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La valeur du faux (note critique)

Published online by Cambridge University Press:  12 January 2023

Christian Bessy
Affiliation:
IDHES, ENS [email protected]
Cynthia Colmellere
Affiliation:
IDHES, ENS Paris-Saclay/CentraleSupé[email protected]
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Abstract

Cette note critique revient sur l’une des affaires de faux livres anciens les plus retentissantes des années 2000, celle du Sidereus nuncius, à partir de deux parutions récentes : l’ouvrage collectif SNML. Anatomie d’une contrefaçon (2020) et celui de Nick Wilding, Faussaire de Lune. Autopsie d’une imposture, Galilée et ses contrefacteurs (2014). Les études de cas de faux et des parcours et pratiques de faussaires dans le domaine des textes et du livre en particulier ont permis d’examiner les ressorts de ces falsifications, souvent au regard de comportements individuels, motivés par une volonté délibérée de production de faits erronés, de disqualification de faits existants ou par une ambition sociale. Cependant, lorsqu’il s’agit de faux s’échangeant sur le marché du livre ancien et dont la valeur tient tout autant au texte qu’aux caractéristiques matérielles, ce questionnement doit être élargi. La configuration des savoirs en jeu interroge le travail de la preuve aux confins de l’histoire de l’art et de l’histoire des sciences. Elle met aussi au jour la relation entre experts et faussaires, qui s’appuient sur leurs prises et leurs savoir-faire et sur des connaissances réciproques de leurs compétences et appuis respectifs. L’analyse de cette configuration permet enfin de montrer la porosité des frontières entre le marché du livre et le monde de la connaissance historique et archivistique.

This review article looks back at the Sidereus Nuncius affair, one of the most notorious rare book forgeries of the 2000s, based on two recently published works: the collective volume SNML. Anatomie d’une contrefaçon (2020), and Nick Wilding’s Faussaire de Lune. Autopsie d’une imposture, Galilée et ses contrefacteurs (2014). Several case studies of forgeries involving books and other texts, and of the careers and practices of the forgers themselves, have examined the motives behind these counterfeits, often in terms of individual behavior, motivated by a deliberate desire to falsify facts or invalidate existing knowledge, or by social ambition. However, when it comes to forgeries traded on the antiquarian book market, where value is determined as much by content as by material characteristics, we must ask broader questions. The configuration of knowledge at play in this particular case concerns the nature of “proof” at the border between the history of art and the history of science. It also reveals the links between experts and forgers, based on a mastery and savoir-faire that concerns not only the objects involved but also their respective practices, skills, and materials. A close analysis of this configuration reveals the porous frontier between the rare books market and the world of historical and archival knowledge.

Type
Savoirs modernes en perspective
Copyright
© Éditions de l’EHESS

En 2005, la librairie new-yorkaise Martayan Lan, réputée pour ses livres anciens, achète un exemplaire du Sidereus nuncius (SN) de Galilée à un marchand italien, Massimo De Caro, pour la coquette somme de 500 000 dollars. L’ouvrage, qui comporte des dessins aquarellés de la main du célèbre savant, est d’abord authentifié comme un exemplaire d’épreuves par une équipe de chercheurs, dont les spécialistes reconnus Horst Bredekamp et Paul NeedhamFootnote 1. Leurs analyses du livre et des dessins donnent lieu à plusieurs publications entre 2007 et 2011Footnote 2, qui ponctuent une investigation approfondie de cinq ans, inédite selon les experts du livre ancien. Leur effet sur la valeur de l’ouvrage, renommé SNML (Sidereus Nuncius Martayan Lan), est immédiat : la librairie estime cet exemplaire, considéré alors comme unique, à 10 millions de dollars, soit dix fois le prix d’un spécimen plus commun du SN ! Pourtant, dès 2009, suspectant une contrefaçon, l’historien des sciences britannique Nick Wilding critique ces résultatsFootnote 3. Il convainc P. Needham de réexaminer le livre ; en 2012, l’équipe qui l’avait initialement authentifié s’y emploie, revient sur ses conclusions initiales et caractérise le faux. C’est de cette rétractationFootnote 4, fondée sur une analyse matérielle poussée, dont rend compte l’ouvrage SNML. Anatomie d’une contrefaçon, publié sous la direction de Horst Bredekamp, Irene Brückle et Paul NeedhamFootnote 5. La démarche est exemplaire en ce qu’elle démontre l’intégrité scientifique des chercheurs : l’équipe revendique une indépendance vis-à-vis du marché du livre en s’engageant à publier l’ensemble des résultats, même s’ils sont contradictoires avec les expertises précédentes.

L’importance de cette affaire très médiatisée tient tout autant au caractère exceptionnel du SN qu’à l’envergure de l’opération, aux ramifications multiples, du marchand-faussaire, M. De Caro, qui dira avoir voulu défier les compétences de la communauté professionnelle du livre ancien. Des rebondissements récents confirment une entreprise de falsification méthodique et d’ampleur internationaleFootnote 6. Pour les spécialistes, la valeur du SN est liée à la fois au texte lui-même et à ses caractéristiques matérielles. Dans son livre Faussaire de Lune. Autopsie d’une imposture, Galilée et ses contrefacteurs, publié en 2015 à partir d’une conférence donnée l’année précédente à la Bibliothèque nationale de France, N. Wilding expose les arguments qui l’ont amené à soupçonner très tôt le caractère falsifié du SNML Footnote 7. Ses analyses permettent de comprendre les erreurs d’appréciations initiales commises par l’équipe en charge de l’authentification dans leurs dimensions cognitives et leurs contextes spécifiques. Cependant, en désignant nommément H. Bredekamp pour dénoncer une culture élitiste de l’expertise, attachée principalement à des critères stylistiques, N. Wilding attaque aussi l’histoire de l’art comme discipline, en particulier lorsqu’elle se fonde sur l’attributionnisme, cette méthode consistant à associer des œuvres anonymes à un auteur, si possible reconnu.

Dans cette note critique, nous proposons une lecture croisée de ces deux ouvrages, en tant qu’économiste et sociologue spécialistes des questions d’expertise et des controverses. Totalement extérieurs au champ considéré, nous aborderons cette affaire en interrogeant spécifiquement les conditions qui ont permis de faire converger les jugements d’authenticité des experts. La controverse autour du SNML entre historiens de l’art et historiens des sciences, aux frontières de leurs domaines respectifs, porte sur la façon d’étudier les livres anciens susceptibles d’être contrefaits. Notre perspective, attentive à la circulation des objets et aux pratiques et procédures d’authentification, vise à souligner les traits particuliers de la configuration des savoirs dans laquelle ce faux extraordinaire s’inscritFootnote 8. Sans ignorer l’historicité des pratiques et des instruments d’authentification restitués dans ces deux ouvragesFootnote 9, nous considérons que les spécialistes impliqués visent tous à établir une concordance robuste entre des objets (ouvrages anciens, traces, archives) et des modalités d’élaboration intellectuelles et matérielles. Toutefois, aucune discipline ne pouvant apporter à elle seule la preuve irréfutable d’une falsification, ou au contraire d’une authenticité, les analyses présentées et les échanges entre historiens montrent la pluralité des méthodes, des compétences et des savoirs mobilisés. Le SN nous intéresse comme objet car, comme l’ensemble de l’œuvre de Galilée, son analyse nécessite d’articuler des savoirs de différentes disciplines historiques. Ainsi cet ouvrage ancien permet-il de déjouer les oppositions simplificatrices entre histoire des sciences et histoire de l’art.

Un tel dossier est également l’occasion d’étudier la bibliographie matérielle en action, discipline qui s’est constituée au cours du xixe siècle dans le monde anglophone autour, entre autres, de cas emblématiques de falsification d’éditions pré-originales d’auteurs britanniques de la même époqueFootnote 10. Enfin, les mises à l’épreuve successives du SNML et les échanges parfois conflictuels qui en découlent révèlent aussi les enjeux d’autorité et de légitimité académiques des experts. Ils opposent un professeur allemand de réputation internationale et un assistant professor d’une université états-unienne peu connue, et concernent plus généralement des professionnelsFootnote 11 travaillant aux « confins » de leurs disciplines, voire au-delàFootnote 12, pour contribuer – entre autres – à l’historiographie galiléenne.

Dans un premier temps, nous revenons sur les spécificités du Sidereus nuncius pour comprendre les raisons qui ont poussé le ou les faussaires à contrefaire cet ouvrage en particulier, le pouvoir d’attraction qu’il a pu exercer au moment de sa réapparition sur le marché du livre ancien et les polémiques qu’il a nourries. Dans un deuxième temps, nous interrogeons le contexte du marché du livre ancien ainsi que les conditions ayant permis de faire converger les différents jugements d’authenticité à partir des pratiques d’administration de la preuve en histoire de l’art et en histoire des sciences. Enfin, au regard de l’attention portée à l’habileté et l’ingéniosité de M. De Caro, nous replaçons les collaborations et les débats entre spécialistes dans le cadre des relations entre experts et faussairesFootnote 13.

Le Sidereus nuncius, pièce maîtresse des sources galiléennes

L’ensemble des commentateurs de cette affaire soulignent la grande singularité de l’exemplaire du SN acquis par la librairie new-yorkaise en 2005. L’ouvrage occupe en effet une place particulière dans la production de Galilée. En 1610, la richesse de ses observations (les cratères de la Lune, les satellites de Jupiter, la constellation du Taureau) conduit Galilée à écrire, publier et faire imprimer le Sidereus nuncius Footnote 14 en à peine huit semaines. Comme le relate Alexandre LaumonierFootnote 15, il participe activement à la fabrication du livre et, avec l’imprimeur vénitien Tommaso Baglioni, s’accorde pour reproduire ses dessins de la Lune sous forme d’eaux-fortes. 550 exemplaires du Sidereus nuncius paraissent alors (82 aujourd’hui ont été authentifiés et répertoriés), dont 30 sans eaux-fortes, Galilée se laissant, selon les spécialistes, la possibilité de faire lui-même, dans les espaces laissés vides, des dessins de la Lune pour les offrir à ses protecteurs. Comme les autres savants de son époque, ce patronage lui permet de subvenir à ses besoins et de disposer de moyens suffisants pour travailler et se prémunir de l’arbitraire de l’autorité religieuse ou politique. C’est particulièrement le cas avec la publication du SN, qui constitue une énorme prise de risque – nous y reviendrons. Galilée dédie d’ailleurs l’ouvrage à l’un de ses mécènes, Cosme de Medicis, auquel il rend hommage en nommant d'après lui des étoiles observées (Medicea sidera). Cet entrecroisement des réputations, celle du savant et celle du prince, amorce un processus de valorisation de l’ouvrage au long cours.

