Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Aucun texte ne peut tirer son sens d'ailleurs que de son contexte socio-historique. Le récit généralement connu sous le titre de Vie de saint Grégoire, ou Vie du pape Grégoire, évoque l'histoire d'un homme qui, né de relations incestueuses entre un frère et une soeur et ignorant les conditions de sa naissance, épouse un jour sa mère ; après une longue et extraordinaire pénitence pour ce double « péché », il est appelé par Dieu lui-même au trône pontifical, qu'il illustre par sa sainteté. Les plus anciennes rédactions connues de ce récit sont d'origine française et semblent pouvoir être datées du XIIe siècle ; mais il a été largement reproduit, sous des formes diverses, non seulement jusqu'à la fin du Moyen Age, mais aussi à l'époque moderne et encore au XIXe siècle, où il figure dans des collectes de contes.
In the Vie de saint Grégoire, a text written in French dating back to the 12th century, a man born of an incestuous brother/sister relationship went on to marry his mother and eventually became a pope and a saint. The precise ordering of notations of spatial and social position allows one to bring to light the narrative's structure, seeming, in the end, to correspond to that of a clerical account of good social order—that social order which was contested by the knights because of its kinship organization and the social role it conferred on the clergy. This debate can only be understood, however, if one takes into account the major importance of symbolic and material spatial relations.
1. Ces titres voisinent, à l'époque contemporaine, avec ceux de Légende de saint Grégoire ou Légende du bon pécheur ou encore, dans le domaine germanique, avec celui de Gregorius aufdem Stein. Les six manuscrits de la version française du XIIe siècle ont pour titre De saint Grégoire ou Vie (de Monseigneur) saint Grégoire ; cf. l'édition de Sol, H. B., La vie du pape saint Grégoire. Huit versions françaises Medievales de la Légende du bon pécheur, Amsterdam, Rodopi, 1977, pp. 2–3.Google Scholar
2. Sur ce dossier moderne et contemporain, on peut consulter avec profit, d'un point de vue documentaire, Diederichs, V., « Russische Verwandte der Légende von Gregor auf dem Stein und der Sage von Judas Ischariot », Russische Revue, 17, 1880, pp. 119–146 Google Scholar ; Seelisch, A., « Die Gregoriuslegende », Zeitschrift fur deutsche Philologie, 19, 1886, pp. 384–421 Google Scholar ; Ranke, O., Das Inzest-Motiv in Dichtung und Sage. Grundzùge einer Psychologie des dichterischen Schaffens, Leipzig-Vienne, 1912, chap. 10, pp. 336–367 Google Scholar. L'histoire de Grégoire a été retenue comme le contetype 933 dans la classification de Aarne-Thompson, The Types of the Folktale. La seule version française connue est la version bretonne Le frère, la soeur et leur fils le pape de Rome éditée par Luzel, F. M. dans ses Légendes chrétiennes de Basse-Bretagne, Paris, 1881, t. II, pp. 18–29 Google Scholar. Nous remercions M. L. Tenèze pour ses indications sur ce point.
3. En français : outre la version du XIIe siècle déjà citée, on connaît une version en alexandrins (XIVe siècle ou XVe siècle) et une courte version en prose (fin du XIVe siècle), également éditées par H. B. Sol, La vie du pape saint Grégoire, pp. 367-402 ; on citera aussi, Le violier des histoires romaines, M. G. Brunet éd., Paris, P. Jannet, 1858, chap. 79, pp. 197-214. En allemand, au texte de Hartmann von Aue (Gregorius, éd. bilingue, F. Neumann et B. Kippenberg, Stuttgart, Reclam, 1981), s'ajoutent deux mises en prose évoquées par Sparnaay, H., Hartmann von Aue. Studien zu einer Biographie, Halle, 1933, t. I, pp. 133–134 Google Scholar. Le récit en moyen anglais, conservé par quatre manuscrits a été édité par Keller, C., Die mittelenglische Gregoriuslegende, Heidelberg-New York, 1914 Google Scholar. En latin : Gesta Romanorum, n° 81 dans l'édition H. Oesterley, Berlin, 1872 et n° 170 dans l'édition W. Dick, Erlangen-Leipzig, 1890. Arnold von Lùbeck : Buchwald, G. Von éd., Arnoldi Lubecensis Gregorius Peccator de teutonico Hartmanni de Aue in latinum translatus, Kiel, 1886 Google Scholar. Il semble que certains recueils d'exempla aient également véhiculé l'histoire de Grégoire en l'attribuant à un saint Albanus ou Albinus : H. Sparnaay, op. cit., pp. 138-139 et Kôller, R., Kleinere Schriften, Weimar, 1899, pp. 184–190.Google Scholar
4. Le texte en octosyllabes à rimes plates, datable du XIIe siècle (sans autre précision possible) est conservé dans six manuscrits (début XIIIe-fin xve siècle) que les éditeurs répartissent en deux « familles » A et B de trois manuscrits chacune. On observe quelques croisements entre ces deux ensembles et chaque manuscrit apporte ses variantes à un texte dont l'unité est par ailleurs indiscutable. La version Bl pourrait être la plus ancienne. Sur ces questions textuelles, voir l'édition de H. B. Sol, citée note 1.
