Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
L'agriculture française au XIXe siècle a fait l'objet, de la part des historiens économistes, de nombreux travaux qu'on peut classer en deux grandes catégories. D'une part, des histoires générales présentent une fresque des transformations de la France rurale sur une longue période et s'attachent plus à l'évolution des structures qu'à leur description à une époque donnée. D'autre part, de multiples thèses ont été consacrées à des départements ou à de petites régions ; ces monographies très fouillées ont l'avantage d'analyser précisément, dans un cadre géographique étroit, souvent sur plusieurs décennies, les diverses composantes de la production et du revenu agricoles. Ces différents travaux de synthèse ou monographiques procèdent le plus souvent d'une démarche qualitative et descriptive ; ils ne font pas appel à une modélisation explicite, permetttant de spécifier des schémas explicatifs sous forme de relations entre variables : on ne peut donc mettre ces interprétations à l'épreuve statistiquement ni apprécier quantitativement l'influence de certains facteurs.
This study is based on information published in certain districts concerning an 1852 agricultural survey. After a descriptive presentation highlighting regional contrasts, an econometric model is used to account for intra-regional differences in wheat output and prices, as well as in production expenditures (eg. men, women and children's salaries, ox and horse harnesses, and tenant farming rates). Output equations show that people's work's marginal productivity was not lower than their salaries. Other price and cost equations indicate the importance of demographic situation and of the relationship between production and local wheat consumption. The overall results suggest that while there was regional and even national integration of wheat markets in France at that time, this was not true for the labor market and that of other production factors.
* Nous remercions pour leurs remarques Zvi Griliches, Pascal Mazodier et Jacques Mistral, ainsi que les participants au colloque franco-britannique sur l'Histoire économique quantitative (Londres, septembre 1986).
1. Trois grandes synthèses ont été publiées en 1976, celles de Laurent, Robert, dans Braudel, Fernand et Labrousse, Ernest éds, Histoire économique et sociale de la France, t. III, 1789-années 1880, second volume, Paris, pp. 619–767 Google Scholar ; Juillard, d'Etienne, Agulhon, Maurice, Désert, Gabriel et Specklin, Robert, dans Duby, Georges et Wallon, Armand éds, Histoire de la France rurale, t. III, Paris Google Scholar ; de Houssel, Jean-Pierre, Bonnet, Jean-Charles, Dontenwill, Serge, Estier, R. et Goujon, Pierre, Histoire des paysans français du XVIIIe siècle à nos jours, Roanne.Google Scholar
2. Parmi les plus récentes, citons Corbin, Alain, Archaïsme et modernité en Limousin au XIXe siècle, 1845-1880, Paris, 1975 Google Scholar ; Garrier, Gilbert, Les campagnes de l'Ouest lyonnais et du Beaujolais, 1800-1970, Grenoble, 1973 Google Scholar ; Gavignaud, Geneviève, Propriétaires-viticulteurs en Roussillon. Structures, conjonctures, société (XVIIIe-XXe siècle), Paris, 1983 Google Scholar ; Hau, Michel, La croissance économique de la Champagne de 1810 à 1969, Paris, 1979 Google Scholar ; Hubscher, Ronald, L'agriculture et la société rurale dans le Pas-de-Calais, du milieu du XIXe siècle à 1914, Arras, 1979- 1980.Google Scholar
3. Dominique Margairaz, Les dénivellations interrégionales des prix du froment en France, 1756-1870, thèse pour le doctorat de 3e cycle, Université de Paris I. Ce travail est riche en hypothèses, dont l'une est testée à l'aide d'une régression multiple exprimant le prix du froment en fonction de la qualité des grains et du coût de la main-d'oeuvre par hectare ; toutefois celle-ci est calculée, semble-t-il, sur neuf observations, et son R2 = 0,58 est tout juste significatif au seuil de 10 % (p. 218). Sur le même thème, voir aussi Laurent, Robert, « Les variations départementales du prix du froment en France, 1801-1870 », dans Histoire, économies, sociétés, publication du Centre d'Histoire économique et sociale de la région lyonnaise, Université de Lyon-II, 1978, pp. 115–130.Google Scholar
4. Michel Demonet, Tableau de l'agriculture française au milieu du XIXe siècle : l'enquête de 1852, thèse de Doctorat de 3e cycle, EHESS, 1985, 2 vols dactylogr., 496 et 481 p. On peut faire référence aussi à Clout, Hugh, French Agriculture on the Eve of the Railway Age, Londres, Croom and Helms, 1980.Google Scholar Cette étude, assez comparable à celle de M. Demonet pour l'usage des cartes, exploite les résultats de la première enquête agricole de 1835.
