Published online by Cambridge University Press: 13 August 2019
L’objet de cette note critique est d’analyser les principaux apports de la recherche historique, et, dans une moindre mesure, sociologique et anthropologique, des dix dernières années dans trois domaines distincts mais imbriqués : l’histoire de l’eugénisme, de l’hérédité et de la notion biologique de race. Après avoir clarifié les relations existant entre ces différents objets trop souvent amalgamés, l’article s’emploie à comparer l’évolution de leurs champs de recherche respectifs, en distinguant ce qui relève de l’approfondissement de thèmes déjà abordés précédemment et ce qui participe de l’exploration de perspectives nouvelles. Des développements sont consacrés aux approfondissements historiographiques relatifs aux politiques eugénistes de stérilisation forcée, au rapport étroit qui a pu se nouer entre eugénisme et natalisme dans certains pays comme la France, ou encore à la généalogie de la catégorie de race et aux dispositifs d’objectivation de la diversité raciale. Le renouvellement profond des trois domaines de recherche au cours de la période considérée est analysé à travers deux dimensions complémentaires : l’élargissement notable de l’horizon géographique des enquêtes et la reproblématisation des objets scientifiques. Alors même que la focalisation des travaux antérieurs sur les expériences européennes et nord-américaines avait pu laisser croire que la biopolitique, l’eugénisme et le « racisme scientifique » étaient l’apanage des pays occidentaux, la multiplication récente de recherches portant sur l’Amérique latine, l’Asie et, dans une moindre mesure, le Moyen-Orient et l’Afrique, a définitivement invalidé cette vision réductrice. Parallèlement, une meilleure prise en compte des perspectives de genre, l’exploration des continuités historiques entre eugénisme et génétique médicale, ainsi que la réévaluation du rôle de la (bio)médecine dans les débats sur l’hérédité humaine et la notion de race ont profondément renouvelé les trois champs de recherche étudiés.
This review article seeks to analyze the main contributions of historical research and, to a lesser extent, sociology and anthropology, over the last ten years in three distinct but closely interwoven domains: the history of eugenicism, the history of heredity, and the history of the biological notion of race. After clarifying the relations between these too-often conflated objects, the article compares the evolution of their respective fields of research, distinguishing between the development of previously addressed themes and the exploration of new perspectives. It considers historiographical reflections on eugenicist policies of forced sterilization, on the close relations established between eugenicism and natalism in certain countries such as France, and on the genealogy of the category of race and mechanisms for objectifying racial diversity. The profound renewal of the three domains of research over the period considered is analyzed via two complementary perspectives: the significant broadening of their geographical horizons and the reproblematization of scientific objects. Though the focus of earlier work on the European and North-American experience may have suggested that biopolitics, eugenicism, and “scientific racism” were the prerogative of Western countries, the recent increase in studies of Latin America, Asia, and, to a lesser extent, the Middle East and Africa, has definitively discredited this reductive vision. In parallel, a better awareness of gender perspectives, the exploration of historical continuities between eugenicism and medical genetics, and the reevaluation of the role of biomedicine in debates on human heredity and the notion of race have profoundly renewed the three fields of research studied here.
Je remercie Claude-Olivier Doron et Étienne Anheim pour leurs remarques stimulantes sur une version préliminaire de cet article.
1 Au point que l’on omet encore parfois de rappeler que l’eugénisme prit également des formes moins brutales, quoique toujours pernicieuses : Kevles, Daniel J., Au nom de l’eugénisme. Génétique et politique dans le monde anglo-saxon, trad. par Blanc, M., Paris, Puf, [1985] 1995Google Scholar ; Cassata, Francesco, Eugenetica senza tabù. Usi e abusi di un concetto, Turin, Einaudi, 2015Google Scholar, analyse en particulier l’usage fréquent de la reductio ad Hitlerum dans les débats sur l’eugénisme.
2 Barkan, Elazar, The Retreat of Scientific Racism: Changing Concepts of Race in Britain and the United States between the World Wars, Cambridge, Cambridge University Press, 1992Google Scholar. Pour une vision plus nuancée, voir Claudio Pogliano, L’ossessione della razza. Antropologia e genetica nel xx secolo, Pise, Edizioni della Normale, 2005. Schaub, Jean-Frédéric, Pour une histoire politique de la race, Paris, Éd. du Seuil, 2015, p. 165Google Scholar, a récemment attiré l’attention sur les difficultés que recelait le terme même de « racisme scientifique ». Les différents enjeux liés à l’objectivation historique de la notion de race sont analysés avec une grande acuité dans Doron, Claude-Olivier, « Histoire épistémologique et histoire politique de la race », Archives de philosophie, 81-3, 2018, p. 477-499CrossRefGoogle Scholar.
3 Montagu, Ashley, « Introduction », in Montagu, A. (dir.), The Concept of Race, New York/Londres, The Free Press of Glencoe/Collier Books, 1964, p. xi-xviiiGoogle Scholar, ici p. xiii. L’expression sarcastique de cet anthropologue, protagoniste majeur de l’antiracisme scientifique, fait référence à la théorie phlogistique de la combustion, invalidée par les travaux d’Antoine Lavoisier avant d’être érigée en archétype des notions sans fondement.
4 Jensen, Arthur R., « How Much Can We Boost IQ and Scholastic Achievement ? », Harvard Educational Review, 39-1, 1969, p. 1-123CrossRefGoogle Scholar ; Eysenck, Hans J., Race, Intelligence and Education, Londres, Temple Smith, 1971Google Scholar ; Wilson, Edward O., Sociobiology: The New Synthesis, Cambridge, The Belknap Press of Harvard University Press, 1975Google Scholar. Sur l’histoire récente des problématisations héréditaristes de l’intelligence et des « comportements » humains, voir Panofsky, Aaron, Misbehaving Science: Controversy and the Development of Behavior Genetics, Chicago, The University of Chicago Press, 2014CrossRefGoogle Scholar.
5 Tous contribuèrent d’ailleurs grandement à la vulgarisation d’une science antiraciste : Lewontin, Richard C., Human Diversity, New York, Scientific American Library, 1982Google Scholar ; Gould, Stephen Jay, La mal-mesure de l’homme. L’intelligence sous la toise des savants, trad. par Chabert, J., Paris, Ramsay, [1981] 1983Google Scholar ; Jacquard, Albert, Éloge de la différence. La génétique et les hommes, Paris, Éd. du Seuil, 1978Google Scholar.