5. Une ébauche de cette étude a été proposée, ainsi qu'une brève analyse de la version française en alexandrins et du conte breton de Luzel, dans Réception et identification du conte depuis le Moyen Age, actes du colloque de Toulouse, janvier 1986, textes réunis par M. Zink et X. Ravier, Toulouse, 1987, pp. 20-38.
6. Le groupe des manuscrits A donne globalement des textes plus longs que ceux des manuscrits B (environ 200 à 700 vers de plus) ; trois épisodes y reçoivent un développement plus ample : le combat sous les murs de la cité assiégée, l'arrivée de Grégoire à Rome et les retrouvailles finales du pape et de sa mère, épisode également adopté par les manuscrits B2 et B3 ; les épilogues eu XIII êmes diffèrent légèrement en contenu et en longueur.
7. L'identification du héros du récit ne se fait pas de manière analogue dans tous les manuscrits : B2 et B3 sont muets sur ce point ; Bl (v. 2033-2042), Al (v. 2720-2724) et A2 (v. 2671-2680) font allusion à l'un des papes qui ont porté ce nom, Bl déniant seul l'assimilation à Grégoire le Grand, considéré comme l'« inventeur » du chant ; c'est A3 (v. 2698-2707) qui affirme le plus clairement cette assimilation. L'hagiographie moderne a retenu, pour Grégoire le Grand, une Vie latine due sans doute à Jean le Diacre (ixe siècle), dont on connaît deux adaptations en français ( Montaiglon, A. De, Romania, 8, 1879, pp. 509–544 Google Scholar ; et Meyer, P., Romania 12, 1883, pp. 145–208 Google Scholar). Le contenu de ces textes n'a rien à voir avec celui du récit étudié ici.
8. Voir Alain Guerreau, Structures des représentations et de la société dans l'Europe féodale, à paraître.
9. V. 3, v. 63-595 et 1035-1628 du texte Bl, auquel nous nous référerons généralement.
10. La mention de l'Aquitaine apparaît dans tous les manuscrits du texte du XIIe siècle, issus de la France du Nord et de l'Ouest et de l'Angleterre ; elle se retrouve chez Hartmann von Aue et dans le récit en moyen anglais. Elle est absente non seulement des Gesta romanorum, mais aussi des versions françaises de la fin du Moyen Age.
11. V. 63-65.
12. V. 4 des manuscrits A : « Si pèche furent molt estrange ».
13. V. 1837-1862 et 2029-2032 en B1 ; les manuscrits A donnent à cet épisode une ampleur plus considérable : v. 2302-2394 et 2579-2710 pour Al, en partie suppléé par A2.
14. V. 612-1034.
15. V. 1767-1836 et 1925-2006.
16. Voir en particulier v. 600-651 ; 1035-1039.
17. Dieu intervient explicitement dans la première navigation de Grégoire (v. 600-603 ; 609- 632) et le diable dans la deuxième (v. 1037-103). Les puissances surnaturelles ne sont certes pas absentes du domaine terrestre ; mais leur pouvoir semble s'exercer de manière moins absolument contraignante et laisser un champ un peu plus large à l'initiative et aux choix humains.