Aujourd’hui, le Sidereus nuncius ne tient pas uniquement sa valeur du prix qu’il atteint sur le marché du livre ancien, mais aussi de son statut dans la riche et protéiforme historiographie galiléenne. Il ne s’agit pas de restituer ici toutes les ramifications de cette dernière, mais de mettre en perspective certains de ses apports principaux pour interroger les conditions d’élaboration de ce faux, son attrait initial et la controverse qu’il suscite, au confluent de plusieurs domaines de connaissances. Tout d’abord, l’étude du SN occupe une place centrale dans une tradition de l’histoire des sciences qui s’appuie sur l’analyse des textes pour reconstituer la vérité des pratiques et de la preuve scientifique. Les nombreux travaux menés dans cette perspective ont érigé Galilée en une figure d’autorité scientifique au cœur du basculement de la science dans la période moderneFootnote 16. Par la suite, influencés par les évolutions d’autres champs de l’histoire et des humanités, les historiens des sciences ont donné davantage d’importance aux dimensions sociales, politiques et matérielles de la construction des savoirs scientifiques. L’écriture et l’impression du SN témoignent à cet égard de l’engagement copernicien de Galilée et, ce faisant, d’un changement anthropologique profondFootnote 17. À partir des observations et des preuves qu’il explicite dans cet ouvrage, il publie en 1632 le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, qui lui vaut les foudres du tribunal d’inquisition de l’Église romaineFootnote 18. La publication du SN marque également un tournant de l’astronomie européenne, en contribuant à la transformer en discipline organisée autour des découvertes faites grâce aux développements des instruments d’observation. De plus en plus nombreuses au cours du xviie siècle, celles-ci alimentent notamment les débats autour de la cosmologie aristotélicienneFootnote 19.

À partir des textes, dessins, paratextes et traces autographes (signature, incipit, tampon) ainsi que des composantes matérielles du SN – papier, couverture, coutures, encres –, les historiens retracent le travail de Galilée et de la raison scientifique dans leurs dimensions épistémiques, sociales et politiques. Ces éléments associés attestent la complexité de la trajectoire du savant, des réseaux de relations, des communautés, des formes plurielles de soutien (patronage, mécénat) qui entourent son ascension comme l’écriture et la circulation de ses travaux. Mathématicien et fabricant d’instruments d’observation, Galilée se prête aux règles du jeu social et politique lui permettant d’obtenir la reconnaissance officielleFootnote 20 nécessaire à l’aboutissement de son travail de légitimation épistémiqueFootnote 21. Ainsi associe-t-il observations dessinées du ciel étoilé et discours scientifique pour relier l’ordre céleste à l’ordre politique médicéenFootnote 22 : ses bons services lui font obtenir, en 1610, le titre de philosophe et mathématicien du grand-duc de Toscane et sa protection. Il conforte également sa position en intégrant en 1611 l’Academia dei Lincei – fondée par le prince Cesi – et participe, en son sein, à l’élaboration d’une pratique scientifique collective, expérimentale, fondée sur l’observation et le recours aux instruments et à l’imageFootnote 23.

L’importance accordée aux dessins de Galilée et des savants de cette époque s’est renforcée avec le « tournant visuel » de l’histoire des sciences de la période moderne. À partir des années 1990, le champ des « études visuelles des sciences » (visual studies of science) réunit des historiens de l’art et des historiens des sciences sur le plan internationalFootnote 24. Il se constitue d’abord autour de travaux dans les sphères anglophones et germanophones, puis en France, en Espagne et en ItalieFootnote 25. Les chercheurs montrent les liens entre l’art et la science en analysant, à différentes époques, les pratiques de fabrication des images, leur rôle dans l’expérimentation scientifique et l’élaboration de la preuve et, réciproquement, les dimensions artistiques de l’activité scientifique. Ils caractérisent ainsi des « cultures visuelles », des types de regards, d’« œils » scientifiques et, partant, de formes d’objectivitéFootnote 26. Les historiens de l’art de ce courant, sous la plume de H. Bredekamp entre autres, ont par ailleurs revendiqué une proximité croissante avec les historiens des sciences de manière à renforcer leur discipline, fragilisée en tant que science humaineFootnote 27, et afin de valoriser leurs apports spécifiques à l’étude et à l’histoire des formes et des styles. C’est de cette notoriété de Galilée aux multiples ancrages, de l’importance du SN et du crédit nouvellement accordé au dessin scientifique que joue le faussaire en fabriquant cet exemplaire, dont il sait qu’il sera examiné par différents spécialistes.

Pour restituer la configuration de savoirs dans laquelle retentit cette affaire et la controverse qu’elle suscite, il faut également prendre en compte les contributions d’historiens des sciences qui considèrent spécifiquement les instruments et la matérialité des pratiques scientifiques pour retracer les modes de justification et d’élaboration de la preuveFootnote 28. À la suite du material turn, qui a inauguré une attention aux cultures matériellesFootnote 29 et aux composantes extra-textuellesFootnote 30 des livres, ces historiens appréhendent les protocoles expérimentaux à partir des médiations physiques associées à la fabrication et à l’utilisation des instruments. Ils exposent les instabilités, les incertitudes et les bricolages constitutifs des pratiques probatoires. Dans cette perspective, les recherches de Galilée et la publication du SN en particulier démontrent le rôle du télescope dans la confirmation des hypothèses coperniciennesFootnote 31. Le travail du savant y apparaît empirique et empreint des pratiques artisanales de fabrication des lunettes et des compétences qu’il a acquises en améliorant d’autres instruments de mesure et d’observationFootnote 32. Le SN témoigne aussi de la construction d’un discours appuyé sur des images – dessins et schémas – qui démontre la contribution de l’expérience sensible, augmentée par l’instrument, à la démarche scientifiqueFootnote 33.

Le faussaire n’intègre pas l’importance, pour les historiens des sciences, de ces dimensions incertaines et bricolées des pratiques expérimentales, ni la manière dont elles peuvent orienter la recherche de preuves d’authenticité ou de falsification. Ces développements récents de l’historiographie galiléenne, parce qu’ils déplacent les repères et les prises de l’expertise, tendent également à expliquer l’attrait de ce faux et des controverses qu’il suscite. C’est donc dans cette configuration multiple et internationale des savoirs que retentit l’affaire du SNML.

Prises et méprises : sur les traces d’une contrefaçon très imparfaite

L’ouvrage collectif SNML. Anatomie d’une contrefaçon est remarquable par l’ampleur et la diversité des ressources qu’il mobilise – ouvrages anciens authentifiés et fac-similés, techniques d’observation et d’analyse, connaissances disponibles dans des champs disciplinaires allant des humanités aux sciences des matériaux. Les différentes contributions rendent compte des fondements et des pratiques d’administration de la preuve en histoire de l’art et des évolutions les plus récentes de la discipline – faisant appel à d’autres domaines de spécialités –, en lien notamment avec son insertion dans un marché de l’authentification devenu international, mettant en concurrence acteurs publics et privés et redistribuant les rôles et les pouvoirs entre simples experts du domaine, historiens de l’art, du livre et des sciences, scientifiques et juristesFootnote 34. Elles révèlent également les pratiques du faussaire, ses anticipations comme ses maladresses. Les doutes et les contradictions de N. Wilding témoignent des divergences entre les conventions probatoires en histoire de l’art et en histoire des sciences, en particulier dans les relations aux objets et dans la production de tracesFootnote 35. Nous mettons en perspective ces écarts en distinguant quatre régimes d’épreuve des objets permettant aux jugements de converger : la qualification de l’objet, la remontée du réseau dans lequel il s’insère, l’examen de sa matérialité via des instruments et sa perception engageant les facultés sensorielles des expertsFootnote 36.

Les mirages d’un objet singularisé

Le SNML se distingue parmi la collection d’exemplaires du SN déjà authentifiés. Ses particularités motivent l’appréciation initiale de H. Bredekamp et de ses collègues, convaincus qu’ils disposent de l’un des très rares exemplaires d’épreuves, les livres scientifiques à cette époque ne dérivant pas d’un archétype original et unique. Le SNML se présente comme un opus inséré dans une reliure dorée du xviie siècle, de style romain, et constitue le premier d’une série de cinq traités de Galilée contenus dans le volume ainsi formé. L’ouvrage porte à deux endroits le timbre du prince Federico Cesi, auquel il aurait appartenu. Tout en bas de la page de titre se trouve une inscription manuscrite du savant italien – « Io, Galileo Galilei f.Footnote 37 » – en guise, sans doute, d’attestation signée. Enfin, à la place des cinq eaux-fortes apparaissent cinq dessins au lavis brun dont on peut penser qu’ils sont du pinceau de l’astronome.

