Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
Le problème que voudrait poser ce texte peut ainsi s'énoncer : quels sont les effets sur une population intellectuelle donnée — et sur la société où elle s'insère — de l'instauration d'un état de déséquilibre entre le nombre des positions sociales ouvertes aux gradués universitaires et le nombre (supérieur) de ces derniers. Il s'agit donc de traiter historiquement, et du point de vue d'une histoire des positions intellectuelles, un problème qui est au cœur des débats contemporains sur l'université, à savoir les effets multiples de la dévaluation des titres scolaires sur le marché des postes de travail. Une telle question a été introduite dans la problématique historique à partir du cas anglais. Dans un article classique, M. Curtis avançait, en effet, la thèse selon laquelle les universités anglaises avaient constitué un élément fondamental de déséquilibre social entre 1600 et 1640 parce qu'elles avaient formé un nombre de gradués très supérieur au nombre des positions laïques ou ecclésiastiques auxquelles ils pouvaient prétendre et prétendaient.
This article begins with a question framed in both historical and sociological terms : what are the social and psychological effects on a given population of intellectuals when the number of university graduates becomes greater than the number of posts available to them ? This study first tries to see if the hypothesis derived from the British case can be extended to ail of Europe. It there fore looks at both the situation within the universities and the job market for graduates. The discussion then moves from social behavior to the ideological reasons for the surplus of intellectuals, which is examined in its 17th century manifestations (literary, political and sociological) and in its longer-term features (notions of the intellectual and notions of knowledge). Thus this historical outline also serves as a fable about the present.
Cet article développe le texte d'une communication présentée au colloque franco-hongrois Les intellectuels du Moyen Age au XXe siècle (Matrafured, octobre 1980). Il utilise des matériaux rassemblés par l'enquête menée au Centre de Recherches Historiques de l'école des Hautes Études en Sciences Sociales sur les universités européennes entre xvie et xviiie siècle. Je remercie A. Armstrong et J. Hébrard pour les références qu'ils m'ont communiquées.
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3. P. Bourdieu, op. cit., pp. 145-185.
4. Un bilan critique de ces recherches est présenté dans R. Chartier et J. Revel, « Université et société dans l'Europe moderne : position des problèmes », Revue d'Histoire moderne et contemporaine, 1978, pp. 353-374, repris dans L'histoire des universités. Problèmes et méthodes, Zeszyty Naukowe Universytetu Jagiellônskiego DLXVII, Prace Historyczne, Zeszyt 67, Varsovie et Cracovie, 1980, pp. 27-49.
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7. Nous calculons ces taux à partir des chiffres donnés par L. Stone dans l'article cité ci-dessus, p. 91 (entrées à Oxford), p. 92 (entrées à Cambridge), p. 103 (distribution par âge de la population) et dans « The Educational Révolution in England 1560-1640 », Past and Présent, 28,1964, pp. 41-80, p. 54 (entrées dans les Inns of Court).
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9. W. Frijhoff, art. cit., tableau 3, p. 203 et fig. 4, p. 206.
10. Ibid., tableau 5, p. 212.
11. Frijhoff, W., La sociéténéerlandaise et ses gradués, 1575-1814. Une recherche sérielle sur le statut des intellectuels, Amsterdam, APA-Holland University Press, 1981, annexe 4, p. 383.Google Scholar
12. W. Frijhoff, op. cit., tableau 47, p. 209.
13. R. L. Kagan, op. cit., table 3, p. 83.
14. Ibid., table 4, p. 93.
15. W. Frijhoff, op. cit., gr. 12, p. 255.
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23. Ibid., p. 677.
24. Cf. M. Molho, « Introduction à la pensée picaresque », Romans picaresques espagnols, op. cit., pp. XL-LXXVIL
25. Un premier ensemble de ces textes a Été rassemblé par F. DE Dainviu.E, « Collège et fréquentation scolaire au xyne siècle », Population, 1957, repris dans L'éducation des jésuites (XVIe- XVIIIe siècles), Paris, Les Éditions de Minuit, 1978, pp. 119-149, en particulier pp? 126-134.
26. F. DE Dainville, op. cit., p. 134.
27. Ibid., p. 133.
28. Sur la thèse de la surproduction intellectuelle en Allemagne, voir l'excellente mise au point de W. Frijhoff, Francia, art. cit., p. 173-181.
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