18. Alain Guerreau, ouvr. cit. n. 8
19. En Aquitaine, seules des zones excentriques ont un rapport avec la mer : le château du bon vassal, visiblement situé à l'écart ; la cité assiégée, où la dame se trouve en quelque sorte acculée. Le centre de la vie se situe loin de la mer : Grégoire, fuyant son palais de comte, n'atteint le rivage qu'au troisième jour de marche (v. 1614-1617). De même, Rome n'est pas au bord de l'eau et le mode de transport utilisé alors par Grégoire n'est pas précisé (v. 2031 et v. 2579 en Al). Toutefois, dans la constellation des traits, réels et symboliques à la fois, qui constituaient probablement, pour les gens du Moyen Age, l'image de Rome comme centre de la chrétienté, figurait certainement une proximité à l'eau (Tibre et Méditerranée) dont la Vita Egidii, par exemple, donne une image claire (AASS 1er septembre, pp. 299-303).
20. Des mentions temporelles apparaissent tout au long du récit, mais en nombre au total restreint. Elles revêtent souvent une valeur symbolique : le viol de la jeune fille a lieu au cours d'une nuit d'été (minuit dans certains manuscrits), moment qui, par référence aux représentations chrétiennes et au code chevaleresque (l'été comme temps de l'amour), semble bien propre à montrer l'exacerbation d'une sexualité diabolique ; la conception immédiate de l'enfant le fait probablement naître en période de Carême, temps sacralisé entre tous dans le cycle calendaire, ce qui s'accorde au « saintisme engendrement » et à la sainteté de Grégoire ; on note également l'usage des chiffres 3, 7, 12 pour diverses durées. De plus, les notations temporelles ne paraissent pas distribuées au hasard : à l'été de la conception de Grégoire répond l'été de sa désignation comme pape ; à la nuit de cette même conception répondent celle de son abandon à la mer et celle de son second départ d'Aquitaine. Mais, à notre sens, ces mentions, qui s'intègrent au récit pour en souligner certaines articulations, ne constituent pas une structure suffisamment « pleine » pour former un véritable code.
21. V. 235-548.
22. Ses qualités essentielles sont sa fidélité et sa loyauté, son rôle celui d'un conseiller et d'un garant parfait vis-à-vis de seigneurs qui, livrés à eux-mêmes, accumulent les erreurs.
23. V. 1049-1274 ; v. 1317-1348 ; v. 1617-1804.
24. V 1377-1380.
25. V 1155-1226 ; dans son étude sur Hartmann, H. Sparnaay consacre plusieurs pages aux « motifs » chevaleresques qui peuvent effectivement donner lieu à de nombreux rapprochements avec les romans des XIIe-XIIIe siècles, ouvr. cit. n. 3, pp. 148, 164, 172-178. Sur la mise en oeuvre de cette thématique dans la littérature romanesque et sur sa signification sociale, voir Guerreau, Alain, « Renaud de Bâgé : Le Bel Inconnu. Structure symbolique et signification sociale », Romania, 103, 1982, pp. 28–82.CrossRefGoogle Scholar
26. On soulignera en particulier l'absence de clercs lors du mariage de Grégoire, cérémonie qui suscite souvent, dans les romans, l'intervention de prêtres ou d'évêques (par exemple chez Chrétien de Troyes : Erec v. 1980-2020 ; Cligès v. 3288-3289 ; Yvain v. 2152-2160). Cette référence n'est certes pas systématique ; mais ici, l'omission totale non seulement des clercs, mais même de la messe dans un récit où il en est fait d'autres mentions et dans un passage où apparaît précisément la thématique chevaleresque semble intentionnelle. Le choix de tels détails narratifs concourt à une forte caractérisation des épisodes, propice à une meilleure compréhension de leur sens.
27. Contrairement au cas du Gregorius de Hartmann, on ne dispose d'aucune indication sur le ou les auteurs des premières versions françaises conservées. Au terme d'une assez longue fréquentation de ces dernières, nous leur attribuerions volontiers une origine ecclésiastique, que les rédacteurs soient effectivement clercs ou laïcs : les différents registres du discours nous paraissent en effet viser, comme ce travail tente de le montrer, à une défense et à une illustration de la position de l'Église dans la société et de la légitimité des valeurs par elle prônées.