Les premières analyses de H. Bredekamp procèdent de la perception (visuelle) du livre et d’une attention à certaines de ses caractéristiques graphiques. L’historien de l’art se dit d’abord sidéré et sceptique, avant de reconnaître la signature du savant florentin. En comparant les dessins au lavis à ceux de la « Feuille de Florence », qui regroupe six aquarelles faisant partie des premiers dessins des phases de la Lune de Galilée, il suppose que les dessins sont de la même main et conforte ainsi l’hypothèse selon laquelle le SNML serait l’un des fameux trente exemplaires sans eaux-fortes. Loin d’être complétement convaincu mais sous l’emprise de cette découverte inattendue, il décide d’approfondir l’examen de l’ouvrage en 2006. En tant que théoricien de l’image, H. Bredekamp est conscient de la nécessité de compléter son expertise par d’autres perspectives que la sienne. Au sein du laboratoire du Kupferstichkabinett de Berlin, il réunit un collectif de spécialistes internationaux afin d’analyser le papier, l’impression, l’encre et les dessins à l’aide des technologies les plus sophistiquéesFootnote 38. En 2008, l’historien du livre P. Needham mène une expertise plus longue s’appuyant sur la comparaison de l’ouvrage avec deux exemplaires du SN déjà authentifiés. Il étudie les éléments typographiques et d’impression qu’il associe aux analyses des dessins de la Lune faites par H. Bredekamp et aux connaissances historiques établies sur l’implication de Galilée dans l’impression du SN. Ces résultats le conduisent à confirmer l’hypothèse d’un exemplaire d’épreuves. Porté par cette conclusion, il travaille avec H. Bredekamp sur les filigranes du papier et conclut, avec l’ensemble des spécialistes réunis, à l’authenticité du SNML.

L’attention portée à certaines caractéristiques graphiques et matérielles de l’ouvrage, les connaissances historiques utilisées, les épreuves physiques que ces spécialistes font subir à l’objet s’appuient sur des « conventions de qualification » propres à leurs domaines respectifs. Articulées à l’issue d’une « série de rapprochements et de recoupements », elles constituent un « dispositif de preuve émergent »Footnote 39 qui permet à P. Needham, H. Bredekamp et son équipe de statuer sur l’authenticité du livre. Ces différentes opérations associent deux modalités probatoires principales. La première, propre à l’histoire de l’art, héritée du connoisseurship – ou « art du connaisseur » –, repose sur un examen visuel de l’ouvrage attentif à son caractère autographe, dont attestent la signature et le trait ou pinceau de l’artisteFootnote 40. Le connoisseurship « se déploie d’abord dans le monde des collections et du marché de l’art, où il est défini comme un ensemble de savoirs techniques sur la peinture, tournés vers l’attribution et l’authentification des œuvres, et fondés sur leur analyse stylistiqueFootnote 41 ». Les analyses complémentaires, pratiquées à l’aide d’instruments et de méthodes scientifiques sophistiqués, participent d’un connoisseurship « augmenté », au cœur des progrès de la technical art history Footnote 42. La seconde modalité relève davantage de l’histoire du livre et de l’imprimé. Elle associe l’examen visuel fondé sur des comparaisons à d’autres exemplaires déjà authentifiés et les connaissances disponibles en histoire matérielle du livre, notamment les archives sur les conditions de fabrication et d’impression du SNML. La démarche de H. Bredekamp, qui s’associe avec P. Needham et réunit un collectif d’experts, illustre la combinaison de ces deux dispositifs de preuve : ces collaborations aux confins des disciplines visent à produire des connaissances fiables sur l’ouvrage en cause.

Des doutes salutaires

Revenons aux sources d’incertitude qui ont motivé la démarche collective de réexamen du SNML. Les collections et les lieux de conservation y jouent un rôle important. Dans le chapitre liminaire de SNML. Anatomie d’une contrefaçon, P. Needham rappelle ses échanges nourris, à partir de mai 2012, avec N. Wilding qui soupçonnait le manque d’intégrité de M. De CaroFootnote 43. En mars de cette même année, M. De Caro est nommé directeur de la Biblioteca dei Girolamini de Naples, institution culturelle qui abrite depuis 1586 une très riche collection de livres anciens. Ses pratiques sont vivement critiquées, notamment le manque de soin accordé aux livres et des déplacements suspects de volumes précieux. N. Wilding connaît bien certaines bibliothèques italiennes et leurs collections – dont celle de Naples – pour les avoir fréquentées pour ses travaux de recherche. Il fait part à P. Needham de sa méfiance à l’égard de M. De Caro en raison de sa possible implication dans la mise sur le marché de deux exemplaires du Compasso Footnote 44 reconnus comme faux. N. Wilding soupçonne également la falsification du SN acquis par Martayan Lan (SNML). La correspondance avec P. Needham se poursuit ainsi autour des caractéristiques de cet ouvrage. N. Wilding se focalise sur la signature de Galilée sur la première page du livre et sur les dessins de la Lune, qu’il estime falsifiés. Il exprime aussi des réserves sur le timbre de Cesi. D’abord peu réceptif à l’argument de la fausse signature, P. Needham dit changer d’avis en quelques heures, à la lumière d’étrangetés typographiques et orthographiques identifiées par N. Wilding sur un exemplaire falsifié du SN, proposé par M. De Caro et retiré de la vente quelques années plus tôt. Il se déplace alors pour réexaminer le SNML en le comparant à des photographies de très haute résolution d’un exemplaire authentique conservé dans les riches collections de la bibliothèque de l’Institute of Advanced Studies de Princeton. Une fois encore, N. Wilding attire l’attention de son collègue sur un détail qui achève de le persuader du caractère contrefait de l’exemplaire : très profondes, les marques d’épaule des lettres ne peuvent résulter que de plaques polymères, et non de caractères mobiles d’imprimerieFootnote 45. P. Needham compare alors le SNML à un exemplaire authentique accessible à l’université Columbia de New York. Après examen des différents détails discutés, il déclare n’avoir désormais plus de doutes sur la contrefaçon de l’opus.

L’ouvrage SNML. Anatomie d’une contrefaçon relate ensuite le travail de l’équipe engagé à partir de juin 2012 pour revenir sur l’authentification initiale, « dans une atmosphère de douleur, de culpabilité, de colère et de curiosité, le tout mêlé à un esprit collaboratif rarement égaléFootnote 46 ». Les chapitres 3 à 7 sont des comptes rendus détaillés des analyses menées sur le SNML Footnote 47. Chacun est consacré à l’examen d’une caractéristique ou d’une partie matérielle du livre et signé du ou des spécialistes impliqués. Rédigées suivant le registre du rapport d’expertise, au style indirect, ces analyses apportent des preuves objectives de la contrefaçon tout en montrant le sérieux et les compétences des différents membres de l’équipe. Les chercheurs ont suivi les étapes d’examen matériel du livre pratiquées couramment dans le domaine de la physical bibliography, ou bibliographie matérielleFootnote 48. Toutefois, aucune référence précise dans ce domaine n’est citée, quand une seule mention est réservée à la contrefaçon de documents imprimés – I. Brückle se référant, dans le chapitre 9, aux travaux de Nicolas BarkerFootnote 49.

À la suite de ces analyses matérielles minutieuses, l’ensemble des indices collectés et des preuves établies conduisent l’équipe de spécialistes à caractériser la contrefaçon. Les chercheurs retracent les omissions ainsi que les erreurs individuelles et collectives, qu’ils justifient par l’aveuglement lié à la découverte d’un exemplaire rare et unique. À cet égard, il faut souligner l’emprise exercée par H. Bredekamp, captivé par l’aura des dessins aquarellés de Galilée, qui confirmaient par ailleurs sa théorie. Du fait de l’importance symbolique de son jugement, sa croyance s’est diffusée à l’ensemble de l’équipe, ce qui a contribué, dans un premier temps, à une forme d’hypnose collectiveFootnote 50. La démarche d’expertise est illustrée par la multiplicité des indices qui, mis ensemble et interprétés dans le cadre de la collection d’exemplaires authentiques et de fac-similés/faux consultés, permettent de confirmer la contrefaçon, d’en éclairer la fabrication contemporaine et de fournir des preuves du fait que l’ouvrage ne peut pas être un exemplaire d’épreuves : utilisation de plaques polymères pour l’impression, écart constant entre les pages, défaut d’encrage des gravures stellaires, anomalies dans l’impression de lettres.

Une fois établis ces constats sur la nature falsifiée de l’impression, les chercheurs en viennent à l’examen du papier. Irene Brückle, Theresa Smith et Manfred Mayer restituent les preuves de contrefaçons établies à l’aide de techniques invasivesFootnote 51. Ils expliquent d’ailleurs ne pas avoir eu recours à ces analyses en 2005 lors de l’authentification initiale, ayant écarté la possibilité d’une contrefaçon. Après la reliure, ils examinent l’état d’usure des fils, du dos de la couverture et des nerfs de la tranche et confirment que l’insertion de l’opus est récenteFootnote 52. Ces techniques d’expertises destructrices – entraînant des pertes irréversibles – ainsi que les divisions entre experts autour de leurs hypothèses de travail se retrouvent dans d’autres affaires de faux survenues dans le domaine de l’archéologieFootnote 53. L’affaire Glozel, jamais tranchée, a ainsi fait l’objet d’une très longue série d’expertises marquées par des tensions persistantes entre spécialistes. Dès le départ, la procédure d’authentification – et, en particulier, l’extraction des objets du champ des fouilles puis leur préparation – avait créé des irréversibilités, rendant compliquée voire parfois impossible une contre-expertiseFootnote 54 et donc la conclusion des débats.

Au-delà de cette enquête technique, les différents chapitres de SNML. Anatomie d’une contrefaçon montrent combien M. De Caro avait anticipé le processus d’expertise et pris des mesures pour le circonvenir – une anticipation partiellement réussie, au vu de l’authentification initiale. Dans les deux derniers chapitres, les trois principaux membres de l’équipe proposent des éléments d’analyse de la « psychologie du faussaire » et d’« ultimes réflexions » sur ce forfaitFootnote 55. P. Needham reconnaît sa « collaboration inconsciente à une contrefaçon » pour expliquer les « oublis » et « occasions manquées »Footnote 56 ; I. Brückle et H. Bredekamp, quant à eux, soulignent davantage l’étendue des compétences du faussaire et de ses acolytes. Si l’ensemble des explications avancées par l’équipe éclaire les modalités de réalisation d’une contrefaçon et ses effets sur les différents spécialistes, leurs contributions ne situent pas l’affaire par rapport à d’autres cas similaires, pas plus qu’elles ne la remettent dans le contexte d’une entreprise frauduleuse organisée. Ainsi, à l’issue de la lecture de SNML. Anatomie d’une contrefaçon, plusieurs questions restent en suspens. Elles sont en partie traitées par N. Wilding, qui s’arrête en particulier sur le rôle crucial du marché du livre ancien : ses acteurs, ses réseaux, son organisation complexe – et en partie opaque –, ses normes et ses pratiques doivent être pris en compte pour comprendre les dessous de cette affaire.