5. La France comportait à l'époque 362 arrondissements, tous cultivés en blé, à l'exception de l'arrondissement de Bourganeuf dans la Creuse (la ville de Paris étant exclue de l'enquête). Notre échantillon comporte ainsi 361 observations pour la plupart des variables, ce qui est une bonne taille.
6. Le texte du décret du 1er juillet 1852 est reproduit dans M. Demonet, op. cit., II, pp. 7-20 ; le questionnaire occupe 36 pages. M. Demonet reproduit celui du canton de Nérac (et non de l'arrondissement, comme il est dit à tort, II, p. 21). Sur cet exemple, on voit bien comment les données ont été révisées de façon à harmoniser l'enquête. Dans le canton de Nérac, les experts locaux ont calculé les frais de culture d'un hectare de blé en prenant en compte le salaire journalier d'un ouvrier nourri, alors qu'ils auraient dû utiliser le salaire d'un ouvrier non nourri. Ils trouvent ainsi un total de 144 F (y compris vraisemblablement le supplément moisson), alors qu'ils auraient dû indiquer 164,50 F. Dans le document imprimé, la rectification a été effectuée : les frais de culture par hectare dans l'arrondissement sont bien une moyenne arithmétique des frais de culture de chaque canton, évalués en prenant les salaires journaliers des ouvriers non nourris.
7. M. Demonet, op. cit., I, p. 79.
8. Ibid., I, pp. 59, 446-447.
9. Nous utilisons en outre des moyennes départementales pondérées pour éviter certaines conclusions erronées. Dans le département des Pyrénées-Orientales, par exemple, sur la carte établie par M. Demonet (II, p. 172), l'arrondissement de Prades apparaît dans la classe la plus élevée des rendements, avec 19,71 hl/ha, mais le blé n'y occupe que 651 ha, alors que dans les arrondissements de Perpignan et de Céret, où les rendements sont respectivement de 12,46 et de 15,21 hl/ha, les superficies emblavées atteignent 14 094 et 4 113 ha. Dans ce cas, une moyenne non pondérée fausse la représentation au niveau départemental, de même que la carte par arrondissements peut induire le lecteur en erreur.
10. Statistique de la France, Deuxième série, Statistique agricole, 2 vols, Paris, 1856-1860. M. Demonet, op. cit., I, pp. 90, 101 ; II, pp. 147-149.
11. D'après la Statistique agricole (II, p. 417), une famille de journaliers agricoles de cinq personnes consacre ainsi en moyenne 42,3 % de ses dépenses habituelles totales à l'achat de pain (257 F/607,50 F) et 66 % de ses seules dépenses alimentaires. En 1978-1979, d'après l'enquête : « Budgets de famille » (Coll. de l'INSEE, n° 97, 1982, pp. 94-95), cette proportion n'était plus respectivement que de 2,1 % (1 157 F/56 402 F) et de 6,6 % pour un ménage de salariés agricoles.
12. Les valeurs du coefficient de variation et de la médiane donnée dans le texte sont légèrement différentes de celles du tableau en annexe, qui sont estimées sous l'hypothèse d'une distribution lognormale : 0,28 au lieu de 0,29 pour le coefficient de variation, et 12,8 au lieu de 13 hl/ha pour la médiane.