28. V. 771-773 ; 885-887 ; Al 2723-2724.
29. Grégoire est adoubé par l'abbé (les modalités de cet adoubement ne sont pas précisées, mises à part la fourniture des « garnemenz » de chevalier et la confection d'un bliaut avec le « paile » qui se trouvait dans le berceau). Aussitôt après, le jeune homme traverse la mer et, parvenu directement en Aquitaine, il y est engagé comme chevalier « soldeer » et se distingue au combat. Le texte ne mentionne donc clairement ni le rite d'entrée en chevalerie, ni la période de préparation dont ce dernier marque, en principe, le terme. Sur cette question, voir Treis, K., Die Formalitàten des Ritterschlags in der altfranzôsischen Epik, Berlin, 1887.Google Scholar
30. V. 889 ; 1012-1018.
31. Ces personnages assurent par leur activité une partie au moins de la subsistance des moines (v. 616-619). Cette nourriture est bien évidemment caractéristique d'un monde chrétien et ecclésiastique. Au contraire, la chasse évoque peut-être, pour l'Aquitaine, la prédominance d'une nourriture carnée, le poisson n'apparaissant précisément qu'au moment où Grégoire s'apprête à quitter cette contrée (v. 1193-1194) ou, toujours chez le même pêcheur, comme nourriture des clercs romains et instrument du miracle de la clé (v. 1871-1888).
32. Al v. 977-1005. Bl parle de jeu, sans précision, B3 évoque un jeu avec une fille du pêcheur. La nature et les règles de ces jeux, leur rapport avec la soûle ne paraissent pas clairs : il semble s'agir ici d'une course avec une « pelote » comportant une certaine brutalité. Sur ces jeux physiques, pratiqués en particulier lors de certaines fêtes, comme ici, de manière suffisamment violente pour figurer dans les lettres de rémission, voir Vaultier, R., Le folklore pendant la guerre de Cent Ans, Paris, Lib. Guénégaud, 1965, pp. 103–105 Google Scholar et 191-195 ; s.v. barre et pelote : Gay, V., Glossaire archéologique du Moyen Age et de la Renaissance, Paris, Picard, 1887-1928 Google Scholar ; Toblerlommatzsch, Altfranzôsiches Wôrterbuch ; le jeu de pila est aussi mentionné par Jean Beleth dans sa Summa deecclesiasticis officiis, H. DouTEiLéd., Turnhout, Brepols, 1976, pp. 223 et 308.
33. Parmi les innombrables détails narratifs dont une analyse moins brève du code « social » permettrait de rendre compte, nous relèverons ici l'exemple des biens matériels : désignés par la mère de Grégoire, dans les tablettes, comme le « chatel » de l'enfant (v. 442), les quatre marcs d'or « bien esmeré » sont mis de côté par l'abbé avec les tablettes et le « paile » (v. 727-731), avant d'être rendus au jeune homme au moment de son départ de l'abbaye (v. 1025-1030). Ces objets ne jouent donc aucun rôle durant cet épisode, mais sont clairement désignés comme liés aux pratiques laïques et aristocratiques.
34. V. 1767-1836 et 1925-2006.
35. V. 1805-1828.
36. V. 1783-1786.
37. V. 1941-1944 ; Al v. 2495-2497.
38. Sur l'intervention divine : v. 1843-1862 ; sur le poisson et la clé : v. 1871-1892 et 1984- 1996 ; sur les tablettes : v. 2011-2028.
39. V. 1843-1846 ; Al 2319-2327 ; A2 p. 336.
40. Lors du voyage vers l'île, l'acteur visible est un pêcheur à qui sa méchanceté et sa duplicité confèrent un caractère un peu diabolique (il se sent du reste promis à l'enfer, v. 1897-1898) ; mais la volonté supérieure de Dieu dans ce passage est sensible (en particulier v. 1784). Pour le voyage de retour, ce sont les clercs qui jouent le rôle d'instruments de la volonté divine.