Inverser l’hypothèse d’un exemplaire authentique

Dans Faussaire de Lune, N. Wilding revient justement sur le moment de l’achat du SNML et interroge le réseau dans lequel l’objet a circulé. En associant le SNML au faussaire et à ses méfaits, il nourrit des hypothèses de travail l’amenant à rechercher les traces matérielles d’une falsification à partir de la graphie de la signature et de la typographie de l’ouvrage. Pour cet historien des sciences, le SNML ne devrait pas être considéré comme une « masterpiece » mais comme un spécimen – certes sophistiqué du fait de l’ajout des peintures – d’une longue série de copies grossières placées par M. De Caro dans les rayons des bibliothèques comme substituts aux livres volés. Il reproche à l’équipe de H. Bredekamp de ne pas avoir pris en compte les circonstances de l’achat lors de l’examen initial du livre, ce qu’il attribue à leur attachement méthodologique aux propriétés intrinsèques de l’objet. Il insiste également sur la résistance des libraires à détailler leurs sources, partant à documenter la provenance du livre d’une manière qui permettrait de le replacer dans les circuits marchands où se détermine sa valeur.

Selon N. Wilding, l’équipe d’experts a donc longtemps ignoré les manigances de M. De Caro et de ses acolytes auprès des libraires et des collectionneurs ainsi que l’introduction sur le marché d’exemplaires du SN (et d’autres livres de Galilée) finalement retirés de la vente par les maisons d’enchères. Pour lui, ces lacunes s’ajoutent à l’omission de certaines vérifications élémentaires, dont la plus flagrante concerne l’estampille Cesi : celle-ci n’a pas été rapportée et comparée à la collection des cachets authentifiés, malgré la participation d’une spécialiste à l’expertise. N. Wilding explique ces négligences par le manque de collaborations régulières de l’équipe avec des historiens de l’astronomie et des spécialistes de la bibliographie, et également par leur utilisation lacunaire des ressources numériques. Il s’en prend aussi directement à H. Bredekamp et à l’excès d’assurance dont il aurait fait preuve lors de l’authentification initiale du SNML. Il lui reproche de ne pas suffisamment reconnaître ses négligences en imputant l’entière responsabilité du jugement erroné à l’habileté du faussaire, contrairement à P. Needham qui juge la contrefaçon de mauvaise qualitéFootnote 57. Il pointe en outre son manque d’intérêt pour la circulation de l’objet qu’il avait en main et, plus généralement, pour le marché du livre ancien. Il dénonce enfin son manque de considération pour les doutes émis par certains experts et son choix de ne pas collaborer avec d’autres historiens des sciences ou du livre pour compléter et renforcer (ou infirmer) ses premières analyses. Cette charge virulente montre à quel point la force probatoire d’un indice dépend des hypothèses initiales de travail à partir desquelles les experts façonnent le contexte d’interprétation et sélectionnent, parmi les diverses saisies possibles de l’ouvrage, celles qu’ils vont utiliser.

Malgré ses critiques argumentées de la démarche probatoire des historiens de l’art, N. Wilding confirme le caractère sophistiqué de l’exemplaire et son pouvoir d’attraction sur les spécialistes qui l’ont tenu en main. Tel ne fut pas son cas : attaché à une authentification par la preuve matérielle, ses premiers doutes sont nés de la comparaison à distance du SNML avec un exemplaire du SN mis aux enchères à New York par Sotheby’s en 2005, puis retiré de la vente et disparuFootnote 58, à partir des pages de titre scannées et de la présence identique d’un point noir à côté du second « l » de Galileo. Il mentionne que, dès 2009, l’astronome et historien de l’astronomie Owen Gingerich s’était interrogé sur l’authenticité des illustrations des phases de la Lune, sans toutefois remettre en cause celle du texte : les multiples aptitudes techniques requises pour produire une contrefaçon de 60 pages lui semblaient impossibles à réunir. L’astronome n’avait pas anticipé le fait que le faussaire avait mis en place un véritable atelier de contrefacteurs à l’échelle internationale.

Dans une perspective plus générale, N. Wilding rapporte l’économie des contrefaçons au fonctionnement du marché du livre ancien et à ses critères de valorisation : importance accordée au texte édité (les œuvres scientifiques sont très recherchées), à l’état physique de l’ouvrage, au nombre d’exemplaires connus et dûment répertoriés par les spécialistes (à la manière des catalogues en peinture). Ces critères contribuent à singulariser les exemplaires et, simultanément, à créer des manques, et donc des attentes, propres à la « forme collection » dans une économie générale de la valeur des chosesFootnote 59. Par ailleurs, précise N. Wilding, le stock de livres anciens étant limité, les acteurs de ce marché accordent un prix à la connaissance de nouvelles sources tout en redoublant de prudence. Il relate, au début des années 2000, l’arrivée sur les marchés nord-américain et européen des premières éditions de Galilée, dont le SNML, qualifié alors d’exemplaire d’auteur. La mise en vente de ces ouvrages, issus d’une source argentine, dans un temps de crise économique conduisant des bibliophiles à céder leurs biens, fut accompagnée de rumeurs de vol et de falsification. C’est dans ce contexte que le prix estimé du SN passa de 500 000 à 10 millions de dollars. Finalement, pour N. Wilding, ce n’est pas tant la psychologie du faussaire, ses méthodes et sa connaissance des collections qui expliquent la réussite initiale de son projetFootnote 60 que les ressorts d’une fraude qui relève, selon lui, du crime organisé. C’est pourquoi il évacue l’argument selon lequel la numérisation des livres anciens facilite le travail des faussaires pour se concentrer sur les angles morts des réseaux de circulation et de vente de livres anciens, notamment la traçabilité de leur provenance et des transactions mentionnées dans des catalogues, dont les mises à jour restent inégales. Ainsi N. Wilding met-il en évidence les marges troubles du marché où les faussaires jouent avec les frontières entre l’authentique et le falsifié, les objets inventoriés et ceux qui ne le sont pas. Usant de ses différents statuts et de ses relations, M. De Caro a fait preuve d’une habilité indéniable pour évoluer dans cette zone grise et se livrer à des pratiques de substitution et de contrefaçon d’ouvrages.

En définitive, la charge de N. Wilding permet de comprendre plus précisément la configuration des savoirs d’authentification propre à cette « affaire Galilée ». Elle conduit cependant à opposer deux façons d’administrer des preuves d’authenticité, clairement hiérarchisées entre elles – la démarche des historiens de l’art étant dévalorisée au profit du protocole plus rigoureux des historiens des sciences. On peut tenter de suivre une autre perspective, dans le sillage de l’anthropologue Giordana CharutyFootnote 61, en cherchant plutôt à saisir l’affaire du point de vue des historiens de l’art. La posture scientifique de H. Bredekamp apparaît alors comme une tentative pour défaire le dispositif de croyance qui a abouti à l’authentification initiale du SNML. Si H. Bredekamp, spécialiste du rôle de l’image dans la production scientifique, a d’abord cru que les peintures des phases de la Lune étaient bien de la main de Galilée, c’est parce qu’elles confirmaient ses travaux antérieurs sur ce que la pensée de l’astronome doit à la main qui dessineFootnote 62. L’illusion de l’authenticité n’est donc pas une simple erreur cognitive ou le résultat d’une négligence, mais repose sur une croyance de départ, inscrite dans un ensemble de travaux que les analyses restituées dans SNML. Anatomie d’une contrefaçon déconstruisent en partie. Cette « affaire Galilée » contemporaine doit-elle pour autant conduire à remettre en cause le rôle de l’image dans l’enquête scientifique et la preuve empirique au xviie siècle ? L’historienne de l’art états-unienne Melinda Schlitt ne le croit pasFootnote 63. D’une part, cette erreur d’attribution doit autant aux méthodologies interprétative et analytique des historiens et des libraires spécialistes des livres anciens qu’à celles des historiens de l’art. D’autre part, cette seule méprise ne saurait réduire à néant l’influence des travaux de H. Bredekamp sur les liens entre arts et science, menés dans le sillage des recherches fondatrices d’Erwin Panofsky, avec la publication en 1956 de « Galileo as a Critic of the Arts »Footnote 64. Pour M. Schlitt, l’erreur du faussaire tient justement à sa mécompréhension du rôle et des modalités d’utilisation et d’exécution de peintures par Galilée dans l’ensemble de son œuvre : H. Bredekamp aurait probablement percé la contrefaçon en tenant compte plus précisément de l’apport de ses propres analyses.

Cette controverse entre historiens des sciences et historiens de l’art témoigne de conditions d’enquête et de dispositifs probatoires qui ne se recoupent que partiellement, et dont les écarts apparaissent à la faveur de l’identification de ce faux exemplaire du SN. Cependant, les arguments échangés ne rendent pas entièrement compte des relations et des savoirs construits aux confins de ces deux champs disciplinaires, ni de l’étendue et de la complexité de l’entreprise organisée par le faussaire. Or cette dernière reflète la spirale des relations entre experts et faussaires en même temps qu’elle y participe.

La spirale des relations entre experts et faussaires

Quels que soient les protocoles d’authentification employés, ceux-ci peuvent être contournés par les contrefacteurs selon la spirale « experts et faussaires » mise en évidence par l’historien Anthony GraftonFootnote 65, qui s’est principalement appuyé sur un corpus de livres apocryphes. Selon cet auteur, faussaires et critiques nourrissent et perfectionnent en effet leurs pratiques respectives. Les premiers, dotés d’une connaissance intime du milieu des lettrés auxquels ils soumettent leurs ouvrages, sont capables de s’approprier les méthodes de la critique historique et de donner à leur texte l’apparence de l’ancienneté. Les seconds doivent alors redoubler de vigilance et entretenir leur connaissance sur les modes de fabrication, d’expertise et de falsification.