13. D. Margairaz, op. cit., pp. 210, 213 ; M. Demonet, op. cit, II, p. 178. Le poids d'un hectolitre de blé est en moyenne de 73,7 kg, avec un écart type (très faible) de 2,5 kg, tandis que la quantité de farine donnée par hectolitre de blé est en moyenne de 56,9 kg, avec un écart-type de 4,3 kg. Ces deux variables sont pratiquement sans corrélation avec le rendement.
14. Le nombre annuel de jours de travail d'hommes par hectare est particulièrement élevé dans tout le Massif armoricain, en Alsace, en Limagne, dans les départements du Nord, du Rhône et du Tarn ; il est faible en Champagne, en Lorraine et en Corse.
15. D. Margairaz, op. cit., p. 232.
16. M. Demonet classe de ce point de vue le froment parmi les produits à prix faiblement variants à courte distance. M. Demonet, op. cit., I, pp. 376, 377, 384, 390-394 ; II, p. 458.
17. A titre de comparaison, en 1983, il faut travailler 0,6 journée payée au SMIC pour acheter un hectolitre de blé, soit 20 fois moins de temps qu'en 1852 en moyenne (11,3 fois moins à Sceaux et 40 fois moins à Quimperlé) — ce qui représente un taux de croissance moyen du pouvoir d'achat en blé de 2,3 % par an (1,9 % à Sceaux et 2,9 % à Quimperlé). Un kilo de pain de froment de première qualité coûte 48 % de plus qu'un kilo de blé (cf. Statistique de la France, Prix et salaires à diverses époques, Strasbourg, 1853). Il faut pour un kilo de blé en moyenne 1,35 litre de blé, et pour un kilo de farine, 1,30 kilo de blé ; un kilo de farine donnant 1,30 kilo de pain, à un kilo de blé correspond donc environ un kilo de pain.
18. C'est ce que montre également M. Demonet, op. cit., I, p. 429 ; II, p. 469.
19. On a préféré présenter les cartes des salaires relatifs des femmes et des enfants plutôt que celles de leurs salaires absolus, car celles-ci sont très semblables à la carte des salaires absolus des hommes (carte 5a). Les écarts absolus de salaires d'un département à l'autre l'emportent en effet largement sur les variations des salaires relatifs.
20. Pour une étude des différences de salaires selon le sexe et l'âge, à la même époque, dans l'industrie cotonnière, voir Jean-Marie Chanut, Jean Heffer et Jacques Mairesse, « Les différences de productivité et de salaires dans l'industrie cotonnière française vers 1840 », dans Jorberg, L. et Rosenberg, N. éds, Technical Change, Employment and Investment, Lund, Department of Economie History, Lund University, 1982, pp. 43–51.Google Scholar
21. Les commissions cantonales raisonnent pour calculer les frais d'attelage comme si, dans une circonscription administrative donnée, les cultivateurs recouraient à un mode exclusif d'attelage. En réalité dans la plupart des arrondissements on emploie les deux types d'attelages, même s'il est vrai qu'un seul type est utilisé très majoritairement. On dispose d'ailleurs des prix des deux types d'attelage pour presque tous les arrondissements : 350 sur 361 et 330 sur 361 respectivement pour les attelages de chevaux et ceux de boeufs. Nous avons pu ainsi vérifier que les commissions utilisent le prix d'un seul type d'attelage pour calculer les frais d'attelage au niveau des arrondissements (FRATL = NBJATC x PCHEV, ou FRATL = NBJATB x PBOF).
22. M. Demonet souligne bien cette complexité dans sa thèse, op. cit., I, pp. 452-467.
23. Nous ignorons également les marchés des autres céréales importantes à l'époque (avoine, maïs, sarrasin, seigle). En outre nos données sont agrégées au niveau des arrondissements, et non pas relatives aux exploitations agricoles elles-mêmes. Ces limitations sont sans doute moins graves.