6 C. Pogliano, L’ossessione della razza…, op. cit., en particulier p. 1-13. Cette histoire détaillée des usages comparés du terme de race en anthropologie et en génétique de la fin du xixe siècle à nos jours, entamée alors que la notion pouvait sembler définitivement frappée d’anathème, ne fut achevée qu’après son retour au premier plan.
7 Abu El-Haj, Nadia, « The Genetic Reinscription of Race », Annual Review of Anthropology, 36, 2007, p. 283-300CrossRefGoogle Scholar ; Fullwiley, Duana, « The ‘Contemporary Synthesis’: When Politically Inclusive Genomic Science Relies on Biological Notions of Race », Isis: A Journal of the History of Science Society, 105-4, 2014, p. 803-814CrossRefGoogle Scholar. Patrinos, Ari, « ‘Race’ and the Human Genome Project », no spécial « Genetics and the Human Race », Nature Genetics, 36-S11, 2004, p. s1-s2CrossRefGoogle Scholar, ici p. s2, affirme que « la question probablement la plus pressante [était] de savoir si l’achèvement du Human Genome Project allait aboutir à la définition d’un concept de race scientifiquement crédible et féconde [useful] ». Voir également Bliss, Catherine, Race Decoded: The Genomic Fight for Social Justice, Stanford, Stanford University Press, 2012Google Scholar.
8 Duster, Troy, « Race and Reification in Science », Science, 307-5712, 2005, p. 1050-1051CrossRefGoogle Scholar ; Id., « Lessons from History: Why Race and Ethnicity Have Played a Major Role in Biomedical Research », The Journal of Law, Medicine and Ethics, 34-3, 2006, p. 487-496. Pour une synthèse des débats nord-américains contemporains, voir Yudell, Michael, Race Unmasked: Biology and Race in the Twentieth Century, New York, Columbia University Press, 2014Google Scholar, chap. 11 : « Race in the Genomic Age ».
9 Sur les ambiguïtés de ce syntagme, voir Ingold, Tim, « Beyond Biology and Culture: The Meaning of Evolution in a Relational World », Social Anthropology, 12-2, 2004, p. 209-221CrossRefGoogle Scholar.
10 Davenport, Charles, Davenport’s Dream : 21st Century Reflections on Heredity and Eugenics, éd. par Witkowski, J. A. et Inglis, J. R., Cold Spring Harbor, Cold Spring Harbor Laboratory Press, 2008Google Scholar.
11 Matt Ridley, « Forward », et Maynard V. Olson, « Davenport’s Dream », in J. A. Witkowski et J. R. Inglis (dir.), Davenport’s Dream…, op. cit., respectivement p. ix-xi, ici p. ix, et p. 77-98, ici p. 78.
12 Mazumdar, Pauline M. H., Eugenics, Human Genetics and Human Failings: The Eugenics Society, Its Sources and Its Critics in Britain, Londres, Routledge, 1992, p. 2Google Scholar.
13 Ibid., p. 2 : « La problématique eugéniste […] consistait en un ensemble interconnecté d’assertions concernant la nature de la classe populaire [pauper class]. » De fait, la société londonienne d’eugénisme ne s’intéressa aux « mélanges raciaux » (race mixture) que de manière incidente et fugitive : Bland, Lucy et Hall, Lesley, « Eugenics in Britain: The View from the Metropole », in Bashford, A. et Levine, P. (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, New York, Oxford University Press, 2010, p. 213-227, ici p. 219-220Google Scholar.
14 Huxley, Julian S. et Haddon, Alfred C., We Europeans: A Survey of « Racial » Problems, Londres, Jonathan Cape, 1935Google Scholar. Conçu comme un document d’éducation scientifique du public, le livre entendait démontrer scientifiquement l’inanité des théories racistes et antisémites défendues par la quasi-totalité des anthropologues et des généticiens allemands. La traduction française ne fut publiée qu’en 1947 par les Éditions de Minuit, sous le titre : Nous, Européens. Au même moment, Huxley approuvait les stérilisations à finalité eugénique : Huxley, Julian S., « Eugenic Sterilisation », Nature, 126-3179, 1930, p. 503CrossRefGoogle Scholar.
15 Alison Bashford, « Internationalism, Cosmopolitanism and Eugenics », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 154-172, ici p. 163 (souligné dans le texte).
16 Lindee, Susan et Santos, Ricardo Ventura (dir.), « The Biological Anthropology of Living Human Populations: World Histories, National Styles, and International Networks », Current Anthropology, 53-S5, 2012, p. S3-S16CrossRefGoogle Scholar ; Bangham, Jenny et Chadarevian, Soraya de, « Human Heredity after 1945: Moving Populations Centre Stage », Studies in History and Philosophy of Science, Part C, Studies in History and Philosophy of Biological and Biomedical Sciences, 47-A, 2014, p. 45-49CrossRefGoogle ScholarPubMed.
17 Pour une défense de la première de ces deux thèses, voir Pichot, André, L’eugénisme, ou les généticiens saisis par la philanthropie, Paris, Hatier, 1995Google Scholar et Id., La société pure. De Darwin à Hitler, Paris, Flammarion, 2000. La nécessité de séparer « le scientifique et le pseudoscientifique », au cœur du livre pionnier de Ludmerer, Kenneth M., Genetics and American Society: A Historical Appraisal, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1972, p. 114Google Scholar, est toujours présente : Aubert-Marson, Dominique, Histoire de l’eugénisme. Une idéologie scientifique et politique, Paris, Ellipses, 2010, p. 23Google Scholar.
18 Dikötter, Frank, « Race Culture: Recent Perspectives on the History of Eugenics », The American Historical Review, 103-2, 1998, p. 467-478, ici p. 470CrossRefGoogle Scholar.
19 Lombardo, Paul A., Three Generations, No Imbeciles: Eugenics, the Supreme Court, and Buck v. Bell, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2008Google Scholar. Le titre paraphrase, en la contestant, la formule fameuse d’Oliver Wendell Holmes, « Three generations of imbeciles are enough… », par laquelle le juge à la Cour suprême conclut ses observations en faveur de l’opinion majoritaire de la juridiction qui rejette le recours en faveur de Buck, ratifiant ainsi le recours à la stérilisation eugénique. Voir Schoen, Johanna, Choice and Coercion: Birth Control, Sterilization, and Abortion in Public Health and Welfare, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 2005Google Scholar ; Hansen, Randall et King, Desmond, Sterilized by the State: Eugenics, Race, and the Population Scare in Twentieth-Century North America, Cambridge, Cambridge University Press, 2013CrossRefGoogle Scholar (qui traite également du cas canadien).
