C'est une étrange destinée que celle de la renommée littéraire de Maurice Baring en France. Diplomate, voyageur, journaliste, poète, essayiste et, à ses heures, l'un des interprètes les plus pénétrants de l'âme et de la littérature russes dans les années qui précédèrent la Grande Guerre, c'est surtout par son œuvre tardive de romancier qu'il a conquis les suffrages du public cultivé en France. Des critiques aussi autorisés que Charles du Bos, Edmond Jaloux, Gabriel Marcel et André Maurois ont parlé de ses romans où apparemment rien ne se passe, et où la peinture d'une société mondaine et désœuvrée sert souvent de cadre à de délicates analyses de sentiment qui se résolvent presque toujours en crises religieuses, en des termes qui conviendraient plutôt à Henry James, à Tourgueniev, voire même à Tolstoï. Or, chose singulère, si les personnages de Baring sont presque toujours des Anglais fidèles aux traditions et aux Conventions de leur pays et de leur milieu, si, dans l'expression de leurs sentiments, ils ne se départent jamais de cette réserve, de cette pudeur, qui est un des traits de l'âme anglaise, ils semblent voués par leur destinee (qui n'est souvent que la fantaisie de l'auteur), à se mouvoir dans une ambiance saturée de culture européenne et, à certains égards, française. Les paysages familiers de la vie et de la culture françaises parmi lesquels l'auteur les fait évoluer, les réminiscences littéraires et artistiques qu'il met dans leur bouche, nous rappellent constamment que nous avons affaire à un esprit très averti des choses françaises, à un ami de la France et, osons le dire, à un écrivain dont le talent et même le style, pour s'être profondément trempés aux sources de la clarté et de la sagesse françaises, en ont tiré ce goût pour la limpidité de l'expression, qui n'en recèle pas moins les profondeurs, comme aussi cet indéfinissable partum de latinité qui se dégage de toute son ceuvre et lui donne un charme particulier. Etudier donc le rôle que la culture française a joué dans la formation de son talent, et son attitude envers les choses françaises en général, c'est éclairer un aspect peu connu de son œuvre abondante et variée, et c'est aussi montrer que ce fin lettré, ce voyageur infatigable qui a promené sa curiosité dans tous les pays et toutes les litteratures, ce “divin amateur,” comme l'a appelé un de ses amis, occupe, avec Edmund Gosse, Lytton Strachey, Hilaire Belloc et G. K. Chesterton, une place à part parmi les hommes de lettres anglais qui ont parlé avec le plus de pénétration et de Sympathie de certains aspects essentiels de la littérature et du génie français.