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Le mépris des Hilotes*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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L'institution Spartiate des Hilotes faisait dès l' Antiquité l'objet de controverses, comme l'indique Platon: « Plus que tout en Grèce les Hilotes de Sparte sont un objet de discussion et de querelle, les uns approuvant l'institution, les autres la blâmant » (trad. Des Places). Il ne s'agit pas, comme on pourrait le croire, d'un débat moral, mais, comme le montre la suite du texte, d'une question pratique de fonctionnement. Mais, quel que soit le point de vue auquel on se place, ce qui importe, ce n'est pas de juger l'institution, mais d'abord de la comprendre. Plusieurs approches sont possibles.

Type
Sociétés Anciennes
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1974

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Footnotes

*

Je remercie MM. P. Lévêque et P. Vidal-Naquet, dont les remarques m'ont permis de remédier à quelques-unes des imperfections de ce travail et MM. Bessaignet et Marchetti, respectivement directeur et documentaliste de l ' Institut d'études et de recherches interethniques de Nice, dont l'aide m'a été précieuse.

References

1. Lois, VI, 776 c:

2. P. OLIVA, « On t h e problem of the Helots », Historica, III, 1961, pp. 5-34; Sparta and her social problems, 1971, pp. 44-48.

3. D. LOTZE, , 1959, pp. 31-47.

4. G. Devereux a tenté d'appliquer les méthodes de la psychanalyse à l'étude des rapports entre Spartiates et Hilotes « La Psychanalyse et l' Histoire: une application à l'histoire de Sparte », Annales E.S.C. 1965, pp. 18-43. Cette tentative se solde par un échec. D'abord, l'information historique présente des lacunes, comme le montrent certaines affirmations vraiment par trop sommaires: pp. 27-28, l'hilotisme accule les Spartiates à une lente destruction de leur système social ?; l'hilotisme durera jusqu'à l'époque romaine: cf. B. SHIMRON, « Nabis of Sparta and the Helots », ClPh 61, 1966, pp. 1-7; p. 28, « la politique étrangère — d'arrogante hégémonie — de Sparte » (ne peut se dire que pour le ive siècle); même page, Sparte « champion des villes qui voulaient expulser les tyrans » (mythe). Il y a aussi des erreurs d'interprétation: la cryptie n'est pas, on le verra, une police secrète; le deuil imposé aux Hilotes n'est pas une marque de cruauté (ci-dessous, n. n ). Tout l'article repose sur une vision terrifiante des rapports entre Spartiates et Hilotes et de la vie à Sparte en général (” terreur », p. 24, « crainte panique », p. 25, « cauchemar », p. 27, « paralyser l' Hilote par la terreur », p. 27, etc.). Il y a cependant dans cette étude nombre de remarques tout à fait pertinentes, et que nous ne pourrons que reprendre; mais elles relèvent de la sociologie (” rituel de l'oppression », stéréotypes d'infériorité, idéal et contre-idéal de groupe), non de la psychanalyse, laquelle n'apparaît dans cet essai qu'au niveau d'un langage qui n'apporte certes rien à l'analyse sociologique; cf. P. OUVA, Historien, 14, 1967, pp. 219-224.

5. Plutarque, Lycurgue, 28, 12, insiste sur la modification profonde qu'introduisit dans les rapports entre les Spartiates et les Hilotes la révolte de 464. Cette révolte aurait été la première révolte hilotique, les précédentes ayant été messéniennes (Thucydide, I, 101); les 2 000 hilotes massacrés en 425 étaient probablement messéniens. Quoi qu'il en soit, la distinction, connue des Anciens, entre Hilotes de Laconie et Hilotes de Messénie, est fondamentale; on serait même tenté de dire que ces deux statuts n'avaient guère en commun que le nom.

6. Le comportement des Spartiates a beaucoup évolué dans ce domaine au ive siècle, époque où des révoltes ont déjà eu lieu et où la peur semble exister; voir par exemple XÉNOPHON, Const. Lacéd., 12, 4; cf. P. OLIVA, Sparta, p. 47. La présente étude concerne, sauf exception, les faits antérieurs au ive siècle.

7. Autrement dit, il faut distinguer la hiérarchie des statuts personnels, définis selon les termes d'ailleurs très imprécis de liberté et de servitude, d'égalité et de dépendance, et la hiérarchie des statuts politiques, définis en termes de rapports à la cité (conception de M. I. FINLEY, « The servile statuses of ancient Greece », Revue Internationale des droits de l' Antiquité, 7, 1960, pp. 165-189; « Between Slavery and Freedom », Comparative Studies in society and History, 6, 1964, pp. 233-249; voir aussi P. VIDAL-NAQUET, « Économie et société dans la Grèce ancienne: l'oeuvre de Moses I. Finley; II, Homme libre et esclave », Archives européennes de sociologie, 6, 1965, pp. 120-130).