41. Guerreau-Jalabert, A., « Sur les structures de parenté dans l'Europe Medievale », Annales ESC, 6, 1981, pp. 1028–1049 Google Scholar ; ainsi que deux articles à paraître, l'un sur le vocabulaire de la parenté dans la revue Alma, t. 46, 1988, l'autre à propos de l'ouvrage de J. Goody cité ci-dessous, dans la revue L'Homme, à paraître (1989, n° 2). Duby, G., MedievalMarriage. Two Models from Twelfth-Century France, Baltimore-Londres, The J. Hopkins University Press, 1978 Google Scholar ; et la version française Le chevalier, la femme et le prêtre. Le mariage dans la France féodale, Paris, Hachette, 1981. On renverra également à Guerreau, A., Le féodalisme. Un horizon théorique, Paris, Le Sycomore, 1980, pp. 184–191 Google Scholar ; et à deux textes parus plus récemment : Goody, J., L'évolution de la famille et du mariage en Europe, Paris, Armand Colin, 1985 Google Scholar et D. Barthélémy, « Parenté » dans Histoire de la vie privée, sous la direction de G. Duby, pp. 96-161.
42. Sur le comput de la parenté au Moyen Age : Ourliac, P. et Malafosse, J. De, Histoire du droit privé. Le droit familial, Paris, PUF, 1968, pp. 168–196 Google Scholar ; Dictionnaire de théologie catholique, t. 11,2 s. v. « Parenté (Empêchements de) » et t. 1, 1 s. v. « Affinité, empêchement de mariage » ; A. Guerreau, ouvr. cité n. 41, p. 186 ; J. Goody, ouvr. cité n. 41, pp. 139-149. On doit souligner que le comput dit « germanique », en vigueur à partir de la période carolingienne, double l'extension du cercle des parents, qui sont en même temps ceux que l'on ne peut épouser ; la limite du septième degré canonique correspond donc au quatorzième degré du comput romain. Sur l'interdiction des parents spirituels dès le Haut Moyen Age, Lynch, J. H., Godparents and Kinship in Early Medieval Europe, Princeton, Princeton University Press, 1986.Google Scholar
43. Sur l'analyse d'un système d'alliance reposant sur l'échange généralisé asymétrique, voir l'ouvrage fondamental de Leach, E. R., Political Systems ofHighlandBurma. A Study ofKachin Social Structure, 1954, trad. frse, Paris, Maspero Google Scholar, 1972. Sur l'application possible de ce modèle à la société Medievale, Ruiz-Domenec, J. E., « Système de parenté et théorie de l'alliance dans la société catalane (env. 1000-env. 1240) », Revue historique, 532, 1979, pp. 305–326 Google Scholar ; A. Guerreau- Jalabert, art. cité n. 41, pp. 1039-1042 ; et Guerreau, A., « Renaud de Bâgé : Le Bel Inconnu. Structure symbolique et signification sociale », Romania, 103, 1982, pp. 28–82 Google Scholar et en particulier pp. 62-69 et 80-82.
44. Nous utiliserons ici le terme Medieval de « lignage » non suivant son usage anthropologique, mais comme un équivalent au moins partiel de la « parentèle » ; voir notre article à paraître dans la revue Alma sur « la désignation des relations et des groupes de parenté en latin Medieval ».
45. V. 83-106.
46. V. 129-160.
47. Dans le système chrétien, aucune existence n'est reconnue aux relations sexuelles hors mariage et ces dernières n'ont d'autre objet que la procréation, donc une reproduction biologique sanctionnée et légitimée par les rites ecclésiastiques (mariage et baptême).
48. On notera là une nouvelle manifestation du rôle symbolique de la traversée de l'eau ; il s'agit alors d'une traversée « positive », susceptible d'assurer un passage salvateur dans l'au-delà (v. 329-334).
49. V. 563-575. Ce passage s'oppose clairement à celui où, à la fin du récit, la dame abandonne toute activité laïque pour se retirer dans un monastère (Al v. 2675-2680).
50. V. 572-591.
51. Le duc, venant de Rome, ne pourrait être d'une origine plus claire, ni, par conséquent, moins diabolique.
52. La distance est entendue ici à la fois comme géographique, généalogique et sociale ; sur cette notion importante, voir Héritier, F., L'exercice de la parenté, Paris, Le Seuil, 1981,pp. 157–159 Google Scholar, qui reprend les observations de T. Jolas, Y. Verdier et F. Zonabend en Châtillonnais et de P. Lamaison en Gévaudan.
