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Le galion de Manille : Grandeur et décadence d'une route de la soie

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

Pierre Chaunu*
Affiliation:
l'École des Hautes-Études Hispaniques

Extract

Il peut sembler curieux, a priori, que l'histoire du Pacifique colonial des Ibériques, plus facile à étudier pourtant que son prédécesseur et contemporain, le Pacifique des Polynésiens et des peuples de la grande Asie des moussons, n'ait point suscité jusqu'à ce jour plus de curiosités actives. Des guerres de plume entre les osts chauvines des érudits de clocher pour la possession d'un atoll, de savants éclairages sur quelques points d'histoire maritime ; les très bonnes études, chefs-d'oeuvre d'érudition appliquée, mais qui ne s'aventurent point au delà des rivages des Philippines, de W. E. Retana : une poussière, jusqu'à l'apparition du Galion de Manille, de William L. Schurz.

Type
Études
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1951

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References

1. Les suggestions que m'a faites à propos de ce travail M. Vitorino Magalhaès Godinho ont été pour moi du plus grand prix. Je tiens à l'en remercier tout particulièrement. — Nous réduisons au maximum, dans cette rapide esquisse, l'appareil critique et les pièces justificatives. Notre enquête se poursuit en effet ; nous nous réservons de donner toutes nos preuves ultérieurement, dans une étude plus vaste.

2. Il ne saurait être question de fournir ici une bibliographie exhaustive et sans intérêt. La meilleure étude dans cet ordre d'idée reste, sans conteste possible, celle du Suédois E. W. Dahlgren, Were the Hawaiians islands visited by the Spaniards before their discovery by the captain Cook in 1770 ? (Somptueux in-folio. Stockholm, 1916, 222 p. et cartes). Dahlgren est l'autcur connu d'une histoire monumentale et malheureusement inachevée des Relations commerciales et maritimes entre la France et l'océan Pacifique au début du XVIIIe siècle (Paris, 1909 ; t. I, in-8°). L'ouvrage de Dahlgren et ceux de la Hakluyt Collection permettront sans peine d'établir une bibliographie utile.

3. W. E. Retana a consacré une longue vie d'érudit à l'étude des Philippines, sans s'astreindre jamais à la synthèse, qu'il eût été à même d'écrire mieux que personne. La liste de ses publications, extrêmement dispersées, nécessiterait plusieurs pages. On doit également à Retana une publication de documents et de textes rares : L'Archivo del Bibliôfilo Filipino (Madrid, 1895-1905, 5 vol. in-8°).

4. The Manila Galleon. New York, Dutton and C°, 1939 ; gr. in-8°, 453 p.

5. Cela était vrai en 1949, quand cet article a été écrit.

6. The Manila Galleon n'est guère autre chose (c'est un des reproches, – injuste à mon sens, — qui lui ont été adressés aux États-Unis) que la juxtaposition d'articles bâtis sur une bonne documentation et dispersés au cours d'une longue carrière d'érudit.

7. Il ne suffit pas d'énumérer dans l'ordre alphabétique toute une série d'ouvrages, dont certains n'ont manifestement pas servi. Pourquoi, entre autres, R. B. Merriman, The Rise of Spanish Empire ? Et, par contre, des omissions graves (voir la note 2 de la page suivante).

page 448 note 1. On est souvent trompé par des titres alléchants. Le livre de Arteche, José de, Urdaneta. El dominador de los espacios del Océano Pacifico (Madrid, 1943, in-16, 200 p.)Google Scholar; tient plutôt de la biographie déclamatoire que de l'histoire.

page 448 note 2. Un simple regard sur l'abondante bibliographie du livre montre tout de suite que William L. Schurz ne s'est pas vraiment posé la question de la signification économique du trafic du Galion. Roland Dennies Hussey, dans son compte rendu, signale avec raison une omission grave, celle du Catálogo de los documentos relativos a las islas Filipinas. Beaucoup plus significative, l'omission des travaux d'Earl J.Hamilton. Toujours le cloisonnement intellectuel !

page 448 note 3. Il serait aisé, même dans ce domaine, de le chicaner sur des détails. En règle générale, il n'a pas toujours su résister à son goût du dramatique.