L’importance cruciale des collections d’œuvres authentifiées et (surtout) contrefaites

Dans SNML. Anatomie d’une contrefaçon, les sept spécialistes relatent leur démarche d’enquête, au sein du Kupferstichkabinett de Berlin. Ils mentionnent la diversité des sources utilisées pour comparer le SNML à des exemplaires authentiques ainsi que le recours, en l’absence de faux SN identifié et accessible, à d’autres contrefaçons de qualité d’ouvrages de Galilée – comme l’exemplaire du Compasso dont la falsification est confirmée en juin 2012 et permet, quelques mois plus tard, de reprendre à nouveaux frais l’examen du SNLM : « À notre connaissance, jamais autant d’éléments authentiques comme contrefaits en lien avec Galilée n’avaient été réunis en un même lieu que durant cette deuxième semaine d’octobre 2012Footnote 66. » Les collections muséales et les autres lieux d’authenticité, souvent entretenus par des « conservateurs », constituent à cet égard des ressources primordiales. Comme nous l’avons vu, les experts mobilisent différentes collections pour mettre à l’épreuve le SNML Footnote 67. Au cours du processus d’expertise, l’objet examiné en appelle d’autres qui permettent, de façon différentielle, d’étayer les opérations de qualification. Dans ces dispositifs de comparaison, les objets s’informent réciproquement, soulageant la part du travail d’interprétation exigée de l’expert. De ce point de vue, les collections rassemblées dans les musées, les bibliothèques, les librairies et les foires du livre (en tant que lieux de ventes réglementés), représentent des dispositifs d’authentification très prisés par les experts et, par conséquent, par les faussaires. Rappelons que la richesse des bibliothèques universitaires américaines possédant un exemplaire authentifié du SN a joué un rôle primordial dans le travail de N. Wilding et P. Needham.

Dans le cas du SNML, les experts se fondent également sur la collection des contrefaçons des ouvrages de Galilée de manière à faire émerger des similitudes et à remonter jusqu’à l’atelier du faussaire, comme le font les enquêteurs pour les filières de contrefaçon. À cette richesse de compétences et de savoirs experts répond l’habileté individuelle et collective des faussaires : leur travail relève bien plus d’un artisanat de haut vol et d’une division du travail organisée qu’il n’est l’expression fascinante d’un génie malfaisant.

L’art d’être faussaire : jouer de la singularité

Dans SNML. Anatomie d’une contrefaçon, H. Bredekamp reconnaît la complexité et la singularité de l’objet contrefait, qui ne vise pas à reproduire une copie parfaite ni à combler un vide dans le développement stylistique de l’artiste : « même ce ‘développement’ d’un style original suivrait la règle de proximité par rapport à l’authentiqueFootnote 68 ». Il existerait donc une forme générale – et non un archétype bien défini – qui servirait d’étalon, définissant les frontières de la collection des œuvres d’un artiste ou de tout autre créateur. L’habileté des faussaires réside précisément dans leur capacité à jouer avec ces frontières, à les rendre incertaines afin de déstabiliser le jugement des experts tout en éveillant leur curiosité pour un objet unique. C’est le cas, bien documenté, du faussaire Wolfgang Beltracchi cherchant à produire de « nouveaux » Max ErnstFootnote 69. Le faux comme composition originale se distingue de la copie en prenant place dans une série sans avoir d’équivalent matérialisé, limitant les possibilités de comparaison précise avec un authentique original. Ainsi, les contrefacteurs retournent la collection contre elle-même pour faire émerger des doutes sur sa complétude. C’est là poser la question plus générale des diverses façons de faire équivalence et d’établir des rapports différentiels entre objets, selon un processus conventionnel qui conduit à leur attribuer une valeur et à les intégrer dans des collectionsFootnote 70.

H. Bredekamp a montré les efforts du faussaire pour singulariser sa production (et donc réduire les possibilités de comparaison) en choisissant de reproduire l’un des trente exemplaires sans eaux-fortes et, surtout, en voulant remonter à la source de tous les exemplaires du SN : l’exemplaire d’épreuvesFootnote 71. Or pour accéder à cet « unique », force est de procéder par déduction et de parcourir les copies dont on a éliminé les erreurs d’impression, dans le sens inverse de la chronologie de leur élaboration, jusqu’à arriver à l’exemplaire le plus proche de la première impression. Pour l’expert, une telle investigation, très coûteuse, suppose de se procurer un grand nombre d’exemplaires du livre (s’ils existent) afin d’identifier la plus forte proximité d’un exemplaire avec le SNML. L’une des compétences de M. De Caro est d’avoir anticipé les coûts d’une telle opérationFootnote 72.

Selon H. Bredekamp, son habileté tient aussi au fait d’avoir produit un objet extrêmement singulier en y adjoignant des dessins, ce qui le rend plus difficilement comparable à d’autres. L’historien précise que M. De Caro a pris le risque d’imiter dans ses dessins la façon dont Galilée peignait les zones d’ombre : « à grands traits qui partent de la gauche vers la droite comme des poucesFootnote 73 ». Ce détail pictural, jamais observé auparavant chez l’astronome, pouvait en effet tout autant prouver l’authenticité des dessins que faire naître certains doutesFootnote 74. Il venait confirmer un ensemble de travaux établis sur le rôle et les modalités d’exécution des dessins et des peintures de Galilée dans ses productions tout en questionnant son authenticité en raison de sa nouveauté. Mais à force de s’appliquer à produire des traces d’authenticité, le faussaire finit par se trahir. H. Bredekamp s’arrête ensuite sur la signature apposée sur la page de titre du SNML, conçue par le contrefacteur comme une marque intentionnelle d’authenticité renforçant sa singularité. « La lettre ‘f’ a été inscrite sur le papier avec une telle force que la plume semble s’être cassée, empêchant l’encre de couler de façon uniforme sur le papierFootnote 75. » De ce soin apporté aux détails, dont le faussaire sait qu’ils feront l’objet d’une grande attention de la part des experts, H. Bredekamp tire une conclusion plus générale : dans l’histoire de la production des contrefaçons, on serait « passé de la mimèsis pointilleuse à la fantaisie constructive comme preuve de l’authenticitéFootnote 76 » – manière de souligner implicitement l’adaptation des faussaires aux standards de l’expertiseFootnote 77.

Ces variations autour du « modèle » existent depuis longtemps. Les études sur la signature montrent que celle-ci ne fournit une prise pour l’authentification que dans la mesure où elle associe au modèle déposé ou connu des traits capables de produire, paradoxalement, de l’identité par la différenceFootnote 78. Deux signatures qui seraient en tout point superposables seraient considérées comme suspectes. Le faussaire doit donc trouver un compromis entre identité et différence pour réussir à faire croire à l’authenticité de son faux : s’il va trop loin soit dans un sens soit dans l’autre, il risque de se faire prendre à son propre jeu. Toutefois, ce savoir-faire individuel ne saurait suffire : comme le note l’historienne I. Brückle, l’une des compétences cruciales du faussaire du SNML réside dans l’organisation de son entreprise collective de contrefaçonFootnote 79.

Un marché du livre ancien qui incite à la contrefaçon

La production du SNML repose sur « l’intervention d’une équipe composée de savants, d’artisans et d’artistes doués pour la restauration et la contrefaçon, et environ deux ans de travail dans différents paysFootnote 80 ». Ces collaborateurs, qualifiés ici de « complices », ne sont pas contrefacteurs à plein temps. Mobilisés de façon intermittente et non liés directement à la totalité du processus de production, ils sont impliqués par ailleurs dans des activités parfaitement légales et sont installés dans différents paysFootnote 81 afin de limiter leurs interactions et de rendre plus difficile la remontée des filières par les enquêteursFootnote 82. Comme le mentionne I. Brückle, cette économie de la contrefaçon, digne d’une organisation mafieuse, se nourrit des apprentissages des faussaires pour perfectionner leur artisanat. Ainsi, M. De Caro a amélioré la qualité du papier du SNML après avoir compris que les contrefaçons précédentes, notamment celle du Compasso de Padoue, attiraient les soupçons en raison de leur toucher (« Le papier ne ‘chantait’ pas comme aurait dû le faire un papier du xviie siècleFootnote 83 »). C’est aussi en constatant l’échec de la contrefaçon du Compasso, présenté « nu », et non dans un volume relié avec d’autres manuscrits authentiques, qu’il a sans doute choisi cette seconde option pour le SNML. De même, M. De Caro a particulièrement soigné les traces d’usure et de réparations dans le but de répondre aux attentes de ceux qui allaient tenir le livre dans leurs mains.