53. Voir Klapisch-Zuber, C., « Zacharie ou le père évincé. Les rites nuptiaux toscans entre Giotto et le concile de Trente », Annales ESC, 6, 1979, pp. 1216–1343 Google Scholar ; et D. Barthélémy, ouvr. cité n. 41.
54. V. 1259-1270. On soulignera encore ici le caractère entièrement « privé » et laïc conféré par le récit à ce mariage qui ne donne même pas lieu à la mention d'une messe et dont l'auteur précise l'aspect « charnel » (” Unques li diable ne finat, Desi qu'ai lit les ajustât » v. 1275-1276). Absence de publicité (in facie ecclesie) et sexualité font de ce mariage l'antithèse d'un mariage chrétien ; il est donc très logiquement placé sous un patronage diabolique.
55. Cet élément ressort d'un modèle d'alliance assimilable à l'échange des femmes généralisé asymétrique que laissent supposer tant les représentations que certaines pratiques effectives de l'alliance de mariage dans les groupes aristocratiques ; voir A. Guerreau-Jalabert, art. cité n. 41, pp. 1039-1041, et le travail à paraître dans L'Homme.
56. Ce thème paraît illustré aussi bien par les récits consacrés à Mélusine que par les lais comme Yonec ou Bisclavret ; voir Le Goff, J., « Mélusine maternelle et défricheuse », dans Pour un autre Moyen Age, Paris, Gallimard, 1977, pp. 307–331.Google Scholar
57. Sur l'hommage comme rite de parenté artificielle, Le Goff, J., « Le rituel symbolique de la vassalité », Pour un autre Moyen Age, Paris, Gallimard, 1977, pp. 349–420 Google Scholar. Le rapport du bon vassal avec l'eau ne semble pas fortuit : il demeure à proximité de la mer, il décide du départ du jeune comte vers la Terre sainte (c'est laperegrinatio transmarinà) et c'est lui qui se charge d'abandonner Grégoire aux flots marins.
58. V. 235-238.
59. Il impose en particulier la messe de relevailles comme sanction de son intervention, avant le retour de la jeune mère à une activité publique : v. 545-548.
60. V. 251-256.
61. V. 49-54 ; 1468-1470 ; 1513-1514.
62. Sur le baptême comme seconde naissance, Dictionnaire de théologie catholique, t. 2, 1 s. v. « Baptême » ; et J. H. Lynch, ouvr. cité n. 42.
63. L'allaitement de l'enfant par sa mère juste avant leur séparation (v. 465) est une représentation très imagée du lien de parenté réelle, faisant pendant à la nourriture spirituelle (eau et prière) qui assure la survie de Grégoire sur le rocher.
64. V. 475-476.
65. V. 716-723 ; 838-842.
66. V. 740-755. Un clerc régulier ne saurait, en principe, être parrain (voir J. H. Lynch, ouvr. cité n. 42, p. 169) ; mais outre le fait que cette règle semble avoir souffert quelques exceptions, on peut trouver là un procédé de renforcement des signes auquel l'auteur recourt assez volontiers.
67. V. 387-410 ; 467-476.
68. V. 877-908.
69. V. 877-1022 et plus particulièrement 914-918 et 1020-1026 ; sur la « nature », qui ressort chez Grégoire, voir aussi v. 774-781.
70. Cette contradiction est au principe de toute la discussion entre Grégoire et l'abbé.
71. Le récit présente la décision prise par la mère d'abandonner son enfant à la mer comme incompréhensible pour le bon vassal et sa femme (v. 388-410 et 477-478).
72. Le schème narratif des formes non légitimes et secrètes de rapports sexuels, très fréquent dans la littérature romanesque, nous semble lié à une représentation de la possible domination du temps, individuel et lignager ; il donne lieu ici, dans une interprétation cléricale, à un renversement de sens : négative d'abord, la conduite de la mère, qui choisit finalement le cadre chrétien pour assurer l'avenir de son fils, autorise effectivement le développement positif de l'histoire de Grégoire.
73. Sur la chevalerie comme pseudo-parenté, voir A. Guerreau, ouvr. cité n. 8.
74. V. 811-1024.
75. La mère a demandé, dans les tablettes, que l'on remette ces dernières à son fils âgé de douze ans, pour qu'il les lise (au choix du baptême s'ajoute donc celui d'une éducation cléricale ; v. 443-450). Or, l'abbé ne se conforme nullement à cette indication et c'est le « hasard » qui provoque la révélation (v. 796-797 ; Grégoire est âgé de douze ans dans les mss Bl et A3, de quinze ans ailleurs).