24. Les équations réduites d'un modèle expriment les « variables endogènes » (ou variables à expliquer) en fonction des seules « variables exogènes » (ou variables explicatives). Par opposition aux équations réduites, les « équations structurelles » du modèle peuvent faire intervenir dans l'explication d'une variable endogène, outre les variables exogènes, les autres variables endogènes. En principe les équations réduites se déduisent des équations structurelles, et les équations structurelles sont spécifiées directement en fonction de considérations théoriques (et des résultats d'études antérieures).
25. Lorsqu'on retient une forme à rendements non constants (en faisant intervenir explicitement la variable HA dans notre formulation), le paramètre de rendement estimé (somme des élasticités des facteurs) n'est en fait pas significativement différent de 1. Nous avons essayé aussi pour appréhender le rendement d'échelle au niveau des exploitations d'utiliser une variable indicatrice de la proportion des fermes de plus de 5 hectares, mais sans résultat.
26. Nous avons créé la variable de qualité des sols pour les besoins de l'étude, en distinguant trois catégories de terres bonnes, moyennes et médiocres, et en classant chaque arrondissement dans une d'entre elles. Notre source est la carte pédologique au 1/1 000 000e de la France, établie par Jacques Dupuis, et publiée par l'INRA (Bibl. nat., Ge B 12435). Nous avons retenu les définitions suivantes : — bonnes terres : sols bruns lessivés (et associés à sols humiques carbonates et à rendzines typiques), sols bruns eutrophes, sols bruns calcaires (et associés à rendzines rouges), sols d'alluvions fluviales ; — terres moyennes : rendzines typiques (et associées à sols humides carbonates), rendzines rouges (et associées à sols bruns lessivés), sols bruns méditerranéens, sols rouges, sols d'alluvions marines ; — terres médiocres : podzols, sols podzoliques et ocres-podzoliques, sols lessivés, sols bruns acides, rankers, sols de tourbières, de dunes et lithosols. Généralement, le sol de l'arrondissement a été défini à partir de la forme pédologique dominante. Quand il y avait une trop grande diversité, on a calculé une moyenne. Cette façon de faire n'est pas cependant sans défaut. Il n'est pas évident en effet que, dans un arrondissement donné, le blé soit cultivé également sur tous les types de sols ; s'il est réservé de préférence aux bonnes terres, le rendement moyen de l'arrondissement peut être relativement élevé, alors que la qualité moyenne des sols est par ailleurs médiocre.
27. La fonction de Cobb-Douglas suppose que les élasticités de substitution entre les facteurs sont unitaires. Il aurait été possible d'adopter une formulation plus flexible, comme la fonction « translog » ou une forme de type « CES ». L'expérience que nous avons d'estimations sur des données en coupe nous en a dissuadés ; les estimations des paramètres du second ordre telles que les élasticités de substitution apparaissent en effet peu fiables. La fonction de Cobb-Douglas est une équation structurelle, où les quantités de facteurs sont en principe des variables endogènes d'un modèle plus large de comportements des exploitants. On peut admettre notamment, comme nous venons de l'indiquer, que ceux-ci choisissent les quantités de facteurs de façon optimale (coûts minimaux et profits maximaux). On pourrait craindre dans ces conditions que les estimations des moindres carrés simples puissent être affectées par des biais de simultanéité. Dans notre contexte il est néanmoins vraisemblable que ces biais seraient très faibles. Les principaux aléas affectant la production de blé sont en effet d'origine climatique et ne se répercutent pas dans les équations de demande des facteurs ; ceux-ci sont déterminés en fonction de la production anticipée et largement indépendants de ces aléas.
28. Il aurait été intéressant notamment de pouvoir disposer d'une variable de revenu global par habitant (ou de richesse) au niveau de l'arrondissement, ou au moins à celui du département. Une telle variable est cependant délicate à évaluer ; elle serait sans doute assez fortement corrélée avec nos variables de salaires journaliers agricoles.