page 448 note 4. Accueillie froidement aux États-Unis, comme l'atteste le compte rendu de Roland Dennies Hussey (H. A. H. R., 1939, p. 324-326), mais très chaleureusement en Espagne, si on en juge par le compte rendu d'Antonio Pardo (Reuista de Indias, oct. déc. 1945, page» 728-732).

page 448 note 5. Braudel, Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque de Philippe II, Paris, A. Colin, 1949, in-8°, 1160 pGoogle Scholar.

page 448 note 6. Deux excellentes collections de documents pour l'histoire des Philippines peuvent rendre des services appréciables, parce qu'elles touchent plus ou moins directement à l'histoire du Pacifique : Les Philippines'Islands, 1493-1898, de Blair and Robertson (1901-1905, Cleveland, 55 vol. in-8°, de 350 p. en moyenne). — Moins connue, la coll. du Père Pablo Pastells, sous le nom d’ « Histoire érudite des Philippines », mais tout aussi précieuse, qui complète la précédente : Calálogo de los documentos relativos a las Islas Filipinas existences en tl Archiva de Indias de Sevilla, par Pedro Torres y Lauzas et, à partir du t. VI, Don Francisco Navas del Valle (Precedido de una erudita historia general de Filipinas, de P. Pablo Pastells S. J., Barcelone, 1925-1934, 9 t. en 10 vol. in-4° de 300 p. chacun environ, sous le patronage de la Compania General de tabacos de Filipinas). — A ne pas confondre avec la Colecciôn de documentes relativos a las Islas Filipinas, publiée sous le même format et le même patronage que le Catálogo (Barcelone, 1918-1923, 5 vol. in-4°). Œuvre trop ambitieuse, elle prétendait donner tous les documents conservés aux Archives des Indes concernant les Philippines : il eût fallu des siècles et un nombre incalculable de volumes. On dut renoncer à la collection des documents et se contenter du Catalogue. — Ces collections ne font guère qu'égratigner les richesses de l'Archivo General de Indias de Séville…. Mais Simancas, mais Lisbonne ?

page 450 note 1. Braudel, F., op. cit., p. 430431 Google Scholar.

page 450 note 2. A. G. I., Contaduría, 1195.

page 451 note 1. A. G. I., Filipinas, leg. 6.

page 451 note 2. Ultramar, II, 24 septembre 1559. Le Roi à Urdaneta (p. 98) ; 28 juin 1560, Mendoza au Roi (p. 102).

page 451 note 3. Blair and Robertson, t. II, p. 244-329.

page 451 note 4. A. G. I., Gontadunía, 1195-1200…. On peut y suivre l'avortement des épices.

page 451 note 5. Blair and Robertson, t. II, p. 244-329 (le pessimisme de Legazpi, notamment, pendant la grande crise de 1558-1569).

page 451 note 6. Ibid., t. III, p. 54-61. (Relation de Legazpi sur les Philippines, jointe à une lettre du 7 juillet 1569.)

page 452 note 1. On peut contester à Urdaneta la paternité de la découverte. Alonso de Arellano, capitaine ambitieux, membre de l'expédition, faussa compagnie au gros de l'Armada, et précéda Urdaneta de quelques mois sur la future voie de retour de tous les galions de Manille. Envisagé sous l'angle d'une » recherche de paternité » — c'est sous cet angle qu'on l'a toujours fait — cet épisode n'est qu'une simple anecdote. Mais cette double découverte simultanée a une tout autre signification. Elle prouve que la solution était dans l'air, que l'on songeait à utiliser le flux Ouest-Est des moyennes latitudes, dont on soupçonnait l'existence dans l'océan Pacifique. C'est à ce titre seulement que l'épisode mérite d'être rapporté.

page 452 note 2. Cf. Dahlgren, op. cit.

page 453 note 1. Recopillaciôn de las logesde os Reynos de las Indias, t. III, p. 529.

page 453 note 2. Gemelli, dans Churchill (Avonsham), A collection of voyages and travels, t. IV.

page 453 note 3. La législation de 1595 fixait à 300 tonneaux le tonnage des galions. Cette limite est portée de 300 à 560 tonneaux en 1720, mais la Trinidad prise. par les Anglais en 1760 jaugeait 2 000 tonneaux. En fait, la limitation des tonnages n'a jamais été sérieusement observée. Le tonnage des galions croît et diminue, semble-t-il, avec les nécessités du trafic. Ces navires courtauds et robustes sortent des astilleros des Philippines ; ils jouissent d'une juste renommée ; on les considère, partout, même dans les pays du Nord, comme les plus robustes du monde.

