Comme chacun sait, l'originalité la plus marquante de l'évolution linguistique, dans notre pays, ne réside pas dans une variété dialectale qu'on retrouve ailleurs, au moins aussi accentuée. Le curieux est que cette poussière de parlers locaux s'ordonnent visiblement en deux grands groupes. En d'autres termes, le latin de la Gaule n'a pas donné naissance, comme on eût pu s'y attendre, à une langue unique, divisée en dialectes nombreux. Deux langues véritablement distinctes en sont issues : au Nord, le français proprement dit ; au Sud, celle que, depuis le moyen âge, nous appelons volontiers provençale. Mieux encore : cette dualité, si caractéristique de notre société — bien que les histoires de France, du type classique, n'aient pas coutume hélas ! d'y prêter beaucoup d'attention, — ce n'est pas seulement dans le domaine du langage qu'on en voit paraître les effets.

Historien, dénicheur de saints. Le Saint, aujourd'hui, c'est Camille Desmoulins. La niche, son Vieux Cordelier. Le dénicheur, Albert Mathiez, qui ayant commencé le travail ne put l'achever : sa mort prématurée en laissa le soin à un de ses élèves, Mr Henri Calvet, lequel s'en est acquitté fort bien, selon les vues du maître.

« Le Vieux Cordelier fut, non pas un cri de douleur, mais la rouerie calculée d'un pamphlétaire aux abois. » — Sa verve de « satirique picard et parisien », elle est trop souvent celle d'un « obscur gazetier écossais » (entendez Gordon, auteur de Discours sur Tacite, 1728, et de Discours sur Salluste, souventes fois réimprimés en Angleterre et traduits en français à plusieurs reprises : A. Mathiez établit que Desmoulins s'en était servi copieusement dans certains numéros du Vieux Cordelier).

Deux thèses récentes de géographie sont consacrées à deux régions de la France, l'une et l'autre curieuses. Mr Paul Marres étudie les Grands Causses. Sa monographie prolonge vers le Sud celle que Mr Meynier a consacrée naguère aux Segalas, ce prolongement de la Montagne limousine. Elle s'y oppose aussi, ou devrait s'y opposer : plateaux calcaires contre landes siliceuses, pays du seigle (Segala) contre pays « fromentaux » : un puissant contraste géographique et humain. — Mr Pierre George, d'autre part, consacre un gros livre à la Région du bas Rhône. Il prolonge lui aussi vers le Sud l'effort d'un prédécesseur, Mr Faucher, le géographe des Plaines et bassins du Rhône moyen. — Il est difficile d'imaginer un contraste plus vif que celui des deux livres de Mrs Marre et George. En apparence même structure ; même réunion de deux études : milieu physique, milieu humain ; même formation, même substance et même souci. En réalité ?

Un lot de huit nouvelles planches. Quel profit pour nos études ? C'est la seule question que nous devions nous poser dans les comptes rendus que nous consacrons régulièrement à la grande entreprise dont nous avons salué avec joie l'apparition.

Laissons de côté deux planches (1 et 2) de références techniques. L'une indique l'état des mesures géodésiques et des levés topographiques ; l'autre présente des spécimens des diverses cartes du Service géographique de l'Armée qui sont à la base de notre connaissance du sol français. Restent 6 planches, toutes de nature à intéresser les Annales. Passons vite sur la feuille 36 : Cultures industrielles — qui groupe 12 petits cartons à 1 : 8 000 000 de la France départementale. Base, comme toujours, la statistique agricole pour 1933. Rien d'imprévu dans ces présentations graphiques.

Nous devons à Mr P. Rolland l'édition de Deux tarifs du tonlieu de Tournai des XIIe et XIIIe siècles avec leurs traductions en dialecte picard du XVe siècle. Tous deux étaient perçus au profit du chapitre cathédral de Notre Dame. Le premier doit dater du milieu du XIIe siècle environ et représente une rédaction de coutumes, dont certains éléments remontent à des temps beaucoup plus anciens, même mérovingiens ; il correspond à « l'exercice d'un monopole ecclésiastique complet ».

Rendre compte, dans des Annales d'histoire économique et sociale, d'une édition critique du De Optimo reipublicae statu, deque nova insula Utopia de Thomas Morus — ce n'est pas jouer au paradoxe. L'Utopie, comme tous les ouvrages ultérieurs qui prendront comme nom générique le nom propre du libellus aurais de l'ami d'Érasme — l'Utopie, par sa critique si vigoureuse, autant sinon plus que par sa partie constructive, traduit à la fois ces besoins d'évasion hors des réalités présentes — et d'aménagement des réalités futures qui fournissent à l'historien une des traductions, à la fois les plus délibérément infidèles et les plus inconsciemment fidèles, de la réalité d'une époque et d'un milieu.

Nous avons tant de fois soutenu — non sans soulever bien des scepticismes — que les linéaments de la grande industrie se dessinaient sous l'Ancien Régime et parfois dès le temps de la Renaissance, qu'il nous a été très agréable de lire, dans The économic history review, une étude de Mr J. U. Nef, consacrée au progrès de la technologie et à la croissance de la grande industrie en Grande-Bretagne — The progress of technology and the growth of large scale industry in Great Britain — avec ces deux dates qui surprendront plus d'un lecteur : 1540-1660. Mr Nef, on le sait, est cet historien américain qui a trouvé le moyen d'écrire deux volumes, bourrés de faits et de chiffres, sur l'essor de l'industrie du charbon en Angleterre… avant 1700.