29. On aurait pu également utiliser comme variable le rapport entre quantités consommées et récoltées des autres céréales pour essayer de tenir compte de leurs substitutions possibles avec le blé. On peut penser aussi à mesurer un tel rapport pour chaque arrondissement et pour l'ensemble des arrondissements contigus, plutôt que pour le département. Cette façon de faire a cependant l'inconvénient d'engendrer des autocorrélations spatiales, et de conduire à des méthodes économétriques délicates à mettre en oeuvre et sans doute trop raffinées pour un essai tel que le nôtre.
30. Nous avons également essayé comme variables la population totale et la densité de population agricole (au lieu de POP AD et DeNS) avec des résultats presque identiques. Ce qui importe est de caractériser la situation démographique à la fois de façon extensive et de façon intensive.
31. La variable indicatrice DURB est prise égale à 0 pour les arrondissements ruraux, et égale à 1 pour les arrondissements « urbains », définis comme ceux où la population des villes principales de l'arrondissement est supérieure à 10 000 habitants. Suivant cette définition 133 arrondissements (sur 361) sont urbanisés dans la France de 1852.
32. Comme les coefficients estimés des principales variables dans les trois équations de salaires ou dans les deux équations de frais d'attelage sont dans l'ensemble assez comparables, nous avons aussi l'option de contraindre ces coefficients à être égaux dans les deux groupes d'équations. Nous pourrions ainsi considérer que nous avons une seule équation globale, le salaire, avec deux variables indicatrices pour les femmes et les enfants (FEM et ENF) permettant d'estimer les effets différentiels moyens du sexe et de l'âge sur le salaire (et avec éventuellement des variables indicatrices d'interaction FEM * REG et ENF * REG). De la même façon nous pouvons admettre une seule équation de frais d'attelage avec une variable indicatrice (BOF), dont le coefficient estime l'effet différentiel moyen du type d'attelage sur le coût. Cette approche a l'avantage d'une certaine simplicité de présentation et nous l'avons suivie dans notre étude sur les différences de salaire dans l'industrie cotonnière (J. M. Chanut, J. Heffer, J. Mairesse, op. cit., ). Nous avons préféré ne pas l'adopter ici. En effet certains des coefficients dans les équations de salaires et de frais d'attelage séparées sont statistiquement différents (même si ces différences ne sont pas très importantes en tant que telles). Dans les deux cas les F des tests d'égalité de tous les coefficients ou des seuls coefficients des variables QC/HL, POP AD, DeNS et DURB (en admettant la possibilité d'interactions régionales) sont de l'ordre de 10. Par ailleurs, plutôt que d'empiler les équations en une seule, il serait plus correct de les estimer comme un système, en imposant les contraintes d'égalité des coefficients entre équations qui paraissent appropriées. L'ensemble de nos sept équations de prix et de coûts des facteurs, et même l'ensemble de notre modèle y compris l'équation de rendement (si l'on est prêt à admettre que les quantités de facteurs sont aussi des variables exogènes — cf. note 21), constitue en fait un système de régressions simultanées. Il serait préférable en principe de ne pas estimer séparément chaque régression par la méthode des moindres carrés simples, mais de les estimer conjointement par celle des moindres carrés généralisés, pour tenir compte des corrélations entre leurs termes d'erreurs ou résidus. Bien que ces corrélations soient pour nombre d'entre elles assez fortes, comme nous le verrons, nous avons pu vérifier que pratiquement ces deux méthodes conduisaient dans notre cas aux mêmes estimations, aussi bien pour les écarts-types estimés que pour les coefficients eux-mêmes. Un problème potentiellement plus important que celui des corrélations des résidus entre équations est, dans une analyse comme la nôtre, le problème de leurs autocorrélations spatiales. Ces corrélations paraissent devoir être élevées, comme le montre une analyse de la variance des résidus au niveau départemental. La part de la variance interdépartementale (par rapport à la variance totale) va en effet de 45 % pour le résidu de l'équation de prix à presque 80 % pour celle du salaire journalier des hommes, ce qui indique des corrélations très significatives entre résidus pour des arrondissements voisins (à l'intérieur d'un même département). Vouloir tenir compte de ce problème conduirait à mettre en oeuvre des méthodes d'économétrie spatiale, qui ont été encore assez peu expérimentées et qui au stade actuel de la recherche ne nous ont pas parues indispensables. Même en présence d'autocorrélations des erreurs, les estimations des simples moindres carrés restent en effet convergentes pour les coefficients eux-mêmes ; on peut simplement craindre que leur précision soit moindre que celle calculée (écart-types estimés minorés).