20 Lombardo, Paul A. (dir.), A Century of Eugenics in America: From the Indiana Experiment to the Human Genome Era, Bloomington, Indiana University Press, 2010Google Scholar.
21 Ces scandales ont eu une forte résonance jusque dans la littérature populaire scandinave : Jussi Adler-Olsen, Dossier 64, trad. par C. Berg, Paris, Albin Michel, [2010] 2013. Dans ce roman policier à succès, l’écrivain danois met en scène des femmes victimes de stérilisations forcées et un enquêteur aux prises avec une conspiration visant à dissimuler l’ampleur du projet eugénique et sa continuation jusqu’à nos jours.
22 Broberg, Gunnar et Roll-Hansen, Nils (dir.), Eugenics and the Welfare State: Sterilization Policy in Denmark, Sweden, Norway, and Finland, East Lansing, Michigan State University Press, [1996] 2005Google Scholar ; Abelin, Matthias, The Swedish 1997-2011 Sterilization Debate, Stockholm, Vulkan, 2012Google Scholar.
23 Schmuhl, Hans-Walter (dir.), Rassenforschung an Kaiser-Wilhelm-Instituten vor und nach 1933, Göttingen, Wallstein, 2003Google Scholar ; Id., The Kaiser Wilhelm Institute for Anthropology, Human Heredity, and Eugenics, 1927-1945: Crossing Boundaries, Dordrecht, Springer, [2005] 2008 ; Jütte, Robert, Medizin und Nationalsozialismus. Bilanz und Perspektiven der Forschung, Göttingen, Wallstein, 2011Google Scholar.
24 Weiss, Sheila Faith, The Nazi Symbiosis: Human Genetics and Politics in the Third Reich, Chicago, The University of Chicago Press, 2010CrossRefGoogle Scholar ; Id., « After the Fall: Political Whitewashing, Professional Posturing, and Personal Refashioning in the Postwar Career of Otmar Freiherr von Verschuer », Isis: A Journal of the History of Science Society, 101-4, 2010, p. 722-758, présente une étude détaillée de la Persilscheinkultur (culture du blanchiment), ainsi dénommée par les acteurs eux-mêmes en référence à la fameuse marque de lessive, qui protégea de nombreux généticiens contre les rigueurs de l’épuration.
25 Boaz, Rachel E., In Search of « Aryan Blood »: Serology in Interwar and National Socialist Germany, Budapest, Central European University Press, 2012CrossRefGoogle Scholar, chap. 5, détaille le rôle pionnier des médecins allemands et hongrois dans l’étude des groupes sanguins à des fins anthropologiques et analyse la situation singulière des nombreux savants juifs actifs dans ce champ (à commencer par Ludwick Hirszfeld, son fondateur), qui appartenaient simultanément à la population la plus souvent prise pour objet (et donc racialisée) par ce type de recherche.
26 Marius Turda, Modernité et eugénisme, trad. par É. Syssau, Paris, L’Harmattan, [2010] 2011.
27 Rosental, Paul-André, Destins de l’eugénisme, Paris, Éd. du Seuil, 2016Google Scholar ; Id., L’intelligence démographique. Sciences et politiques des populations en France, 1930-1960, Paris, Odile Jacob, 2003.
28 P.-A. Rosental, Destins de l’eugénisme, op. cit., p. 14.
29 Schneider, William H., Quality and Quantity: The Quest for Biological Regeneration in Twentieth-Century France, Cambridge, Cambridge University Press, 1990, p. 124-128CrossRefGoogle Scholar.
30 Bancel, Nicolas, David, Thomas et Thomas, Dominic (dir.), L’invention de la race. Des représentations scientifiques aux exhibitions populaires, Paris, La Découverte, 2014CrossRefGoogle Scholar, en particulier p. 9-21, ici p. 11. Sur l’imagerie coloniale et la monstration des corps racialisés, voir Pascal Blanchard et al., Zoos humains et exhibitions coloniales. 150 ans d’inventions de l’autre, Paris, La Découverte, [2002] 2011.
31 Farber, Paul et Cravens, Hamilton (dir.), Race and Science: Scientific Challenges to Racism in Modern America, Corvallis, Oregon State University Press, 2009Google Scholar.
32 Solomos, John et Hill-Collins, Patricia (dir.), The Sage Handbook of Race and Ethnic Studies, Londres, Sage, 2010Google Scholar ; A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit. ; Cashmore, Ellis (dir.), Encyclopedia of Race and Ethnic Studies, Londres, Routledge, 2003Google Scholar, fait preuve d’une ambition plus limitée. Quant à l’ouvrage de Jackson, Shirley A. (dir.), Routledge International Handbook of Race, Class, and Gender, Londres, Routledge, 2015Google Scholar, il ne constitue en réalité rien de plus qu’une introduction à ces questions.
33 Pour l’analyse détaillée (et nuancée) des rapports complexes entre Darwin et le mouvement eugénique naissant, voir Diane B. Paul et James Moore, « The Darwinian Context: Evolution and Inheritance », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 27-42.
34 Chakrabarty, Dipesh, Provincializing Europe: Postcolonial Thought and Historical Difference, Princeton, Princeton University Press, 2000Google Scholar.
35 Cleminson, Richard, Catholicism, Race and Empire: Eugenics in Portugal, 1900-1950, Budapest, Central European University Press, 2014Google Scholar ; Id., Anarchism, Science and Sex: Eugenics in Eastern Spain, 1900-1937, Oxford, Peter Lang, 2000, en particulier p. 227 sq., est une étude du cas espagnol et, en particulier, de l’acception anarchiste de l’eugénisme apparue au sein de la Confederación nacional del trabajo (Cnt) catalane. Sur l’Europe du Sud, voir Cassata, Francesco, Building the New Man: Eugenics, Racial Science and Genetics in Twentieth-Century Italy, trad. par E. O’Loughlin, Budapest, Central European University Press, [2006] 2011CrossRefGoogle Scholar ; Trubeta, Sevasti, Physical Anthropology, Race and Eugenics in Greece, 1880s-1970s, Leyde, Brill, 2013CrossRefGoogle Scholar, analyse l’hégémonie exercée par les thèses de l’anthropologue Ioannis Koumaris sur le « noyau dur de la race grecque » jusque dans l’après-guerre.