page 453 note 4. Encore un livre faussement prometteur : Robbes, Vito Alesio, Acapulco en la histôrica y en la leyenda. Mexico, 1932, in-8°, 204 p.Google Scholar, cartes. Déclamatoire et sans intérêt. La meilleure description, bien que tardive, reste celle d'Alexandre de Humboldt.

page 453 note 5. Ultramar, II, p. 119-120 (devinée dès 1561 par Urdaneta, mais son avis ne prévaut qu'après le premier voyage).

page 453 note 6. A l'extrême fin du XVIIIe siècle, à l'époque de Humboldt encore, alors que le commerce de galion avait manifestement perdu l'essentiel de son importance, la population de la place passait en moyenne de 4 000 à 9 000 âmes au cours de ces deux mois d'animation saisonnière. Puis, les échanges réalisés, chacun regagnait en hâte ses pénates, fuyant la fièvre montante.

page 454 note 1. Chang, Tien Tsé, Sino-portaguese trade from 1514 to 1644 (Leyde, 1933, in-8°, x-157 p.)Google Scholar chap. I. Cette thèse de Leyde est un historique rapide des vicissitudes du commerce maritime chinois.

page 454 note 2. Blair and Robertson, t. III, p. 102.

page 454 note 3. Tome Pires, dans sa Suma Oriental (le plus vieux texte européen qui contienne un témoignage sur les Philippines), atteste la présence des jonques au début du XVIe siècle. Pires, Tome et Rodrigues, Francisco, The Sama Oriental (1512-1519), édité par Armando Cortesâo, 1944, 2 vol. in-8° (London, Hakluyt Society)Google Scholar.

page 455 note 1. A. G. I., Contadurîa, leg. 1209.

page 455 note 2. La pénétration musulmane dans l'archipel est sans conteste ce que l'Espagnol craint par-dessus tout, non sans raison, d'ailleurs. C'est à Mindanao en effet, gagnée partiellement avant la conquête espagnole à l'Islam, que les Espagnols ont rencontré la seule résistance appréciable. Il a fallu trois siècles pour la vaincre totalement. On ignore trop souvent cette grande lutte qui se déroule au XVIe siècle, dans le monde de l'océan Indien et ses annexes, entre la croix et le croissant. Les victoires spectaculaires des chrétiens nous masquent souvent la plus lente et plus réelle victoire de l'Islam, qui progresse partout, sauf sous la domination espagnole. Seule l'occupation espagnole a empêché l'Islam de s'annexer les Philippines, ce que n'ont su ni voulu faire Portugais et Hollandais dans les îles de la Sonde, où la conquête musulmane plus avancée était loin cependant d'être achevée à l'aube du XVIe siècle, ou même au XVIIe. Cette hostilité foncière à l'Islam, cette incapacité à composer avec les principicules musulmans des Moluques, ne serait-ce point pour les Espagnols des Philippines, plus que l'hostilité portugaise encore, la vraie raison de l'échec philippin dans le commerce des épices ?

page 455 note 3. Les Portugais ont obtenu, dans les capitulations de 1580, que les deux Empires continuent, comme par le passé, de vivre séparés. Rarement Manille eut à intervenir dans les affaires de Goa et vice versa. L'union des deux Empires pouvait être plus dangereuse qu'utile pour la jeune colonie, en rendant Philippe II plus sensible que par le passé aux plaintes des gens de Lisbonne.

page 456 note 1. Nous utilisons pour cette partie un manuscrit de la Bibliothèque Nationale de Madrid : Le Memorial informatorio… de Grau Y Monfalcon (1637), publié au XVIIIe siècle.

page 456 note 2. Il est possible toutefois de le faire avec une assez grande marge d'approximation. Nous en préparons la courbe.

page 456 note 3. Chevalier, François, dans un article de la Revista de Indias (XII, 1943)Google Scholar, « Les cargaisons des flottes de la Nouvelle-Espagne vers 1600 », écrit : « De la soie était envoyée en Espagne depuis déjà assez longtemps et désormais ce fut surtout une réexportation de la soie de Chine. Celle-ci, meilleur marché, malgré la traversée du Pacifique, avait fini par concurrencer dangereusement, et même arrêter le développement de la production mexicaine. En 1594, on en envoya pour 18 233 ducats, et en 1609 pour 88 687 pesos ». — Nous pensons pouvoir établir prochainement la courbe des arrivages de soie de Chine à Séville, qui englobent la dernière décade du XVIe siècle et les premières du XVIIe.