Néanmoins, comme le montrent des analyses sociologiques portant sur d’autres démarches frauduleuses, les actes de contrefaçon sont indissociables des ressources, des pratiques tacites et des modes de régulation qui régissent les mondes auxquels ils appartiennent. Ils ne peuvent être réduits aux comportements délinquants de collectifs constitués ad hoc. La chaîne des décisions, des ordres et des responsabilités s’inscrit dans une division du travail difficile à établir en raison de l’importance des relations informelles, des réseaux et de leurs ramifications multiples et, surtout, de la faiblesse des sanctions prononcéesFootnote 84. M. De Caro a véritablement inscrit ses actes dans une carrière de faussaire et de grande délinquance, emblématique de la mandature de Silvio BerlusconiFootnote 85. Il s’est d’abord établi comme un acteur important des mondes de la bibliophilie et du livre ancien, en se présentant comme un spécialiste de Galilée, faux diplôme de l’université de Vérone à l’appui. Comme le mentionne N. Wilding, il a appris les rudiments de la fabrication d’ouvrages auprès d’un antiquaire argentin impliqué dans des vols de livres en Espagne et dans son pays. Il a ensuite perfectionné son savoir pendant des années en produisant des faux mis sur le marché puis identifiés, dont un SN et un Compasso. Issu de la noblesse italienne de province (Vérone), M. De Caro a bénéficié d’appuis et de passe-droits qui lui ont permis d’accéder à de nombreux ouvrages précieux et de les subtiliser en les échangeant contre des faux. D’après des enquêtes précisesFootnote 86, il a profité d’accès privilégiés à des pièces rares de la bibliothèque du Vatican et de la bibliothèque de Vérone. Grâce à ses appuis, dont ses relations avec les plus hauts représentants de l’Église, il y a consulté l’un des rares cinq exemplaires du Dialogo de Cecco di Ronchitti da Bruzene in perpuosito de la stella nuova (1605), attribué à Galilée et à son élève et ami Girolamo Spinelli. Laissé, à sa demande, seul avec le livre, M. De Caro substitue à l’original une copie de sa fabrication. Il continue et perfectionne ses pratiques grâce à sa nomination, en juin 2011, au poste de directeur de la bibliothèque de NaplesFootnote 87. Cette décision est vivement contestée par des chercheurs et des intellectuels, dont les soupçons vont rapidement se vérifier. En avril 2012, M. De Caro est interrogé par la police et suspendu de ses fonctions. Avec la complicité du conservateur de la bibliothèque – le père Sandro Marsano – et d’une collaboratrice du sénateur Marcello Dell’Utri, proche de S. Berlusconi, M. De Caro a volé au moins 240 volumes pour les vendre illégalement, pour partie à des acquéreurs étrangers. Il en a remplacé certains par des faux de façon à éviter que le vol soit caractérisé trop rapidement. Les investigations ont mis au jour son réseau de relations avec les autorités du Vatican et des proches de S. Berlusconi. M. Dell’Utri est d’ailleurs arrêté et condamné pour son rôle d’intermédiaire entre ce dernier et des réseaux mafieux.

Finalement, à travers ses actes, sa capacité à se présenter comme un franc-tireur critique d’un marché de l’art vérolé et d’experts et d’universitaires aussi incompétents que malhonnêtes, M. De Caro fait presque oublier son implication dans des pratiques qui le rangent plutôt dans la catégorie des délinquants en relation avec des entreprises mafieuses. Il a pourtant été condamné dans le cadre d’une affaire de détournement de 2 000 ouvrages de bibliothèques publiques italiennes, en lien avec une maison de vente aux enchères de Munich. S’ajoute à ces délits la découverte très récente de son implication dans le vol d’un grand nombre d’ouvrages anciens en Espagne. Même si leur ampleur est encore incertaine, ces méfaits confirment l’hypothèse d’un réseau international aux multiples ramifications, reliant marché du livre ancien, institutions religieuses et culturelles, et acteurs politiques italiens de l’ère berlusconienne.

La mise en regard d’autres types de faux avec la contrefaçon de livres anciens – tels les manuscrits apocryphes ou encore les fausses archives – révèle combien la conception et les usages stratégiques de ces derniers dépendent d’un cadre politique donné. Assurément, la contrefaçon du SNML est exceptionnelle, tout comme la procédure d’expertise – l’une et l’autre ayant nécessité d’énormes moyens. L’ouvrage dirigé par H. Bredekamp, I. Brückle et P. Needham aurait pu analyser de manière plus approfondie le cas du SNML en mobilisant d’autres travaux menés dans le domaine de la contrefaçon d’œuvres. En particulier, il n’est pas certain qu’il n’existe aucun équivalent dans l’histoire moderne et contemporaine, ce qui nuancerait le propos de l’éditeur français dans sa postface : « jamais un contrefacteur ne s’était engagé dans de telles activités criminelles pour perfectionner son art de la contrefaçonFootnote 88 ». Il aurait sans doute fallu ajouter : « dans le domaine du livre ». D’autres cas de faux livres ont par ailleurs été documentés et ont donné lieu à des controverses très longues qui n’ont pas toutes été tranchéesFootnote 89. Des comparaisons avec d’autres pratiques d’analyse des objets – et, plus généralement, d’élaboration de connaissances à leur sujet –, en archéologie, en histoire de l’art, en philologie ou en bibliographie matérielle, feraient ressortir les points communs et les spécificités des contrefaçons dans ces différents domaines. Elles contribueraient plus largement à l’étude de nos relations complexes aux faux et à la falsification et seraient l’occasion de mieux saisir les rapports entre les valeurs symbolique, esthétique et marchande associées à ces objets. La perspective historique en particulier permettrait de rendre explicites les influences réciproques entre les savoir-faire des experts, l’habileté des faussaires et la hantise du faux des acteurs des marchés concernésFootnote 90.

L’affaire du SNML a été jugée très rapidement, et le faussaire identifié et emprisonnéFootnote 91. Quel que soit le domaine, les diverses affaires de faux ont mis en évidence les relations entre faussaires, marchands d’art, maisons d’enchères et collectionneurs sans toujours parvenir à les prouver formellement. Le traitement du SNML par les experts montre que ces cas sont souvent isolés les uns des autres, ce qui rend difficile d’évaluer et de prendre en compte l’ampleur des pratiques de contrefaçon. Cette approche fragmentée limite la compréhension du caractère collectif et délibéré d’une entreprise destinée à éprouver un marché de l’art ou du livre ancien dont la dimension fortement spéculative fait l’objet de critiques nourries, au même titre que certains domaines de la finance de marchéFootnote 92. En outre, cette individualisation des cas contribue à l’invisibilité sociale de ce type de transgressions. Or la réaction sociale à l’égard de la contrefaçon joue également un rôle important dans la régulation des comportements des acteurs. La philosophe de l’art Jacqueline Lichtenstein a souligné la mansuétude du grand public à l’égard des faussairesFootnote 93, les nombreuses biographies et films conçus autour des témoignages de faussaires repentis tendant à renforcer la complaisance des lecteurs et spectateursFootnote 94. À cet égard, dans un livre qui relève davantage de la production littéraire que proprement historique, l’historien Sergio Luzzato retrace la biographie de M. De Caro, tout en s’efforçant de montrer toute la complexité et l’ambivalence du personnageFootnote 95.

En raison du retentissement médiatique de l’affaire, les experts du SNML peuvent d’ailleurs craindre, à terme, que le faussaire ne retire de gros profits (livres, films, etc.) de la célébrité acquise. Cependant, en ce cas précis, le risque méritait indéniablement d’être pris : même si leur réputation a pu souffrir momentanément de leur erreur d’authentification, cette contre-enquête a été l’occasion de démontrer leurs compétences et leur intégrité, ce dont ils ne peuvent que sortir grandis, au moins sur le plan académique. Ce travail, dans lequel ils déplient en partie l’économie de la contrefaçon, leur a aussi permis de mieux comprendre les modes de production des livres anciens, des matières, des outils et des équipements utilisés, des savoir-faire mobilisés et des gestes typiques des métiers de l’imprimerie et de la reliure. Dans Faussaire de Lune, N. Wilding montre aussi que cette affaire doit inciter les experts à prendre en compte le fonctionnement du marché du livre ancien et à anticiper la manière dont les faussaires instrumentalisent leurs propres repères d’évaluation pour produire et vendre des contrefaçons. C’est suivant cette perspective d’apprentissage collectif que nous proposons de parler de la « valeur des faux », au sens où ceux-ci entretiennent les capacités critiques des experts tout comme le savoir-faire des artisans, même temporaires, de la contrefaçon. Cette « valeur des faux » a également une dimension pédagogique, voire scientifique. D’une part, ces contrefaçons alimentent l’intérêt d’un plus large public pour des œuvres connues seulement des spécialistesFootnote 96 ; d’autre part, elles conduisent parfois à envisager sous un nouveau jour les œuvres contrefaites et leur mode d’élaboration : les faux dessins de M. De Caro ont ainsi permis à l’historien de l’art H. Bredekamp d’affiner sa proposition théorique selon laquelle les connaissances scientifiques émergent des activités d’observation et de dessin. Il ne faudrait pas, néanmoins, basculer dans l’angélisme : identifier l’ensemble des contrefaçons reste essentiel pour assurer la solidité des connaissances historiographiques. Ce processus est également indispensable aux experts pour garantir l’authenticité des œuvres et éviter que le marché des livres anciens coure à sa perte.

Comme le prouve cette affaire, les spécialistes ne sont pas à l’abri de certaines négligences ou erreurs. Il convient cependant d’éviter les écueils d’une approche trop positiviste de ces dernières. Les oppositions entre experts reflètent l’importance de leurs croyances de départ, dans la mesure où chacun aborde l’objet analysé à partir des problématiques propres à sa discipline. À cette pluralité des points de vue s’ajoutent des différences de méthodologies et de pratiques liées à des conceptions divergentes de l’authenticité. Cette hétérogénéité rend problématique leur coopération et peut déboucher sur des luttes de pouvoir et de légitimité scientifique. Notre analyse à partir des deux ouvrages montre que l’examen du réseau de circulation des objets constitue une piste décisive pour mieux comprendre le parcours biographique des livres anciens, à la fois comme objets matériels, vecteurs de connaissances et sources de spéculation. Elle souligne la porosité des frontières entre le marché du livre et le monde des historiens et des archivistes. Comme dans d’autres domaines, il importe de considérer le maintien des institutions de production des savoirs en lien avec les dynamiques de marché des objets recherchés, en restituant l’épaisseur des pratiques et le réseau de relations de concurrence-coopération entre les différents acteurs. À ces conditions, il devient possible de reconnaître et de bénéficier pleinement de « la valeur du faux ».

References

1 Respectivement historien de l’art, spécialiste de Galilée et de son œuvre artistique, et historien du livre, spécialiste des impressions et des reliures anciennes.

2 Horst Bredekamp, Galilei der Künstler. Der Mond, die Sonne, die Hand, Berlin, Akademie-Verlag, 2007 ; Paul Needham, Galileo Makes a Book: The First Edition of Sidereus Nuncius, Venice 1610, Berlin, Akademie-Verlag, 2011 ; Irene Brückle et Oliver Hahn (dir.), Galileo’s Sidereus Nuncius: A Comparison of the SNML with Other Paradigmatic Copies, Berlin, Akademie-Verlag, 2011.