36 Turda, Marius, Eugenics and Nation in Early 20th Century Hungary, Basingstoke, Palgrave MacMillan, 2014CrossRefGoogle Scholar ; Turda, Marius et Weindling, Paul J. (dir.), « Blood and Homeland »: Eugenics and Racial Nationalism in Central and Southeast Europe, 1900-1940, Budapest, Central European University Press, 2006Google Scholar ; Turda, Marius, Promitzer, Christian et Trubeta, Sevasti (dir.), Health, Hygiene and Eugenics in Southeastern Europe to 1945, Budapest, Central European University Press, 2011Google Scholar.
37 Sur l’émergence, dans la première décennie du xxe siècle, d’une eugénique médicale confiante dans les capacités régénératrices de l’environnement et la contribution successive des zoologues et des généticiens à la formalisation d’un eugénisme proprement soviétique : Krementsov, Nikolai, « From ‘Beastly Philosophy’ to Medical Genetics: Eugenics in Russia and the Soviet Union », Annals of Science, 68-1, 2011, p. 61-92CrossRefGoogle ScholarPubMed ; Id., « Eugenics in Russia and the Soviet Union », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 413-429 ; Id., « The Strength of a Loosely Defined Movement: Eugenics and Medicine in Imperial Russia », Medical History, 59-1, 2015, p. 6-31.
38 Stepan, Nancy Leys, The Hour of Eugenics: Race, Gender, and Nation in Latin America, Ithaca, Cornell University Press, 1991Google Scholar. L’ouvrage porte essentiellement sur le Brésil, le Mexique et, dans une moindre mesure, l’Argentine.
39 Reggiani, Andrés H., « Dépopulation, fascisme et eugénisme ‘latin’ dans l’Argentine des années 1930 », Le mouvement social, 230-1, 2010, p. 7-26Google Scholar ; Reggiani, Andrés et González Bollo, Hernán, « Dénatalité, ‘crise de la race’ et politiques démographiques en Argentine (1920-1940) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, 95-3, 2007, p. 29-44CrossRefGoogle Scholar ; Reggiani, Andrés H., God’s Eugenicist: Alexis Carrel and the Sociobiology of Decline, New York, Berghahn Books, 2007Google Scholar. Voir également Miranda, Marisa et Vallejo, Gustavo (dir.), Una historia de la eugenesia. Argentina y las redes biopolíticas internacionales, 1912-1945, Buenos Aires, Biblos, 2012Google Scholar, et Marisa Miranda, Darwinismo social y eugenesia en el mundo latino, Buenos Aires, Siglo xxi, 2005.
40 Maio, Marcos Chor et Santos, Ricardo Ventura (dir.), dossier « Raça, genética, identidades e saúde », História, ciências, saúde. Manguinhos, 12-2, 2005, p. 321-346Google Scholar. Sur l’historiographie brésilienne de l’eugénisme, voir Gilberto Hochman, Nísia Trindade Lima et Marcos Chor Maio, « The Path of Eugenics in Brazil: Dilemmas of Miscegenation », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 493-510.
41 Patience A. Schell, « Eugenics Policy and Practice in Cuba, Puerto Rico, and Mexico », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 477-492. Sur le Mexique, protagoniste essentiel de l’« eugénisme latin » (outre N. L. Stepan, The Hour of Eugenics…, op. cit.), voir Suárezy López Guazo, Laura, Eugenesia y racismo en México, Coyoacán, Unam, 2005Google Scholar et Urías Horcasitas, Beatriz, Historias secretas del racismo en México, 1920-1950, México, Tusquets, 2007Google Scholar. Sur le cas chilien, voir Walsh, Sarah, « ‘One of the Most Uniform Races of the Entire World’: Creole Eugenics and the Myth of Chilean Racial Homogeneity », Journal of the History of Biology, 48-4, 2015, p. 613-639CrossRefGoogle Scholar.
42 Stoler, Ann Laura, La chair de l’empire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial, trad. par Roux, S., Paris, La Découverte/Institut Émilie du Châtelet, [2002] 2013Google Scholar.
43 Ibid., p. 99, souligné dans le texte.
44 Voir Campbell, Chloe, Race and Empire: Eugenics in Colonial Kenya, Manchester, Manchester University Press, 2007Google Scholar, en particulier chap. 4, sur le procès en racisme que suscita, au sein de la Eugenics Society of London, la présentation par les représentants kenyans, entre 1933 et 1937, de leurs projets d’enquête sur l’explication biologique de l’« arriération africaine ». Richard S. Fogarty et Michael S. Osborne, « Eugenics in France and the Colonies », et Hans Pols, « Eugenics in the Netherlands and the Dutch East Indies », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., respectivement p. 332-346 et 347-362, soulignent également les échecs de l’eugénisme colonial. Pour une analyse des critiques adressées par les Afrikaners à la dimension « classiste » de l’eugénisme britannique, qui aboutissait à la mise en cause des aptitudes des plus pauvres au sein de leur propre communauté, voir Dubow, Saul, Scientific Racism in Modern South Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 166 sqGoogle Scholar.
45 Pour un apercu bibliographique, voir Anderson, Warwick, The Cultivation of Whiteness: Science, Health and Racial Destiny in Australia, Melbourne, Melbourne University Press, 2002Google Scholar ; Bashford, Alison, Imperial Hygiene: A Critical History of Colonialism, Nationalism and Public Health, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2004CrossRefGoogle Scholar (une exploration pionnière des liens entre frontières, hygiène et race) ; Douglas, Bronwen et Ballard, Chris (dir.), Foreign Bodies: Oceania and the Science of Race, 1750-1940, Canberra, Australia National University Press, 2008Google Scholar ; Stephen Garton, « Eugenics in Australia and New Zealand: Laboratories of Racial Science », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 243-257.
