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Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
La période centrale du Moyen Age fut une période dont les réalisations intellectuelles et artistiques se sont traduites non seulement par la création de grandes œuvres, mais aussi par la formation de véritables disciplines. Cette distinction est importante. En effet, pour la plupart des époques pour lesquelles ils se sont spécialisés, les historiens peuvent considérer l'existence de disciplines intellectuelles et artistiques comme un fait acquis. Isaac Newton, par exemple, ou le Bernin, furent de grands innovateurs, mais dans un contexte défini par les spécialistes qui les avaient précédés et par des approches méthodologiques préexistantes.
This article suggests that the history of philosophy and architecture in the eleventh and twelfth centuries can fruitfully be seen as a process of discipline formation. In each case, specialists moved from preserving specific skills or ancient learning to solving new problems or creating new artistic forms; they also devised the intellectual means of meeting this objective. Illustrating this point are the examples of Abelard and his contemporary, the master builder of Suger's St.-Denis, whose works are compared from the point of view of the cognitive processes by which they solved the technical problems of their respective disciplines.
1. Pour les premiers développements de la discipline juridique, voir RADDING, C., The Origins of Medieval Jurisprudence, Pavia and Bologna, 850-1150, New Haven-Londres, Yale University Press, 1988, 258 p.Google Scholar
2. A propos de cette transformation, telle qu'elle est illustrée par l'histoire de la philosophie et de la théologie, cf. Chenu, M.-D., La théologie au douzième siècle, 3e édition, Paris, 1976 Google Scholar, et Leclerc, Jean, « The Renewal of Theology », dans Renaissance and Renewal in the Twelfth Century, Benson, Robert L. et Constable, Giles éds, Cambridge (Mass.), Cambridge University Press, 1982, pp. 68–87.Google Scholar
3. La situation qui a suscité cet intérêt accru pour la logique sort ici de notre propos, mais on peut se référer à Radding, C., A World Made by Men, Chapel Hill, University of North California, 1985, pp. 156–172 Google Scholar ; on trouvera une approche quelque peu différente dans Stock, Brian, The Implications of Literacy, Princeton, Princeton University Press, 1983 Google Scholar. Pour la logique du Haut Moyen Age, voir Janet Nelson.
4. Patrol. Lat., 64 : 82. Traduit d'après Martin Tweedale.
5. Pour un résumé des débats du XIe et du XIIe siècle sur les universaux, voir Knowles, David, The Evolution of Medieval Thought, New York, 1964, pp. 107–116 Google Scholar ; et Tweedale, Martin M., Abailard on Universals, Amsterdam, 1976, pp. 91–140 Google Scholar. Dans notre présentation de la question, nous avons évité les termes nominaliste et réaliste, habituellement appliqués à Roscelin et à Guillaume de Champeaux, car ces termes ont été employés plus tard, dans une controverse du XIVe siècle centrée en réalité sur d'autres problèmes. Pour une discussion de la raison pour laquelle le débat du XIIe siècle sur les universaux s'est axé sur des problèmes différents de ceux de l'époque classique, voir C. Radding, A World Made by Men, pp. 207-279.
6. Les travaux très importants d'Abélard sur la logique comportent (grosso modo dans l'ordre chronologique) : Logica « Ingredientibus » et Logica « Nostrorum petitioni sociorum », tous deux édités par Geyer, Bernhard, Beitrâge zur Geschichte der Philosophie und Théologie des Mittelalters, 21. 1-4, Munster, 1919-1921, 1933 Google Scholar, et la Dialectica, présentée par L. M. de Rijk, 2e édition, Assen, 1970. Les sources secondaires utilisées pour rédiger cette section comportent Norman Kretzman, « The Culmination of the Old Logic in Peter Abelard », dans Renaissance and Renewal, pp. 488-511 ; et, surtout, Martin M. Tweedale, Abailard on Universals.
7. Logica « Ingredientibus », pp. 16-21. M. Tweedale observe (p. 173) que l'analyse que fait Abélard des images mentales « est extraordinaire et, à ma connaissance, sans précédent dans l'histoire de la philosophie occidentale ».
8. Ibid., p. 361.
9. Logica « Nostrorum petitioni sociorum », pp. 522-524.
10. Pour plus de détails, voir A World Made by Men.
11. Lotttn, D. Odon, Psychologie et morale aux XIIe et XIIIe siècles, vol. 5, Gembloux, 1959, n. 68, p. 59 Google Scholar. Il faut cependant noter que de nombreuses sentences attribuées par Lottin à son école de Laon dans ce volume semblent, en réalité, représenter les vues de maîtres appartenant à d'autres écoles, et peut-être même de moines n'ayant absolument aucun lien avec les écoles. Pour plus de précisions, voir Valérie I. FLINT, « The “School of Laon” : A Reconsideration », Recherches de Théologie ancienne et Medievale, pp. 89-110. Alors qu'ils travaillaient sur ce paragraphe, les auteurs ont tiré profit de la communication présentée par Marcia Colish au Congrès international sur le Moyen Age, qui s'est tenu à Kalamazoo, Michigan, en mai 1985.