76. V. 1015-1018. C'est à cette image que répond la référence assez fréquente à une citation de la Genèse, 12, 1 : Egredere de terra tua et de cognatione tua.
77. V. 808-811.
78. V. 1035-1039.
79. V. 1805-1836.
80. V. 1605-1618 ; Al, v. 1993-2024, est plus explicite encore. Voir aussi, par exemple, dans un sermon d'Isaac de l'Étoile, la définition des viri spirituales qui, de cognatione carnis et sanguinis egressi, obliti populum suum et domum carnis, solitudinem ingressi sunt ( Hoste, A. et Salet, G., Isaac de l'Étoile, Sermons, Paris, 1967, t. 2, p. 206 Google Scholar).
81. Dieu semble désigné comme le responsable de cet « oubli » ; v. 1783-1786.
82. V. 2059-2062 ; Al v. 2701-2719.
83. V. 2011-2028.
84. Al, suppléé par A2 pour quelques vers, v. 2593-2698.
85. Al v. 2685.
86. Theis, L., « Saints sans famille ? Quelques remarques sur la famille dans le monde franc à travers les oeuvres hagiographiques », Revue historique, 517, 1976, pp. 14 Google Scholar et 15 en particulier. En Aquitaine, la rencontre de la mère et du fils à la messe ne donne pas lieu à une reconnaissance, car la prédominance, en ce pôle, des valeurs laïques et de la parenté réelle l'interdit : l'auteur dénie toute portée à la notion de « voix du sang », liée à la nature et à la parenté réelle (en Aquitaine, la reconnaissance se fait par l'intermédiaire du document écrit, par définition non naturel). Inversement, à Rome, la spiritualisation des rapports sociaux et en particulier des rapports de parenté autorise cette reconnaissance directe, qui trouve place à son tour dans le développement de la démonstration en cours : les liens de parenté réelle ne sont bons que cautionnés et médiatisés par les relations spirituelles.
87. Voir, entre autres : Constans, L., La légende d'Oedipe, Paris, 1881, pp. 111–129 Google Scholar, qui reprend l'avis exprimé par G. Paris (Revue critique, 1870,1, p. 413), selon lequel il n'existe pas de lien entre le « cycle » de Grégoire et celui d'OEdipe ; H. Sparnaay, ouvr. cité n. 3, qui est apparemment opposé sur ce point à Kroes, H. W. J., « Die Gregorlegende », Neophilologus, 38, pp. 169–175 Google Scholar ; Lee, A. Van Der, « De mirabili divina dispensatione et ortu beati Gregorii pape. Einige Bemerkungen zur Gregorsage », Neophilologus, 53, 1969, pp. 30–47 Google Scholar ; 120-137 ; 251-256.
88. W. Propp lui-même, à la recherche d'une explication « historico-culturelle » d'un groupe de récits parmi lesquels il range la Vie de saint Grégoire, n'échappe pas au renvoi à OEdipe et s'en tient à un trop grand niveau de généralité pour parvenir à une interprétation précise des textes (Edipo alla luce del folclore. Quattro studi di etnografia storico-stutturale, trad. ital., Turin, Einaudi, 1975, pp. 85-137). On se permettra d'introduire en outre ici deux remarques inspirées par le seul bon sens : d'une part, toute société est capable de produire des récits sur l'inceste sans avoir besoin de modèles, puisqu'il s'agit là d'une donnée permanente de l'organisation des sociétés humaines ; d'autre part le simple examen de la structure du récit Medieval fait ressortir quelques écarts non négligeables entre l'histoire de Grégoire et celle d'OEdipe : par exemple, l'absence de la prédiction et du meurtre du père, ainsi que le redoublement de l'inceste dans la Vie de Grégoire ne constituent pas de minces variantes, mais confèrent à ce texte des caractères formels et sémantiques que l'on peut, à notre sens, considérer d'emblée comme tout à fait originaux.
