et Limoges.
41. Citons J. Castex, B. Fortier, B. Huet, F. Loyer et Ph. Panerai.