8. L'antithèse du Spartiate et de l' Hilote n'est d'ailleurs elle-même qu'un élément de l'antithèse construite par Hérodote entre le destin d' Eurytos, le vrai Spartiate, et celui d' Aristodémos, le « trembleur » (ô Tpécraç) 9. Par exemple, MICHELL, Sparte, éd. fr., 1953, pp. 67-68.

10. Par exemple, D. LOTZE, MercaÇii êXevdéQwv teal ôovXcov, 1959, pp. 44-47.

11. Je ne fais pas figurer dans ce recueil le fragment 5 b (Prato) de Tyrtée (cité par Pausanias, IV, 14, 5). D'abord, il ne concerne pas les Hilotes en tant que tels, mais les Messéniens (encore ceci est-il contesté par certains). Ensuite et surtout, il serait absurde de considérer comme une conduite de mépris le fait d'obliger les Hilotes à participer au deuil de leurs maîtres: au contraire, c'est plutôt une façon, très « homérique », de les intégrer à 1’ « oikos ». — En revanche, je n'hésite pas à prendre au sérieux les renseignements transmis par Myron, malgré la mauvaise réputation dont il jouit en tant que représentant de l'histoire « tragique » du IIIe siècle, cf. L. PEARSON, « The pseudo-History of Messenia and its authors », Historia, 11, 1962, p. 410-416. Myron peut être une source de valeur contestable quand il construit le roman des guerres de Messénie, et un témoin valable des usages Spartiates contemporains.

12. Par exemple, chez les Maori; aux îles Marshall: « Par rapport aux deux castes patriciennes, les plébéiens sont un corps de parias, cultivant les terres des chefs et exécutant les besognes viles », R. LOWIE, Traité de sociologie primitive, 1936, rééd. 1969, pp. 340- 341; sur les Maori, id., p. 324. On sait que dans de nombreuses sociétés africaines les forgerons sont méprisés; sur les besognes « impures » en Inde, L. DUMONT, Homo hierarchicus, 1966, pp. 69-83.

13. II B, pp. 382-383, commentaire à 115 F 176.

14. (POLLUX, VII, 68); « la katonakè était un épais vêtement de laine aux bords duquel était cousu de la fourrure ». Ce n'est pas un vêtement b r u t comme celui des Hilotes; la présence — symbolique — de la fourrure n'en est que plus significative.

15. Cf. D. LOTZE, Meraiè êhevôèooov xal ôovXoev, p. 55.

16. POLLUX, ibid.; pour Athènes, cf. aussi la Souda, s.v.

17. Lysistrata, v. 1150; pour la katonakè comme vêtement servile à Athènes, Assemblée des Femmes, v. 721-724.

18. Ci-dessous, p. 1458. De même, dans certaines parties de l' Inde, on ne permettait pas aux Parias de se bâtir des huttes, C. BOUGLÉ, Essai sur le régime des castes, 3e éd. 1935, rééd. 1969, p. 17, citant l' Abbé DUBOIS, Moeurs, institutions et cérémonies des peuples de l' Inde, 1825.

19. , « son aspect était celui d'un vilain » (vers 316). Son comportement lors de sa capture est effectivement d'un Inférieur. — Je renvoie à l'article classique de L. GERNET, « Dolon le loup », repris dans Anthropologie de la Grèce antique, pp. 154-171; et aussi à l'étude inédite de J. L. HÉBRARD, LaDolonie, Mémoire de maîtrise, Nice, 1972.

20. Sacrifice d'un chiot, à Sparte, avant le combat rituel de Platanistas (Pausanias, I I I, 14, 9); sacrifice d'un chien en Macédoine, avant un combat feint entre deux parties de l'armée, J.-P. VERNANT, Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, pp. 13-14; cf. la fête du « massacre des chiens » à Argos, ATHÉNÉE, I I I, 99 e. Ces exemples ne sont pas assez nombreux pour que l'on puisse en déduire l'existence d'un lien entre le sacrifice du chien et les initiations.

21. , coiffure d' Hadès, coiffure de puissance qui rend invisible, avait bien, d'après les représentations (par ex. le vase plastique du Musée National d' Athènes, S. Karouzou, BCH95, 1971, pp. 118-120, fig. 10-11) l'aspect d'une dépouille canine. Hécate peut être représentée avec un ou des corps de chien, reçoit le sacrifice du chien, est dite , etc., S. Karouzou, JHS,92, 1972, p. 66 et pi. 18.

