Le concept de neuroleptique déshinibiteur est utilisé par les psychiatres français depuis environ 20 ans. Cet effet suppose l’existence d’une efficacité thérapeutique portant sur la symptomatologie déficitaire des schizophrènes. Tous les neuroleptiques ne présentent pas cette propriété, de plus,en accord avec les travaux pharmacologiques, il semble que l’existence de cette propriété soit liée à l’emploi de faibles posologies. Lorsqu’on augmente les doses, leur profil devient identique à celui des neuroleptiques classiques. On a de plus montré en pharmacologie que ces neuroleptiques originaux facilitent à faible dose le fonctionnement de certains systèmes dopaminergiques.
Par ailleurs, l’observation clinique suggère que les syndromes productifs et déficitaires sont non seulement différents mais s’opposent sur de nombreux points. Les stimulants dopaminergiques (amphétamine) sont capables d’induire des syndromes productifs, ce type de pathologie est améliorée par les bloqueurs dopaminergiques (Neuroleptiques classiques). On oublie souvent que les bloqueurs dopaminergiques sont capables d’induire un syndrome de type déficitaire et que ce type de pathologie semble bénéficier d’une facilitation du fonctionnement dopaminergique (Neuroleptiques antidéficitaires faibles doses, Dopa) (tableau 1). Nous avons donc fonnulé l’hypothèse que deux types d’anomalies du fonctionnement dopaminergique en partie opposés étaient à l’origine des deux types de symptomatologies. La dopamine constituerait donc un élément modulant (sans l’expliquer) de la symptomatologie schizophrénique. Pour souligner cette dimension symptomatique nous avons proposé d’appeler les deux groupes de neuroleptiques antiproductifs et antidéficitaires plutôt qu’antipsychotiques et désinhibiteurs.
Un certain nombre d’études thérapeutiques semblent confirmer la réalité de l’effet antidéficitaire. La plupart de ces produits étant commercialisés depuis plus de dix ans en France, nous avons voulu vérifier si cette longue expérience retrouvait au niveau de la pratique les caractéristiques de l’effet antidéficitaire prenant en compte simultanément le type de malade, le choix d’une sous-classe de neuroleptiques et un type de posologie. Cent psychiatres ont décrit leur opinion sur l’utilité ou pas de huit neuroleptiques en fonction de l’indication. Les syndromes productifs (paranoïdes et mixtes aigus) sont traités par des substances sédatives (lévomépromazine, cyamémazine), antiproductives (chlorpromazine, halopéridol, fluphénazine) ou des doses élevées de neuroleptiques antidéficitaires (pipotiazine). Les syndromes déficitaires aigus ou chroniques sont traités par les produits antidéficitaires (pipotiazine, pimozide, sulpiride). L’utilité des substances antiproductives lorsqu’un syndrome déficitaire est présent est niée par la majorité des prescripteurs (tableau 2). Les posologies proposées sont classiques pour les syndromes productifs. Les posologies proposées dans le traitement des syndromes déficitaires par les substances antidéficitaires sont quatre à cinq fois plus faibles que celles proposées pour les mêmes substances comme traitement antiproductif (tableau 3). Les schizophrénies paranoïdes et mixtes stabilisées sont traitées selon deux stratégies dont les posologies se chevauchent très peu : soit posologie antiproductive la plus faible possible, soit posologie antidéficitaire environ deux fois plus faible (figure 1).
En pratique, ces résultats semblent montrer qu’en cas de syndrome déficitaire, aigu, chronique ou survenant chez des malades antérieurement paranoïdes ou mixtes, le choix d’une faible posologie de certains neuroleptiques est une habitude thérapeutique qui persiste à long terme en France.