33. En termes économétriques, cette interprétation peut s'exprimer simplement en considérant que nos variables indicatrices SOL sont trop grossières, et qu'il manque dans notre équation une variable traduisant de façon plus satisfaisante la qualité et la nature des terres cultivées. Si cette variable présente une corrélation négative élevée avec le nombre de journées et les frais d'attelage, comme il est probable, son omission de l'équation entraîne un biais négatif sur les estimations des élasticités correspondantes. Une autre raison plausible pour une minoration importante de ces estimations est l'existence d'erreurs de mesure affectant directement les variables d'attelage. Ces erreurs semblent devoir être assez fortes ; en particulier les commissions cantonales ayant rempli les questionnaires du recensement, ainsi que les autorités au niveau des arrondissements chargées de les vérifier et de les corriger, ont supposé que les journées et frais d'attelage étaient exclusivement d'un type ou de l'autre (cheval ou boeuf), ce qui est une approximation plus ou moins bonne suivant les arrondissements.
34. La seule autre exception est le coefficient de la variable indicatrice Méditerranée.
35. On vérifie d'ailleurs que si l'on substitue dans l'équation en valeur (1’), REND à PRODH ou encore SEM à SEMVAL, on retrouve une élasticité estimée des semences beaucoup plus faible et à peine supérieure à 0,14 (respectivement 0,18 et 0,16). Le fait que l'effet régional Méditerranée soit nettement moins faible dans l'équation en valeur que dans celle en unités physiques : - 10 % au lieu de - 19 %, se comprend de la même façon que pour l'estimation de l'élasticité des semences. En effet les prix du blé sont en moyenne plus élevés dans cette région que dans les autres, ainsi que le montrent les effets différentiels estimés dans l'équation de prix.
36. Les variables de poids d'un hectolitre de blé et de quantité de farine donnée par hectolitre de blé, alors qu'elles sont sans corrélation avec le rendement, sont fortement corrélées avec le prix du blé. L'introduction de l'une ou l'autre dans l'équation de prix améliore sensiblement le R2 (de 0,50 à 0,56). En outre le coefficient estimé pour ces variables n'est pas significativement différent de 1. Il serait donc préférable, ce qui paraît assez naturel, de choisir comme variable à expliquer le prix du kilogramme de blé ou de farine. Nous ne l'avons pas fait par souci de cohérence avec la mesure de rendement en hectolitre, mais les résultats de nos estimations n'en auraient pratiquement pas été changés (coefficients estimés et corrélations des résidus estimés).
37. Un calcul simple montre en effet qu'au voisinage de l'équilibre (QC/HL = 1) cette élasticité doit être de l'ordre de la part des coûts de transports dans le prix. Il paraît plausible que cette part n'ait pas été supérieure à quelques pour cent en moyenne, pour des transports de blé en quantités relativement limitées et sur des distances généralement assez faibles. Si les différences de prix du blé reflètent surtout les différences de coûts de transport, on peut s'attendre aussi à ce que la variable QC/HL joue de façon dissymétrique sur le prix : avec un effet positif s'il y a déficit, et un effet nul ou plus faible s'il y a surplus. Nous avons donc testé cette hypothèse en distinguant les deux cas et en utilisant pour cela deux variables au lieu d'une (DQC/HL = QC/HL si QC/HL 1’ = 0 sinon ; SQS/HL = QL/HL si QC/HL 1’ = 0 sinon). Les résultats sont probants, puisqu'on trouve une estimation de 0,058 (pour un écart-type estimé de 0,026) dans le cas de déficit (élasticité de DQC/HL), et une estimation quasi nulle (0,005 avec un écart-type estimé de 0,018) dans le cas de surplus (élasticité de SQC/HL). Lorsqu'on utilise ces deux variables dans les équations autres que celle de prix, on retrouve assez curieusement le même phénomène pour l'équation des frais d'attelage de chevaux ; pour les autres équations les estimations des élasticités à la hausse et à la baisse ne diffèrent presque pas (et sont presque égales à l'estimation de l'élasticité de QC/HL).