22. L. GARDET, La cité musulmane, 1969, p. 348. Le même auteur note (ibid., n. 3): « Les prescriptions des princes chrétiens au Moyen Age, en particulier celles des Papes pour le ghetto de Rome, reproduisent parfois curieusement maintes prescriptions musulmanes à l'égard des dhimmï ». De fait, les formes du mépris ne sont pas variables à l'infini, y compris à l'époque contemporaine…

23. Par exemple MICHELL, Sparte, p. 68, qui cite aussi MÛLLER, Die Dorier, II, 1844, P- 39- 24. Lois, VII, 816 d-e.

25. Ici aussi, on aimerait en savoir davantage: quelles classes d'âge assistaient à l'humiliation des Hilotes ? S'agirait-il des futurs cryptes ? 26. A. R. Radcliffe-Brown, « On joking relationship », Africa, 13, 1940, pp. 195-210; « A further note on joking relationship », Africa, 19, 1949, pp. 133-140; articles repris dans Structure and Function in primitive society, Londres, 1952; traduction française parue en 1965, pp. 90-104 et 105-116. Ce type de relations n'existe pas seulement — quoique ce soit le cas le plus fréquent — entre des individus rendus parents par un mariage; on le trouve aussi entre des tribus ou des clans unis par une sorte d'alliance (par exemple les Dogon et les Bozo). Précisément, l'hilotisme et d'autres statuts qui lui sont souvent comparés sont représentés par certaines sources (ÉPHORE 70 F 117 pour les Hilotes, Archemachos 424 F 1 pour les Pénestes, Poseidonios 87 F 8 pour les Mariandyniens; cf. P. VIDAL-NAQUET, « Réflexions sur l'historiographie grecque de l'esclavage », Actes du colloque 1971 sur l'esclavage, Besançon-Paris 1973, pp. 30-31 et 34) comme résultant d'un traité d'alliance. — Les serviteurs des Foula avaient conservé des danses particulières: M. DUPIRE, Organisation sociale des Peul, 1970, p. 431. — En Inde, seules les castes inférieures buvaient de l'alcool, Olivier C. Cox, Caste, Class and Race, 1948, p. 26.

27. Était-ce là le dénouement de la « fête » mentionnée par Plutarque ? Chaque Hilote était-il réellement battu, ou ce traitement n'était-il pas plutôt réservé à quelques « représentants » du groupe ? 28. TITE-LIVE, XXXIV, 27, 9: « Ilotarum deinde quidam (…) transfugere voluisse simulati, per omnes vicos sub verberibus acti necantur. » 29. Cf. l'article de B. SHIMRON cité ci-dessus note 4.

30. Abbé DUBOIS, Moeurs, institutions et cérémonies des peuples de l' Inde, cité par C. BOUGLÉ, Essai sur le régime des castes, p. 17.

31. R. LOWIE, Traité de sociologie primitive, p. 324.

32. R. LOWIE, op. cit., p. 330.

33. R. LOWIE, op. cit., p. 340-341.

34. Cette interprétation rejoint partiellement celle de G. Devereux, art. cité (ci-dessus, note 4), p. 71: « Il lui » (à l' Hilote) « faut accepter, comme base de l'ordre des choses, le code d'autrui (celui des Spartiates), code selon lequel il ne lui est pas permis de vivre »; donc l' Hilote n'a pas le droit de ressembler au Spartiate dans son comportement. Elle en diffère toutefois en ce que je considère l'exécution de l' Hilote moins comme la punition personnelle d'une infraction que comme la mise à mort, dans un but magique, d'un représentant symbolique (comme, ailleurs, les pharmakoi) de l'anormalité qu'il s'agit de conjurer.

35. IV, 80. On trouvera une étude détaillée du contexte de cet événement dans l'article de P. HUART, « L'épisode de Pylos-Sphactérie dans Thucydide: sa répercussion à Sparte », Annales Fac. Lettres de Nice, 11, 1970, pp. 27-45, notamment pp. 38-40.

36. Thucydide, IV, 26, 5-6.

37. Le récit de Thucydide, qui présente l'envoi d' Hilotes en Thrace avec Brasidas et le massacre en question comme deux mesures complémentaires, nous rappelle aussi un autre point intéressant: c'est que l' Hilote « trop » brave n'était pas nécessairement voué à la mort. La norme se trouvait également réaffirmée s'il était affranchi après s'être battu comme hoplite.

38. « Le chasseur noir et l'origine de l'éphébie attique », Annales E.S.C., 23, sept.- oct. 1968, pp. 947-964.

39. Pour les détails du rapprochement entre la Dolonie et la cryptie, cf. l'étude de J. L. HÉBRARD citée ci-dessus note 19.