3 Voir par exemple Nick Wilding, « Horst Bredekamp (dir.), Galileo’s O, vol. 1 et 2, Berlin, Akademie-Verlag, 2011 (review) », Renaissance Quarterly, 65-1, 2012, p. 217-218.

4 Si la rétractation est un phénomène à présent courant et documenté dans certains champs disciplinaires, notamment la biologie (voir par exemple Michel Dubois et Catherine Guaspare, « ‘Is Someone Out to Get Me?’ : la biologie moléculaire à l’épreuve du Post-Publication Peer Review », Zilsel, 6-2, 2019, p. 164-192), l’entreprise semble moins fréquente dans le domaine de la bibliographie matérielle. Elle concerne ici très précisément le cas d’erreurs non détectées au moment de la publication des ouvrages qui rendent compte de l’authenticité supposée du SNML. Relevant de l’autocritique des auteurs eux-mêmes, sur la base des soupçons argumentés de Nick Wilding, elle témoigne, en tant que pratique réflexive, de leur souci de scientificité.

5 Horst Bredekamp, Irene Brückle et Paul Needham (dir.), SNML. Anatomie d’une contrefaçon, trad. par C. Lucchese et A. Baignot, Bruxelles, Zones sensibles, [2014] 2020. L’ouvrage est une publication scientifique collective, mais la préface et la postface sont rédigées par l’éditeur et créateur de cette maison d’édition, Alexandre Laumonier. Ces deux ajouts à l’édition originale en anglais (Horst Bredekamp, Irene Brückle et Paul Needham [dir.], A Galileo Forgery: Unmasking the New York “Sidereus Nuncius”, Berlin, De Gruyter, 2014) sont des clefs indispensables à la compréhension de la nature et du parcours de ce faux exemplaire du livre de Galilée.

6 Sandrine Morel, « La Bibliothèque nationale d’Espagne embarrassée par les mystérieuses disparitions d’ouvrages de Galilée », Le Monde, 21 mai 2021, https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/21/la-bibliotheque-nationale-d-espagne-embarrassee-par-les-mysterieuses-disparitions-d-ouvrages-de-galilee_6080933_3210.html.

7 Nick Wilding, Faussaire de Lune. Autopsie d’une imposture, Galilée et ses contrefacteurs, trad. par A. Coron, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2015.

8 Roger Chartier, Le jeu de la règle. Lectures, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2000, p. 139.

9 Voir, à ce sujet, Lauren Daston et Peter Galison, Objectivité, Dijon, Les presses du réel, 2012 ; Michela Passini, L’œil et l’archive. Une histoire de l’histoire de l’art, Paris, La Découverte, 2017.

10 Sur ce point, voir l’article de synthèse de Dominique Varry, « La bibliographie matérielle : renaissance d’une discipline », in D. Varry (dir.), 50 ans d’histoire du livre : 1958-2008, Villeurbanne, Presses de l’ENSSIB, 2014, p. 96-109.

11 Andrew Abbott, The System of Professions: An Essay on the Division of Expert Labor, Chicago, The University of Chicago Press, 1988 ; Bernard Lahire, Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré, Paris, La Découverte, 2015.

12 Nous reprenons le terme de « confins » des disciplines, défini par Anne Marcovich et Terry Shinn pour décrire le « fait [pour des chercheurs] de travailler de façon intermittente avec des scientifiques d’autres disciplines ; pour cela ils se situent à la périphérie de leur discipline mère, tout en restant à l’intérieur des frontières de celle-ci ». Voir Anne Marcovich et Terry Shinn, « Quelle disciplinarité pour la recherche à l’échelle nano ? La ‘nouvelle disciplinarité’, aux ‘confins’ des disciplines », Actes de la recherche en sciences sociales, 210-5, 2015, p. 50-59, ici p. 51.

13 Christian Bessy et Francis Chateauraynaud, Experts et faussaires. Pour une sociologie de la perception, Paris, Pétra, [1995] 2014 (seconde édition augmentée) ; Anthony Grafton, Faussaires et critiques. Créativité et duplicité chez les érudits occidentaux, Paris, Les Belles Lettres, 1993.

14 Soit, en français, le « messager des étoiles » ou « messager céleste ». Voir Galileo Galilei, Le messager céleste, éd. et trad. par I. Pantin, Paris, Les Belles Lettres, 1992. Il s’agit de l’édition citée dans H. Bredekamp, I. Brückle et P. Needham (dir.), SNML. Anatomie d’une contrefaçon, op. cit .

15 Alexandre Laumonier, « Préface », in H. Bredekamp, I. Brückle et P. Needham (dir.), SNML. Anatomie d’une contrefaçon, p. 8-22, ici p. 10.

16 Stillman Drake, Galileo at Work: His Scientific Biography, Chicago, The University of Chicago Press, 1978 ; Bernard Cohen, Les origines de la physique moderne. De Copernic à Newton, trad. par J. Métadier et C. Jeanmougin, Paris, Éd. du Seuil, [1960] 1993.

17 Alexandre Koyré, Études galiléennes, Paris, Hermann, 3 vol., 1939 ; Maurice Clavelin, Galilée copernicien. Le premier combat (1610-1616), Paris, Albin Michel, 2004.

18 Sur les conflits entre Galilée et l’Église, voir l’ouvrage récent de William R. Shea et Mariano Artigas, Galileo Observed: Science and the Politics of Belief, Sagamore Beach, Science History Publications, 2006, ainsi que Pietro Redondi, Galilée hérétique, trad. par M. Aymard, Paris, Gallimard, [1983] 1985, livre très discuté parmi les historiens des sciences. Pour une synthèse des relectures et critiques, voir la contribution de Jérôme Lamy, « Relecture. Galilée, l’archive et la pyramide inversée », Carnet Zilsel, 3 nov. 2013, https://zilsel.hypotheses.org/50.

19 Galilée a débattu avec Christoph Scheiner de ses observations du Soleil et des leurs implications sur la validité de la cosmologie aristotélicienne : Galileo Galilei et Christoph Schneider, On Sunspots, trad. par A. Van Helden et E. Reeves, Chicago, The University of Chicago Press, 2010. Voir aussi Mario Biagioli, Galileo’s Instruments of Credit: Telescopes, Images, Secrecy, Chicago, The University of Chicago Press, 2006, en particulier le chapitre 3.

20 Carlo Corsato étudie ces changements dans le statut et les pratiques des artistes peintres à Venise dont l’ascension sociale se réalise par l’exercice de leur profession, cette dernière n’étant pas une finalité : Carlo Corsato, « Authenticité et auctorialité à Venise au xvie siècle. Sources littéraires et pratiques artistiques », in C. Guichard (dir.), De l’authenticité. Une histoire des valeurs de l’art ( xvie- xxe siècle), Paris, Publications de la Sorbonne, 2014, p. 21-44.

21 Mario Biagioli, Galileo, Courtier: The Practice of Science in the Culture of Absolutism, Chicago, The University of Chicago Press, 1993. Voir également la note de lecture de Maurice Clavelin critiquant l’approche trop relativiste de Mario Biagioli, en particulier le manque de distinction entre travail de légitimation sociale et travail de légitimation épistémologique : Maurice Clavelin, « Galilée, homme de cour : sur un ouvrage de Mario Biagioli », Revue d’histoire des sciences, 51-1, 1998, p. 115-126.

22 Mario Biagioli, « Galilée bricoleur », Actes de la recherche en sciences sociales. 94-4, 1992, p. 85-105.

23 Id., « Etiquette, Interdependence, and Sociability in Seventeenth-Century Science », Critical Inquiry, 22-2, 1996, p. 193-238 ; William Eamon, « Court, Academy, and Printing House: Patronage and Scientific Careers in Late Renaissance Italy », in B. T. Moran (dir.), Patronage and Institutions: Science, Technology, and Medicine at the European Court, 1500-1750, Rochester, Boydell Press, 1991, p. 25-50 ; David Freedberg, The Eye of the Lynx: Galileo, His Friends, and the Beginnings of Modern Natural History, Chicago, The University of Chicago Press, 2002.

24 Charlotte Bigg, « Les études visuelles des sciences : regards croisés sur les images scientifiques », Histoire de l’art, 70, 2012, p. 23-29.

25 Dans ce dernier pays, les travaux sur Galilée ajoutés aux développements des visual studies ont même donné lieu à la refondation du titre d’un journal intitulé Nuncius. Annali di storia della scienza, devenu Nuncius: Journal of the Material and Visual History of Science.

26 L. Daston et P. Galison, Objectivité, op. cit.

27 Pour comprendre les débats qui ont traversé l’histoire de l’art dans sa constitution comme discipline et notamment le dialogue et les oppositions entre des courants esthétique et philosophique et des courants d’orientation plus expérimentale, consulter M. Passini, L’œil et l’archive, op. cit., chap. 4. Pour la poursuite de ces débats entre 1940 et la période contemporaine, voir la dernière partie, « Nouveaux équilibres, (1940-1970) », et la conclusion de l’ouvrage.

28 Steve Shapin et Simon Schaffer, Leviathan and the Air Pump: Hobbes, Boyle, and the Experimental Life, Princeton, Princeton University Press, 1985 ; Christian Licoppe, La formation de la pratique scientifique. Le discours de l’expérience en France et en Angleterre (1630-1820), Paris, La Découverte, 1996.

29 Krzysztof Pomian, Collectionneurs, amateurs, curieux. Paris-Venise, xvie- xviiie siècles, Paris, Gallimard, 1987 ; Daniel Roche, Histoire des choses banales. Naissance de la consommation xviie- xixe siècles, Paris, Fayard, 1997.

30 Avec la notion de paratexte, venue des études littéraires sous la plume de Gérard Genette, Palimpsestes. La littérature au second degré, Paris, Éd. du Seuil, 1982, et les travaux de Roger Chartier sur l’auctorialité : Roger Chartier, Inscrire et effacer. Culture écrite et littérature ( xie- xviiie siècle), Paris, Éd. du Seuil, 2005.