38. Les estimations obtenues avec la mesure par arrondissement de QC/HL apportent une confirmation supplémentaire, en tendant à montrer que l'intégration des marchés de la main-d'oeuvre (et des animaux de trait) va au-delà des arrondissements et se réalise plutôt au niveau de territoires tels les départements. Nous avons déjà indiqué notre préférence pour la mesure de QC/HL par département. La mesure par arrondissement donne en effet des ajustements un peu moins précis, ce qui explique notre choix, mais elle conduit aussi à des élasticités estimées qui sont de l'ordre de deux à trois fois moins élevées pour les salaires et les frais d'attelage, et restent nulles ou aussi faibles pour le taux de fermage et le prix du blé. L'excès de la demande ou de l'offre locale de blé se traduit donc par des effets sur les salaires et les frais d'attelage d'autant plus forts qu'il se manifeste pour l'ensemble du département plutôt qu'au niveau de l'arrondissement. Ce résultat suggère que des compensations et des reports interviennent assez aisément entre arrondissements voisins.
39. Lorsque nous mesurons la population et la densité au niveau de l'arrondissement les ajustements sont légèrement moins précis, ce qui explique notre choix de la mesure départementale, mais l'influence totale de variables démographiques n'est que peu diminuée, contrairement à ce que nous observons pour la variable QC/HL (cf. note précédente).
40. Il conviendrait bien sûr dans l'idéal de pouvoir spécifier directement dans les équations les différents facteurs régionaux ou variables omises, de sorte que les variables indicatrices régionales soient elles-mêmes superflues.
41. De façon précise nous avons centré les variables exogènes par rapport à leur moyenne, et nous avons contraint la somme des sept coefficients régionaux à être nulle dans chaque équation.
42. Si l'on exclut les variables indicatrices régionales de nos équations, les R2 diminuent assez faiblement pour l'équation de rendement (0,58 à 0,45), mais beaucoup plus fortement pour les autres équations, notamment celle des prix (de 0,50 à 0,10). En outre, à l'exception de l'équation de rendement, les estimations des élasticités (de QC/HL, POPAD, DeNS) sont très modifiées, montrant que les « liaisons interrégionales » sont très différentes des relations intrarégionales que nous analysons.
43. Ces deux tableaux donnent également les écarts-types de variables et des résidus estimés, qui se trouvent déjà dans le tableau en annexe (colonne coefficient de variation) et dans les tableaux 1 et 2 (lignes SE).
44. Autrement dit, si nous avions préféré mesurer nos variables de coûts des facteurs en termes réels (en indexant salaires journaliers, frais d'attelage et taux de fermage par le prix du blé), nous aurions obtenu des corrélations négatives avec le prix (ou au mieux une corrélation presque nulle pour le taux de fermage).
45. Ces estimations sont calculées simplement à partir des régressions portant sur les résidus estimés de nos équations. Mais ce sont aussi celles que l'on aurait obtenues si on avait ajouté dans nos équations les variables endogènes correspondantes et estimé directement les équations complétées par les moindres carrés.
46. Voir, sur ce point, l'étude de Cormac O'Grada, Arthur Young's AgriculturalStatistics : a Reassessment, Document de travail, University Collège of Dublin, et Center for Economie Policy Research, Londres, 1986.