40. Théorie reprise le plus souvent par les modernes, par ex. D. LOTZE, MercaÇv êXevdèQmv xal ôoéXcov, p p. 44-46.

41. REG,26, 1913, pp. 121-150.

42. Paides e Parthenoi, pp. 156-157.

43. Les Hippeis, auxquels on a songé, ne sont pas recrutés de cette manière.

44. En tout cas, tel n'est pas nécessairement le sens du du Ps. HERACLÏDE DU PONT.

45. , p. 43.

46. Cf. déjà H. Jeanmaire, Couroi et Courètes, p. 490. Cette possibilité de promotion n'est d'ailleurs qu'un aspect de la relative « fluidité » du statut civique à Sparte: il y avait, on le sait, de multiples façons de perdre la qualité d'homoios. Or, le système du kléros comme les nécessités de la défense exigeaient que le nombre total des homoioi se maintînt à un niveau à peu près constant. — De façon générale, le droit de cité est plus « ouvert » dans la Grèce archaïque que dans la Grèce classique.

47. C'est-à-dire, abstraction faite du problème messénien.

48. Cf. G. Devereux, art. cité à la note 4, pp. 30-31. Les exemples sont innombrables, voir par ex. JOHNSON, Patterns of Negro ségrégation, 1943, qui montrent que le statut servile entraîne normalement chez les opprimés non seulement une acceptation de leur condition, mais une terreur des modifications, même favorables, qifi pourraient y être apportées: ce sont ces modifications qui sont ressenties comme humiliantes ou menaçantes.

49. Sur l'infériorité sentie comme une contagion menaçante, cf. ci-dessus, p. 1460 et L. DUMONT, loc. cit., supra, n. 12.

C'est ce qui explique le comportement des Hilotes dans notre texte 2 (Plutarque), où on les voit refuser spontanément l'occasion qui leur est offerte d'enfreindre sans risque un interdit Spartiate.

50. Cf. P. VIDAL-NAQUET, « Esclavage et gynécocratie dans la tradition, le mythe, l'utopie », Recherches sur les structures sociales dans VAntiquité classique, 1970, pp. 63-80.

51. Paides e Parthenoi, pp. 113-207.

52. Comme le fait encore D. LOTZE, op. cit. Sur la tradition antique, cf. l'article cité ci-dessus n. 26 de P. VIDAL-NAQUET, pp. 34-36. Il est d'ailleurs remarquable que, malgré sa cohérence, sa vraisemblance, et en dépit du parallèle messénien, l'explication par la conquête ne soit pas la seule qu'ait retenue la tradition: car chez Antiochos, il s'agit bien d'une différenciation à l'intérieur de la société Spartiate.

53. Voir la mise au point de M. A. LEVI, « Studi Spartani I », RIL,96, 1962, pp. 479 ss.; et sur le problème d'ensemble des « invasions » en Grèce au début de l'âge du fer, A. M. Snodgrass, The dark Age of Greece, 1971, pp. 296-327.

54. Je paraphrase presque Ed. WILL, Doriens et Ioniens, p. 47: « Même en écartant tout à fait, par hypothèse, le facteur capital de l'évolution économique, il faut reconnaître que le maintien indéfini de la différenciation ethnique primitive est un non-sens sociologique ».

55. Voir les exemples réunis par Oberg, K., The American Anthropologist , 57, 1955, p. 476 CrossRefGoogle Scholar.

56. Il faut mettre à part le cas des cités coloniales, où d'ailleurs 1’ « esclavage collectif » a pris une forme très différente, selon I. S. Svencizskaja, VDI,1967, 4, pp. 80-85.

57. Pour M. A. LEVI, « Studi Spartani IV », RIL,96, 1962, pp. 523-528, cette stratification aurait déjà existé en Laconie à l'époque mycénienne; les Hilotes ne seraient que les successeurs des paysans tributaires mycéniens, et les Spartiates, ceux du lawos. Cette théorie — pure vue de l'esprit, il va sans dire — rappelle celle de Jeanmaire, qui n'est plus acceptée aujourd'hui (voir par ex. M. I. FINLEY, « Sparta », dans J. P. VERNANT éd., Problèmes de la guerre en Grèce ancienne, pp. 158-159).

58. A Sparte — et aussi, dans une moindre mesure, en Crète —- le modèle hoplitique s'est superposé à un modèle antérieur (” préhistorique ») dont certaines structures survivaient encore. C'est cette « coïncidence » qui explique 1'apparence systématique de la « constitution de Lycurgue », et l'avance (dont témoigne, quelle que soit celle à laquelle on se rallie, la date, de toutes façons haute, de la Rhétra) que Sparte semble avoir, par rapport aux autres cités, dans le domaine de l'organisation de la politeia.