46 Jennifer Robertson, « Eugenics in Japan: Sanguinous Repair », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 230-248. Dans une large mesure, le texte de 1948 ne faisait que reconduire des dispositions instituées par la « loi nationale d’eugénique » de 1940. Selon Robertson, son extraordinaire longévité tiendrait au fait que l’eugénisme n’aurait jamais fait l’objet, dans l’archipel, de condamnation publique, à telle enseigne qu’une revue scientifique respectée a continué à paraître sous le nom de Minzoku Eisei (« Hygiène raciale », ou « Hygiène de la race »), alors même que son sous-titre anglais a été modifié dès le milieu des années 1970 en Japanese Journal of Health and Human Ecology (p. 441). Sur le Japon, voir Norgren, Tiana, Abortion before Birth Control: The Politics of Reproduction in Postwar Japan, Princeton, Princeton University Press, 2001Google Scholar ; Oтsubo, Sumiko et Bartholomew, James R., « Eugenics in Japan: Some Ironies of Modernity, 1883-1945 », Science in Context, 11-3/4, 1998, p. 545-565CrossRefGoogle Scholar. Pour une perspective interconnectée sur les mouvements eugénistes japonaises et chinois, voir Chung, Yuehtsen Juliette, Struggle for National Survival: Eugenics in Sino-Japanese Contexts, 1896-1945, New York, Routledge, 2002Google Scholar.
47 Dikötter, Frank, Imperfect Conceptions: Medical Knowledge, Birth Defects and Eugenics in China, New York, Columbia University Press, 1998Google Scholar ; Chung, Yuehtsen Juliette, « Better Science and Better Race ? Social Darwinism and Chinese Eugenics », Isis: A Journal of the History of Science Society, 105-4, 2014, p. 793-802CrossRefGoogle ScholarPubMed ; Id., « Eugenics in China and Hong Kong: Nationalism and Colonialism, 1890s-1940s », in A. Bashford et P. Levine(dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 258-273.
48 Sunil S. Amrith, « Eugenics in Postcolonial Southeast Asia », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 301-330. Les difficultés sont ici redoublées du fait de la multiplicité des situations locales subsumées sous une dénomination géographique à prétention unificatrice.
49 Hodges, Sarah, « Indian Eugenics in an Age of Reform », in Hodges, S. (dir.), Reproductive Health in India: History, Politics, Controversies, New Delhi, Orient Longman, 2006, p. 115-138Google Scholar ; Id., « South Asia’s Eugenic Pasts », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 228-242 ; Ahluwalia, Sanjam, Reproductive Restraints: Birth Control in India, 1877-1947, Urbana, University of Illinois Press, 2008Google Scholar. Marriage Hygiene était le titre de l’influent journal lancé en 1934 par l’un des principaux eugénistes indiens, Aliyappin Padmanabha Pillay, cofondateur de la Sholapur Eugenics Society et d’une Eugenic Clinic à Bombay, dès 1931.
50 Salgırlı, Sanem Güvenç, « Eugenics for the Doctors: Medicine and Social Control in 1930s Turkey », Journal of the History of Medicine and Allied Sciences, 66-3, 2011, p. 281-312CrossRefGoogle ScholarPubMed ; Cyrus Schayegh, « Eugenics in Interwar Iran », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 449-461 ; Id., « Hygiene, Eugenics, Genetics, and the Perception of Demographic Crisis in Iran, 1910s-1940s », Critique: Critical Middle Eastern Studies, 13-3, 2004, p. 335-361.
51 Comme le note Raphael Falk, « Eugenics and the Jews », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 462-476, ici p. 463 : « tandis que, dans l’Allemagne nazie, les communautés juives [Jewish life] étaient systématiquement détruites au nom de l’eugénisme, des sionistes, sur la terre d’Israël, concevaient l’eugénisme comme une dimension de leur mission visant à rétablir [restore] le peuple juif ». Voir également Kirsh, Nurit, « Population Genetics in Israel in the 1950s: The Unconscious Internalization of Ideology », Isis: A Journal of the History of Science Society, 94-4, 2003, p. 631-655CrossRefGoogle ScholarPubMed, et Abu El-Haj, Nadia, The Genealogical Science: The Search for Jewish Origins and the Politics of Epistemology, Chicago, The University of Chicago Press, 2012CrossRefGoogle Scholar.
52 Shvarts, Shifra et al., « Medical Selection and the Debate over Mass Immigration in the New State of Israel (1948-1951) », Canadian Bulletin of Medical History, 22-1, 2005, p. 5-34CrossRefGoogle Scholar.
53 Müller-Wille, Staffan et Rheinberger, Hans-Jörg, « Heredity: The Formation of an Epistemic Space », Heredity Produced: At the Crossroads of Biology, Politics, and Culture, 1500-1870, Cambridge, Mit Press, 2007, p. 3-34Google Scholar. Deux autres ouvrages issus de ce programme ont paru successivement : Gausemeier, Bernd, Müller-Wille, Staffan et Ramsden, Edmund (dir.), Human Heredity in the Twentieth Century, Londres, Pickering and Chatto, 2013Google Scholar ; Müller-Wille, Staffan et Brandt, Christina (dir.), Heredity Explored: Between Public Domain and Experimental Science, 1850-1930, Cambridge, Mit Press, 2016Google Scholar.
54 Sur le rôle longtemps méconnu des « sélectionneurs » de semences, voir Bonneuil, Christophe, « Producing Identity, Industrializing Purity: Elements for a Cultural History of Genetics », in Müller-Wille, S. et Rheinberger, H.-J. (dir.), A Cultural History of Heredity, t. 4, Heredity in the Century of the Gene, Berlin, Max-Planck-Institut für Wissenschaftsgeschichte, preprint 343, 2008, p. 81-110Google Scholar. La seule société Vilmorin « compte [déjà] 400 employés à la fin du xixe siècle » : Christophe Bonneuil et Frédéric Thomas, Semences, une histoire politique. Amélioration des plantes, agriculture et alimentation en France depuis la Seconde Guerre mondiale, Paris, C.-L. Mayer, 2012, p. 19.
55 Sur l’élargissement du champ sémantique de l’hérédité en français, puis dans d’autres langues vernaculaires européennes, voir BeltrÁn, Carlos López, « In the Cradle of Heredity: French Physicians and L’hérédité naturelle in the Early 19th Century », Journal of the History of Biology, 37-1, 2004, p. 39-72CrossRefGoogle Scholar, et Churchill, Frederick B., « From Heredity Theory to Vererbung: The Transmission Problem, 1850-1915 », Isis: A Journal of the History of Science Society, 78-3, 1987, p. 336-364CrossRefGoogle ScholarPubMed. Müller-Wille, Staffan et Rheinberger, Hans-Jörg, A Cultural History of Heredity, Chicago, The University of Chicago Press, [2009] 2012CrossRefGoogle Scholar, distinguent deux moments dans ce processus qui se déploya durant toute la première partie du xixe siècle : une phase de problématisation, suivie d’une période de « solidification [de l’hérédité] en un objet de recherche mesurable et manipulable » (p. 3).