12. Lottin, n. 14, p. 24, et n. 66, pp. 57-58.
13. Peter Abelard's Ethics, édité et traduit par D. E. Luscombe, Oxford, 1971, p. 1.
14. Éthique, pp. 1-2.
15. Éthique, pp. 6-9. C'est encore le logicien qui se montre dans la conclusion de cette discussion : « Si d'aventure quelqu'un soutient qu'il voulait tuer son seigneur pour éviter la mort, il ne peut pas, partant, en déduire qu'il voulait réellement le tuer. Par exemple, si je disais à quelqu'un : “je veux que vous preniez mon bonnet, pour cette raison que vous me donnez cinq solidi”, ou “je suis tout à fait d'accord pour qu'il devienne vôtre à ce prix”, je n'en concède pas pour autant que je veux qu'il devienne vôtre ».
16. Ibid., pp. 16, 20.
17. A World Made by Men, chap. 1.
18. Le seul qu'on puisse presque regarder comme une exception est Gervais de Canterbury, qui, ayant peut-être servi d'intermédiaire entre le bâtisseur, Guillaume de Sens, et les équipes d'ouvriers employés à la construction, peut vraisemblablement avoir connu lui-même les souhaits du bâtisseur. Mais comme le récit de Gervais, véritable chronique de la construction, année par année, s'en tient à des phrases conventionnelles, il n'ajoute pas grand-chose à ce que nous savons.
19. Panofsky, Erwin éd., Abbot Suger on the Abbey Church of Saint-Denis and its Art Treasures, 2e édition, Princeton, Princeton University Press, 1979, pp. 99–100.Google Scholar
20. Gardner, S., « Two Campaigns in Suger's Western Block at Saint-Denis », Art Bulletin, 66 (1984), pp. 574–587.CrossRefGoogle Scholar
21. On a récemment suggéré qu'il pourrait avoir acquis sa formation en participant à la construction de châteaux pour Louis VI. S. Gardner, dans The Medieval Castle.
22. W. Clark, « Suger's Church at Saint-Denis : The State of Research », dans Abbot Suger and Saint-Denis, présenté par P. Gerson, Metropolitan Muséum of Art, 1986.
23. E. Panofsky, Abbot Suger, pp. 52-53 ; 90-91, 100-101 ; Crosby, S., Saint-Denis, Yale University Press Google Scholar, à paraître ; W. Clark, « Suger's Church », J. Bony, « What Possible Sources for the Choir of Saint-Denis ? », dans Abbot Suger and Saint-Denis.
24. E. Panofsky, Abbot Suger, pp. 50-51.
25. Simson, O. von, The Gothic Cathedral, deuxième édition, Princeton, 1962.Google Scholar
26. Panofsky, E., Gothic Architecture and Scolasticism, Latrobe, Pennsylvanie, 1951 Google Scholar (trad. franc., Architecture gothique et pensée scolastique, Paris, Édit. de Minuit, 1967).
27. Voir, par exemple, Jean Bony, « The Genesis of Gothic : Accident or Necessity ? », Australian Journal of Art, 1980 ; et « What Possible Source for the Choir of Saint-Denis ? ».
28. Il n'entre pas dans le champ de cette étude de poser la question de savoir si l'on peut appliquer les mêmes processus à l'histoire initiale des autres disciplines, mais cela paraît assez vraisemblable. Les parallèles les plus nets concernent l'histoire de la science, mais dans ce domaine les études ont généralement suivi l'approche de Kuhn et se sont concentrées sur les changements au sein d'une discipline existante, plutôt que sur la fonction des disciplines. Un exemple que l'on peut citer est celui de la thermodynamique. Cf. Kuhn, Thomas S., « Energy Conservation as an Example of Simultaneous Discovery », dans The Essential Tension, Chicago, University of Chicago Press, 1977, pp. 66–107 Google Scholar. Un autre exemple est celui de l'histoire de la géométrie analytique. Les traditions algébrique et mécanique avaient connu des progrès extrêmement lents et difficiles au xvie siècle. Par comparaison, les progrès réalisés durant les décennies qui suivirent le moment où les travaux de Fermât et de Descartes ont été connus furent très rapides, et il ne fallut que très peu de temps pour arriver au calcul. Cf. Boyer, Cari B., History of Analytic Geometry, New York Google Scholar, Scripta Mathematica, 1956 et Mahoney, Michael Sean, The Mathematical Career of Pierre de Fermât, Princeton, Princeton University Press, 1973 Google Scholar
29. Sur cette tendance, voir l'essai de Richard et Mary Rouse, « Statim Invenire : Schools, Preachers and New Attitudes to the Page », dans Renaissance andRenewal, pp. 201-225. Pour des développements comparables dans la science juridique, en remontant à la deuxième moitié du XIe siècle, voir C. Radding, Origins.