89. Voir les travaux cités n. 41.
90. V. 49-54 ; 1513-1514.
91. Après la mort du frère (v. 555-562), puis après la disparition inexpliquée de Grégoire devenu comte (v. 1621-1628).
92. Il semble impossible actuellement de proposer une datation fine des versions ici étudiées. Les estimations ont oscillé entre la fin du XIe et la fin du XIIe siècle, l'oeuvre de Hartmann, assez précisément datée de l'extrême fin du XIIe siècle, constituant un terminus ad quem peu discuté (voir H. B. SOL éd., pp. xv-xxix et pp. 417-418). C'est de toute façon exactement la période pour laquelle G. Duby a clairement fait apparaître les tensions entre Église et aristocratie à propos du mariage (voir les ouvrages cités n. 41).
93. De ce point de vue, le rôle imparti à l'abbé est extrêmement significatif ; on trouve en ce personnage une bonne illustration du fait que le Moyen Age a reconnu la réalité et la légitimité de manipulations de la parenté qui ne visaient pas à confondre leurs résultats avec la parenté réelle, mais à affirmer leur caractère de pseudo-parenté.
94. Le rapport à la nature n'est nullement valorisé dans l'histoire de Grégoire, qui ne réussit justement que par ses ruptures successives avec toute forme de « nature » (parenté réelle, culture non savante, rapports ordinaires avec les hommes et la nature). Cet élément, parmi d'autres, traduit le point de vue très probablement ecclésiastique adopté dans ces versions.
95. V. 1839-2028 ; et A1-A2 v. 2307-p. 336.
96. Voir A. Guerreau-Jalabert, art. cité n. 41, p. 1038. Le système de la parenté spirituelle se limite aux trois relations de fraternité, paternité et conjugalité, qui peuvent se superposer pour relier doublement deux mêmes individus (paternité et fraternité ne sont pas exclusifs, un abbé par exemple étant en quelque sorte le père des frères ; il en va de même pour filiation et conjugalité avec l'inceste spirituel). Ce système exclut donc par là tout « élargissement » ou « approfondissement » des réseaux de parenté et en particulier la relation avunculaire, qui entre dans la constitution de l'« atome de parenté » (Cl. Lévi-Strauss, , « L'analyse structurale en linguistique et en anthropologie », Anthropologie structurale, Paris, Pion, 1958, pp. 37–62 Google Scholar et « Réflexions sur l'atome de parenté », Anthropologie structurale deux, Paris, Pion, pp. 103-135). Or, l'histoire de Grégoire offre quelques mentions de cette relation avunculaire (v. 53-54 ; 93-934 ; 1469-1470 ; 1513-1514) ; elles dénotent clairement le caractère « estrange » et condamnable d'une confusion entre deux schèmes de parenté qui peuvent se superposer dans l'organisation sociale, mais dont les règles de fonctionnement, radicalement différentes, doivent être distinguées avec d'autant plus de soin qu'on y trouve un des éléments principaux de la distinction fondamentale entre clercs et laïcs. L'articulation complexe de la parenté réelle et de la parenté spirituelle dans la société Medievale ressort aussi clairement d'une analyse du vocabulaire latin se rapportant aux relations et aux groupes de parenté (étude à paraître dans la revue Alma, t. 46, 1988).
97. On indiquera par exemple l'opposition, elle aussi homologique des autres, entre musique savante (spirituelle), et musique non savante (profane et liée à la danse) que suggère la référence évoquée par tous les manuscrits au chant grégorien (voir n. 7).
98. V. 2043-2047.
99. Sur les sens possibles de certains réutilisations ultérieures du récit, voir notre texte cité n. 4.
100. A. Guerreau, Structures des représentations et de la société dans l'Europe féodale, à paraître ; une partie des analyses proposées sur l'espace est résumée dans « Organisation et contrôle de l'espace » dans État et Église dans la genèse de l'État moderne, sous la direction de J.-Ph. Genêt et B. Vincent, Madrid, Casa de Velasquez, 1986.
101. On peut en particulier formuler cette hypothèse à propos des développements « chrétiens » qu'a connus la littérature arthurienne avec l'apparition des thèmes du Graal.
102. L'analyse du Gregorius de Hartmann, issu d'un milieu laïc et chevaleresque, pourrait faire ressortir des écarts intéressants de ce point de vue par rapport aux versions françaises de peu antérieures.