56 S. Müller-Wille et H.-J. Rheinberger, « Heredity… », art. cit., p. 5 ; François Jacob, La logique du vivant. Une histoire de l’hérédité, Paris, Gallimard, [1970] 1976, p. 27-29.
57 S. Müller-Wille et H.-J. Rheinberger, A Cultural History of Heredity, op. cit., est un ouvrage aussi dense que stimulant. Un collectif de médiévistes a mis en évidence la genèse médiévale d’« un certain nombre de concepts et de termes qui joueront un rôle crucial dans le développement de l’anthropologie physique et des théories héréditaires modernes », dans un espace épistémique profondément transformé : Maaike van der Lugt et Charles de Miramon, « Penser l’hérédité au Moyen Âge : une introduction », in M. van der Lugt (dir.), L’hérédité entre Moyen Âge et époque moderne. Perspectives historiques, Florence, Sismel-Edizioni del Galluzzo, 2008, p. 8. Leurs analyses confirment la chronologie établie par Müller-Wille et Rheinberger.
58 Nombre de contributions récentes portent sur l’histoire la plus contemporaine, dominée par le style de raisonnement génétique : Thurtle, Philip, The Emergence of Genetic Rationality: Space, Time, and Information in American Biology Science, 1870-1920, Seattle, University of Washington Press, 2008Google Scholar ; Falk, Raphael, Genetic Analysis: A History of Genetic Thinking, Cambridge, Cambridge University Press, 2010Google Scholar.
59 Curran, Andrew S., The Anatomy of Blackness: Science and Slavery in an Age of Enlightenment, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2011Google Scholar.
60 Painter, Nell Irvin, The History of White People, New York, W. W. Norton, 2010Google Scholar. Plusieurs travaux récents soulignent également l’oscillation du classement de certaines populations liminales, tels les Mexicains, considérées à des moments comme appartenant à la population blanche, mais recensées à d’autres moments dans une catégorie spécifique. Sur le cas de Los Angeles, voir Stern, Alexandra Minna, Eugenic Nation: Faults and Frontiers of Better Breeding in Modern America, Berkeley, University of California Press, 2005, p. 96Google Scholar sq., et Molina, Natalia, Fit to Be Citizens ? Public Health and Race in Los Angeles, 1879-1939, Berkeley, University of California Press, 2006, p. 95-97Google Scholar.
61 Keevak, Michael, Becoming Yellow: A Short History of Racial Thinking, Princeton, Princeton University Press, 2011Google Scholar. Sur le même sujet, voir Kowner, Rotem, From White to Yellow: The Japanese in European Racial Thought, 1300-1735, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 2014Google Scholar, et l’enquête pionnière de Walter Demel, Come i cinesi divennero gialli. Alle origini delle teorie razziali, trad. par M. Fiorillo, Milan, Vità e pensiero, [1992] 1997. Étrangement, aucun de ces auteurs n’évoque la question connexe et tout aussi décisive du « faciès mongol » décrit par Petrus Camper et Friedrich Blumenbach, et utilisé comme repoussoir par les auteurs européens désireux d’établir un canon de beauté « caucasien » : N. I. Painter, The History of White People…, op. cit., p. 75-79. Les travaux de Keevak et de Kowner ont néanmoins le mérite de questionner l’idée commune selon laquelle « la couleur de peau la plus étudiée [dans la littérature des xviiie et xixe siècles] est celle des noirs, celle des blancs n’arrivant qu’au second plan […], tandis que la couleur de la peau des Amérindiens ou des Asiatiques ne suscite aucun intérêt [è trascurato] » : Mazzolini, Renato G., « Il colore della pelle e l’origine dell’antropologia fisica », in Zorzi, R. (dir.), L’epopea delle scoperte, Florence, L. S. Olschki, 1994, p. 227-239, ici p. 229.Google Scholar
62 Souvent décrite explicitement comme « blanche », la peau des Japonais est parfois qualifiée de « bronzée » (« bazanez » dans l’édition française de Kaempfer, Engelbert, Histoire naturelle, civile et ecclésiastique de l’empire du Japon, La Haye, P. Gosse et J. Neaulme, 1729Google Scholar) : R. Kowner, From White to Yellow…, op. cit., p. 215 et 459.
63 Linné ne s’est jamais expliqué sur cette modification introduite plus de vingt ans après la première édition de son livre. Keevak fait valoir que le terme « luridus » (qui peut signifier aussi bien jaunâtre que pâle, blême ou livide) était employé par certains botanistes pour dénoter la « tristesse » ou la « langueur » d’une plante (due à un manque de chlorophylle, par exemple) et qu’il fut probablement utilisé par Linné pour signifier le caractère supposément « mélancolique » des Asiatiques (une idée que l’on retrouve, par exemple, chez Johann Wolfgang von Goethe) : M. Keevak, Becoming Yellow…, op. cit., p. 53-55.
64 Ibid., p. 2. R. G. Mazzolini, « Il colore della pelle… », art. cit., p. 230-231, confère quelque poids à cette affirmation lorsqu’il note l’absence de la moindre publication portant sur la couleur de peau des Asiatiques ou des Amérindiens entre 1675 et 1800, et de compte rendu de dissection anatomique d’un individu asiatique ou amérindien avant 1832.
65 Pour une série d’éclairages complémentaires de la part d’historiens européens et asiatiques, voir Kowner, Rotem et Demel, Walter (dir.), Racism in Modern East Asia, vol. 1, Western and Eastern Constructions, vol. 2, Interactions, Nationalism, Gender and Lineage, Leyde, Brill, 2013 et 2015CrossRefGoogle Scholar.
66 Doron, Claude-Olivier, L’homme altéré. Races et dégénérescence, xviie-xixe siècles, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2016Google Scholar. Cet ouvrage, extrêmement dense et aux analyses fouillées, constitue le premier volet d’une enquête qui devrait s’étendre jusqu’à la fin du xxe siècle.