page 457 note 1. Le témoignage de Morga, qui constitue notre meilleure source, est évidemment de ce fait d'un maniement délicat.

page 458 note 1. C'est en 1604 que pour la première fois nous voyons entrer à Manille une flotte de Macao. Dans les années qui suivent, 3, 4, 5 navires, de grosses naves, viennent chaque année, comme il en vient désormais de tous les points de la India portugueza.

page 458 note 2. Grau y Monfalcon, l'auteur du Mémorial informatorio.

page 458 note 3. Recopilacion, III, Titulo 45, leg.l ; Cf. p. 522-540 (De la Navegaciôn, g commercio delas Islas Filipinas, China, Nueva-Espana, y Pem).

page 459 note 1. Les différentes séries de la correspondance de la Casa de la Contrataciôn (A. G. I.) permettent de suivre de jour en jour les attaques de Séville contre son ennemi :1e galion.

page 459 note 2. Discursos sobre los comercios de las dos Indias, donde se tratan materias importantes de Estodo y guerra, dirigida a la Sacra g catolica Najestad del Reg don Felipe Quarto nuestro Senor (Lisbonne, 1622). Édition annotée de 1943, due à l'érndit portugais M. Bensabat Amzalak.

page 459 note 3. L'Alegaciôn en favor de la Compania de la India Oriental (1622, sans indication de lieu); considéré comme perdu depuis de nombreuses années, cet ouvrage vient d'être redécouvert par l'historien portugais Vitorino Magalhaès Godinho qui en prépare une édition commentée. Je dois à son obligeance d'avoir pu consulter cet ouvrage capital.

page 460 note 1. Cf. Cédule du 14 février 1640, publiée par Pastells, t. VIII, p. 281-285.

page 460 note 2. Contaduría, 1211. En 1627, la Caja Real de Manille, à court d'argent pourtant, verse 12 000 pesos pour la défense commune des communications entre Macao et Manille. L'existence des deux cités en dépend.

page 460 note 3. Bien que cet effondrement soit moins profond qu'on l'a cru parfois. Nous pensons pouvoir apporter, sous peu, des pièces à ce dossier.

page 460 note 4. Hamilton, Earl J., t. I, p. 36-37, cité par Fernand Braudel, op. cit., p. 416 Google Scholar.

page 461 note 1. A. G. I. Série de la Contaduría de Filipinas. De 100 000 pesos par an, le montant de l'almojarifazgo tombe aux environs de 10 000 pesos, soit une diminution de trafic de l'ordre des dix-neuf vingtièmes, compte tenu du doublement pendant la même période du taux de l'almojarifazgo, qui passe de 3 à 6 p. 100 ad valorem.

page 461 note 2. Cf. note 2, page 12.

page 461 note 3. P. Pastells, t. VIII, p. 250 et suiv.

page 462 note 1. Borah, Woodrow, Silk raising in colonial Mexico. Berkeley, 1943; in-8°, ix-169 p.Google Scholar, cartes, dans Ibero-Americana, publication de l'Université de Berkeley (Californie). — W. Borah montre, d'une manière magistrale, dans une étude de prix, le grand mouvement de repli qui emporta, à partir de la fin du XVIe siècle, la production de la soie grège mexicaine. Je serais tenté d'afjïrmer, plus catégoriquement que ne le fait W. Borah, l'incidence de l'arrivée de la seda ruda chinoise sur ce repli, puisque je sais par ailleurs (ce que Borah ignorait) que l'effondrement de la soie mexicaine (fin XVIe siècle, début XVIIe) correspond à l'apogée du trafic du galion, à l'arrivée massive, brusque et éphémère de la soie de Chine sur le marché des Indes. L'industrie des soieries de Mexico, par contre, se défend mieux d'abord, elle remplace partiellement la matière première locale par la soie grège chinoise, mais elle ne devait pas tarder, elle aussi, à reculer, puis à se débander, devant les étoffes chinoises, d'un technique supérieure.