67 Ibid., p. 21 : la notion d’altération ainsi conçue permet de ressaisir sous un terme unique les thèses insistant sur l’apparition, à un moment plus ou moins précisément identifié dans le temps, « d’un écart, d’une déviation, d’une dégradation […] de l’identité originelle » (souvent imputés à l’« environnement » dans lequel vivent ou vivaient ces individus) et celles qui soulignent l’existence « d’un retard, d’un archaïsme, d’un arrêt dans le développement d’une norme universelle à réaliser ».
68 Kline, Wendy, Building a Better Race: Gender, Sexuality, and Eugenics from the Turn of the Century to the Baby Boom, Berkeley, University of California Press, 2001, p. 5Google Scholar.
69 L’expression est d’Alexandra Minna Stern, « Gender and Sexuality: A Global Tour and Compass », in A. Bashford et P. Levine (dir.), The Oxford Handbook of the History of Eugenics, op. cit., p. 173-191, ici p. 178. Sur le rôle des féministes et, en particulier, de Margaret Sanger (à qui l’on doit l’expression « birth control »), voir Connelly, Matthew, Fatal Misconception: The Struggle to Control World Population, Cambridge, Belknap Press, 2008, p. 50 et sqGoogle Scholar.
70 Kline, Wendy, Building a Better Race: Gender, Sexuality, and Eugenics from the Turn of the Century to the Baby Boom, Berkeley, University of California Press, 2001, p. 5Google Scholar : « Mais le caractère central des questions de genre dans l’eugénisme tenait également au fait que le mouvement prônait une nouvelle approche de la sexualité, de la reproduction et du rôle respectif des hommes et des femmes dans la société. Un certain nombre de femmes apportèrent un soutien actif à l’eugénisme ; des femmes médecins allèrent même jusqu’à stériliser d’autres femmes ; cependant certaines femmes, à l’inverse, s’opposèrent activement à l’eugénisme. Le fait que les femmes ne formèrent pas un groupe uni n’enlève rien à l’importance du genre pour comprendre l’eugénisme. »
71 A. M. Stern, Eugenic Nation…, op. cit., en particulier les développements sur l’American Institute of Family Relations, créé par Paul Popenoe à Los Angeles, p. 150 sq.
72 C. Pogliano, L’ossessione della razza…, op. cit., précise les caractéristiques sociographiques d’un nombre considérable de protagonistes.
73 Sur cette hybridation des sciences de la vie et de la médecine, et la « molécularisation du vivant » consécutive, voir Kay, Lily E., The Molecular Vision of Life: Caltech, the Rockefeller Foundation, and the Rise of the New Biology, New York, Oxford University Press, 1993Google Scholar ; Gaudillière, Jean-Paul, Inventer la biomédecine. La France, l’Amérique et la production des savoirs du vivant, 1945-1965, Paris, La Découverte, 2002Google Scholar.
74 D. J. Kevles, In the Name of Eugenics…, op. cit., p. 251, affirme ainsi de manière péremptoire : « Après la Seconde Guerre mondiale, ‘eugénisme’ devint un mot qu’il convenait de mettre entre guillemets en Grande-Bretagne et, de fait, un gros mot [dirty word] aux États-Unis. »
75 Voir les mises au point de Paul, Diane B., The Politics of Heredity: Essays on Eugenics, Biomedicine, and the Nature-Nurture Debate, Albany, State University of New York Press, 1998Google Scholar, chap. 6 et 7, et de Gayon, Jean, « L’eugénisme », in Feingold, J., Fellous, M. et Solignac, M. (dir.), Précis de génétique humaine, Paris, Hermann, 1998, p. 459-483Google Scholar.
76 La thèse selon laquelle la quasi-totalité des biologistes les plus légitimes avait pris ses distances avec l’eugénisme dès les années 1930 est particulièrement prégnante dans l’historiographie américaine : D. J. Kevles, In the Name of Eugenics…, op. cit. Pour une analyse de l’émergence de ce thème et de sa remise en cause récente, voir Paul, Diane B., « Reflections on the Historiography of American Eugenics: Trends, Fractures, Tensions », Journal of the History of Biology, 49-4, 2016, p. 641-658CrossRefGoogle Scholar.
77 Comfort, Nathaniel C., The Science of Human Perfection: How Genes Became the Heart of American Medicine, New Haven, Yale University Press, 2012CrossRefGoogle Scholar, détaille plusieurs programmes de recherche menés grâce au soutien de la Eugenic Research Association et de la Carnegie Corporation, dont la « finalité première » était de « couper l’approvisionnement en enfants anormaux [cut the supply in defective children] », selon la formule de William Allan (l’un des pionniers de la génétique humaine et médicale), cité p. 119.
78 D. J. Kevles, In the Name of Eugenics…, op. cit., p. 164-175.
79 N. C. Comfort, The Science of Human Perfection…, op. cit., p. 128.
80 Il vient ainsi compléter le livre de Lindee, Susan, Moments of Truth in Genetic Medicine, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2005Google Scholar.
81 Paul, Diane B. et Brosco, Jeffrey P., The Pku Paradox: A Short History of a Genetic Disease, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2013Google Scholar. Le paradoxe en question tient à ce que cette maladie génétique est dépistée à la naissance à l’aide d’un test qui n’a rien de génétique et que les effets délétères de la (double) mutation peuvent être évités si l’enfant suit un régime draconien : quand nurture pallie nature. Sur les enjeux du dépistage des nouveau-nés, voir Timmermans, Stefan et Buchbinder, Mara, Saving Babies ? The Consequences of Newborn Genetic Screening, Chicago, The University of Chicago Press, 2013Google Scholar et Löwy, Ilana, Imperfect Pregnancies: A History of Birth Defects and Prenatal Diagnosis, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2017Google Scholar.
82 Stern, Alexandra Minna, Telling Genes: The Story of Genetic Counseling in America, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2012Google Scholar.
83 Ibid., p. 111.
84 Gayon, Jean, « Le mot ‘eugénisme’ est-il encore d’actualité ? », in Gayon, J. et Jacobi, D. (dir.), L’éternel retour de l’eugénisme, Paris, Puf, 2006, p. 119-142Google Scholar. Parmi les nombreuses contributions à ce débat désormais mondialisé, voir Habermas, Jürgen, L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?, trad. par Bouchindhomme, C., Paris, Gallimard, [2001] 2002Google Scholar, en particulier le chap. 2 où il examine le risque d’émergence et de stabilisation de normes sociales défavorables à la mise au monde d’enfants porteurs de mutations, et Defanti, Carlo Alberto, Eugenetica. Un tabù contemporaneo. Storia di un’idea controversa, Turin, Codice edizioni, 2012Google Scholar.
85 La ou, plutôt, les thalassémies (car il existe plusieurs mutations pathogènes) constituent un groupe de maladies mendéliennes récessives entraînant une altération de l’hémoglobine (sur un mode quelque peu différent de la drépanocytose). Cette affection longtemps mortelle à brève échéance nécessite encore aujourd’hui une prise en charge constante, extrêmement pesante et coûteuse. Cowan, Ruth Schwartz, Heredity and Hope: The Case for Genetic Screening, Cambridge, Harvard University Press, 2008CrossRefGoogle Scholar, défend le programme chypriote, toujours en vigueur, visant à éviter que les hommes et les femmes porteurs de mutations ne se reproduisent. Étonnamment, les auteurs intervenus sur ces questions méconnaissent tous, systématiquement, le précédent italien qui reposait sur un réseau national extrêmement ramifié d’institutions spécialisées en « conseil matrimonial », institué au milieu des années 1950 dans une perspective explicitement eugénique et demeurée telle jusque dans les années 1970.
86 Kahn, Jonathan, Race in a Bottle: The Story of BiDil and Racialized Medicine in a Post-Genomic Age, New York, Columbia University Press, 2013Google Scholar.
87 Wailoo, Keith et Pemberton, Stephen Gregory, The Troubled Dream of Genetic Medicine: Ethnicity and Innovation in Tay-Sachs, Cystic Fibrosis, and Sickle Cell Disease, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 2006Google Scholar, comparent le traitement différentiel de la maladie de Tay-Sachs, de la drépanocytose et de la mucoviscidose. Voir également Wailoo, Keith, Dying in the City of the Blues: Sickle Cell Anemia and the Politics of Race and Health, Chapel Hill, University of North California Press, 2001Google Scholar. Concernant la racialisation de la drépanocytose sur le continent africain, voir Fullwiley, Duana, The Enculturated Gene: Sickle Cell Health Politics and Biological Difference in West Africa, Princeton, Princeton University Press, 2011Google Scholar.
88 Sur la généalogie de ce style de pensée phylogénétique, voir Sommer, Marianne, History within: The Science, Culture, and Politics of Bones, Organisms, and Molecules, Chicago, The University of Chicago Press, 2016CrossRefGoogle Scholar.
89 Pour une excellente introduction à ces débats, voir le dossier que The British Journal of Sociology, 66-1, 2015, p. 1-92, a consacré aux analyses de Troy Duster. Ce sociologue afro-américain n’a eu de cesse, depuis le début des années 2000, de souligner l’utilité de ces catégories raciales dans une perspective de réduction des inégalités de santé : Troy Duster, « A Post-Genomic Surprise: The Molecular Reinscription of Race in Science, Law and Medicine », p. 1-27. Voir également Schramm, Katharina, Skinner, David et Rottenburg, Richard (dir.), Identity Politics and the New Genetics: Re/creating Categories of Difference and Belonging, New York, Berghahn Books, 2012Google Scholar.
90 Blanckaert, Claude, De la race à l’évolution. Paul Broca et l’anthropologie française, 1850-1900, Paris, L’Harmattan, 2009Google Scholar ; Jean-Luc Chappey, La Société des observateurs de l’homme, 1799-1804. Des anthropologues au temps de Bonaparte, Paris, Société des études robespierristes, 2002 ; Coffin, Jean-Christophe, La transmission de la folie, 1850-1914, Paris, L’Harmattan, 2003Google Scholar.
91 Les auteurs privilégient souvent une approche plus proprement politique de la race. Outre le livre de J.-F. Schaub, Pour une histoire politique de la race, op. cit., voir Lagier, Raphäel, Les races humaines selon Kant, Paris, Puf, 2004Google Scholar ; Reynaud-Paligot, Carole, La République raciale. Paradigme racial et idéologie républicaine, 1860-1930, Paris, Puf, 2006Google Scholar ; Ndiaye, Pap, La condition noire. Essai sur une minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008Google Scholar ; Bessone, Magali, Sans distinction de race ? Une analyse critique du concept de race et de ses effets pratiques, Paris, J. Vrin, 2013CrossRefGoogle Scholar.
92 Dowbiggin, Ian R., The Sterilization Movement and Global Fertility in the Twentieth Century, Oxford, Oxford University Press, 2008Google Scholar. Certaines questions relatives à cette internationale mériteraient néanmoins d’être approfondies.
93 Ce chantier a été ouvert par Turda, Marius et Gillette, Aaron, Latin Eugenics in Comparative Perspective, Londres, Bloomsbury Academic, 2014Google Scholar, qui se fondent malheureusement surtout sur des sources imprimées et dont la perspective, finalement très européocentrique, aboutit à réifier la multiplicité des réalités sud-américaines.
94 Pour une introduction, voir Jablonka, Eva et Lamb, Marion J., Epigenetic Inheritance and Evolution: The Lamarckian Dimension, Oxford, Oxford University Press, [1995] 1999Google Scholar.
95 Voir les mises au point essentielles d’Evelyn Keller, Fox, The Mirage of a Space between Nature and Nurture, Durham, Duke University Press, 2010CrossRefGoogle Scholar. À noter que cette opposition ne recouvre pas exactement celle qui existe entre « nature » et « culture », plus familière aux chercheurs en sciences sociales.
96 L’étude des modes de subjectivation constituerait également un bon moyen de dépasser les équivoques suscitées par la notion de « biosocialité » proposée par Rabinow, Paul, « Artificiality and Enlightenment: From Sociobiology to Biosociality », Essays on the Anthropology of Reason, Princeton, Princeton University Press, 1996Google Scholar, chap. 5, p. 91-111.
97 On pense en particulier au risque que la multiplication des dénonciations fait courir à l’objet même de la critique ; un risque que me suis efforcé d’analyser à travers l’étude de la réception d’un ouvrage particulièrement problématique sur l’eugénisme : Berlivet, Luc, « Dalla divulgazione scientifica alla propaganda eugenetica. La teoria del ‘piano inclinato’ », Passato e Presente, 32-93, 2014, p. 119-128CrossRefGoogle Scholar. Dans le même sens, voir F. Cassata, Eugeneticà senza tabù, op. cit., en particulier le chap. 1, « Tutti nazisti, nessun nazista ».
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