31 Galilée utilise le télescope en 1609, qu’il perfectionne durant le mois d’août de cette même année. Voir Ludovico Geymonat, Galilée, trad. par F.-M. Rosset et S. Martin, Paris, Éd. du Seuil, 1992 ; M. Biagioli, Galileo’s Instruments of Credit, op. cit.

32 Galileo Galilei, Le messager des étoiles, trad. et éd. par F. Hallyn, Paris, Éd. du Seuil, 1992 (voir en particulier l’introduction de Fernand Hallyn).

33 Frédéric Tinguely, « L’œil de verre. La rhétorique de l’autopsie dans le Sidereus Nuncius », Archives internationales d’histoire des sciences, 55-154, 2005, p. 83-95.

34 Christian Bessy, « Un modèle hiérarchique de l’artiste et de l’expertise. À propos de Bernard Lahire ‘Ceci n’est pas qu’un tableau. Essai sur l’art, la domination, la magie et le sacré’ », Revue française de sociologie, 57-1, 2016, p. 147-162 ; Christian Bessy et Francis Chateauraynaud, « The Dynamics of Authentication and Counterfeits in Markets », Historical Social Research, 44-1, 2019, p. 136-159.

35 Carlo Ginzburg, « Signes, traces, pistes. Racines d’un paradigme de l’indice » [1979], Le Débat, 6-6, 1980, p. 3-44. Pour une réédition modifiée, voir id., « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », in Mythes, emblèmes, traces. Morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989.

36 Voir le modèle d’expertise proposé par C. Bessy et F. Chateauraynaud, Experts et faussaires, op. cit.

37 Qui peut se traduire par « Moi Galilée, j’ai fait ceci ».

38 Le Kupferstichkabinett est un centre d’expertise pour la conservation de l’art sur papier. Internationalement reconnu pour les technologies d’analyse que les conservateurs et chercheurs y développent, il accueille une importante bibliothèque de filigranes permettant de documenter l’histoire de la fabrication du papier et la datation de l’art sur papier.

39 C. Bessy et F. Chateauraynaud, Experts et faussaires, op. cit., p. 299.

40 La peinture et par extension les dessins (peints dans le cas du SN) constituent, pour les historiens de l’art, des arts « autographiques ». Sur la peinture en particulier, voir Nelson Goodman, Langages de l’art. Une approche de la théorie des symboles, trad. par J. Morisot, Paris, Hachette littératures, [1968] 2005.

41 Charlotte Guichard, « Du ‘nouveau connoisseurship’ à l’histoire de l’art. Original et autographie en peinture », Annales HSS, 65-6, 2010, p. 1387-1401, ici p. 1388.

42 Concernant le développement du champ de la technical art history, voir Erma Hermens, « Technical Art History: The Synergy of Art, Conservation and Science », in M. Rampley (dir.), Art History and Visual Studies in Europe: Transnational Discourses and National Frameworks, Leyde, Brill, 2012, p. 151-165.

43 Paul Needham, « Mai 2012 : de féconds doutes », in H. Bredekamp, I. Brückle et P. Needham (dir.), SNML. Anatomie d’une contrefaçon, p. 23-34, ici p. 26.

44 Galileo Galilei, Le operazioni del compasso geometrico et militaro, Padoue, s. n., 1606. Il s’agit du premier ouvrage écrit par Galilée dans lequel il s’appuie sur le compas de proportion à usage militaire pour en faire un calculateur à usage plus général.

45 Dans un caractère d’imprimerie en plomb, on distingue l’œil (la lettre) et l’épaule (le fond).

46 Paul Needham, « Juin 2012-juillet 2014 », in H. Bredekamp, I. Brückle et P. Needham (dir.), SNML. Anatomie d’une contrefaçon, op. cit., p. 35-38, ici p. 37.

47 Id., « Contrefaçon de l’impression » ; Irene Brückle, Theresa Smith et Manfred Mayer, « Contrefaçon du papier » ; Nicholas Pickwoad, « Indices de contrefaçon dans la structure du volume composite contenant le SNML » ; Irene Brückle et Manfred Mayer, « Contrefaçon de la structure du Compasso de Padoue » ; Oliver Hahn, « Résultats d’analyses non destructives », in H. Bredekamp, I. Brückle et P. Needham (dir.), SNML. Anatomie d’une contrefaçon, op. cit., respectivement p. 39-51, 52-81, 82-96, 97-100 et 101-114.

48 Deux références majeures auraient pu être convoquées par les auteurs : les travaux du néo-zélandais Donald Francis McKenzie et ceux de Philip Gaskell. Les travaux de D. McKenzie se distinguent par la mise en lien de l’étude des caractéristiques matérielles des livres anciens avec les pratiques de l’organisation et les contraintes de l’atelier d’imprimerie. Voir notamment Donald F. McKenzie, La bibliographie et la sociologie des textes, trad. par M. Anfreville, Paris, Éditions du Cercle de la librairie, 1991, avec une introduction de Roger Chartier ; Philip Gaskell, A New Introduction to Bibliography, Oxford, Clarendon Press, 1972. Voir également Dominique Varry, Introduction à la librairie matérielle. Archéologie du livre imprimé (1454-vers 1830), 2011, http://dominique-varry.enssib.fr/bibliographie%20materielle.

49 Nicolas Barker, « The Forgery of Printed Documents », in R. Myers et M. Harris (dir.), Fakes and Frauds: Varieties of Deception in Print and Manuscript, New Castle, Oak Knoll Press, 1996, p. 109-123. Voir Paul Needham, Irene Brückle et Horst Bredekamp, « Ultimes réflexions », in H. Bredekamp, I. Brückle et P. Needham (dir.), SNML. Anatomie d’une contrefaçon, op. cit., p. 119-128, ici p. 125.

50 B. Lahire, Ceci n’est pas qu’un tableau, op. cit.

51 I. Brückle, T. Smith et M. Mayer, « Contrefaçon du papier », art. cit.

52 Notons que les spécialistes des sciences des matériaux reviennent sur leurs analyses destinées à caractériser ceux utilisés pour les parties écrites et dessinées. Comme lors de la première campagne d’analyses, ils utilisent la fluorescence aux rayons X. Ils y ajoutent la spectroscopie infrarouge par réflexion et la microscopie frontale, sans toutefois pratiquer de prélèvement sur les différents ouvrages étudiés, qu’ils soient authentiques ou falsifiés. L’analyse comparée des éléments tracés dans l’encre et le papier de l’exemplaire authentique du SN dit « de Graz » et dans le SNML montre que la réalisation de ce dernier est récente, sans cependant dater précisément la fabrication.

53 André Vayson de Pradenne, Les fraudes en archéologie préhistorique : avec quelques exemples de comparaison en archéologie générale et sciences naturelles, Grenoble, Jérôme Millon, [1932] 2018.

54 Christian Bessy, Francis Chateauraynaud et Pierre Lagrange, « Une collection inqualifiable. La controverse archéologique sur l’authenticité de Glozel », Ethnologie française, 23-3, 1993, p. 399-426.

55 Voir les chapitres 8 et 9 : Horst Bredekamp, « Vers une psychologie du faussaire », in H. Bredekamp, I. Brückle et P. Needham (dir.), SNML. Anatomie d’une contrefaçon, op. cit., p. 115-118 et P. Needham, I. Brückle et H. Bredekamp, « Ultimes réflexions », art. cit.

56 P. Needham, I. Brückle et H. Bredekamp, « Ultimes réflexions », art. cit., p. 121.

57 Ibid.

58 P. Needham, « De féconds doutes », art. cit., p. 27

59 Luc Boltanski et Arnaud Esquerre, Enrichissement. Une critique de la marchandise, Paris, Gallimard, 2017.

60 Les éléments de sa carrière, donnés par A. Laumonier dans la postface de l’ouvrage, montrent que M. De Caro dispose d’un savoir étendu sur Galilée et ses écrits et qu’il a une connaissance très intime du milieu du livre rare et des archives. Installé comme libraire, il fréquente les foires du livre ancien, se créant tout un réseau de vendeurs et d’acheteurs au niveau international. Il entretient ses entrées dans les bibliothèques, y compris celle du Vatican, et acquiert progressivement la réputation de savoir dénicher des livres rares.

61 Giordana Charuty, « Sergio Luzzatto, ‘Max Fox o le relazioni pericolose’ (compte rendu) », Gradhiva, 30, 2019, p. 156-159 ; Sergio Luzzatto, Max Fox o le relazioni pericolese, Turin, Einaudi, 2019.

62 Horst Bredekamp, Galileo’s Thinking Hand: Mannerism, Anti-Mannerism, and the Virtue of Drawing in the Foundation of Early Modern Science, Berlin, De Gruyter, 2019 (première édition parue en allemand, sous le titre Galilei der Künstler, en 2007). Dans cette nouvelle édition, H. Bredekamp revient dans une préface sur l’affaire SNML et des erreurs d’appréciation.

63 Melinda Schlitt, « Galileo’s Moon: Drawing as Rationalized Observation and Its Failure as Forgery », Open Inquiry Archive, 5-2, 2016, p. 1-19.

64 Erwin Panofsky, « Galileo as a Critic of the Arts: Aesthetic Attitude and Scientific Thought », Isis, 47-1, 1956, p. 3-15.

65 A. Grafton, Faussaires et critiques, op. cit.

66 P. Needham et al., « Juin 2012-juillet 2014 », in H. Bredekamp, I. Brückle et P. Needham (dir.), SNML. Anatomie d’une contrefaçon, op. cit., p. 35-38, ici p. 36.

67 C. Bessy et F. Chateauraynaud, Experts et faussaires, op.cit. ; Otto Kurz, Faux et faussaires, trad. par J. Chavy, Paris, Flammarion, [1948] 1983.

68 H. Bredekamp, « Vers une psychologie du faussaire », art. cit., p. 116.

69 Stefan Koldeloff et Tobias Timm, L’affaire Beltracchi. Enquête sur l’un des plus grands scandales de faux tableaux du siècle et sur ceux qui en ont profité, trad. par S. Lux, Paris, Jacqueline Chambon, 2015.

70 Alain Desrosières, « Les origines statisticiennes de l’économie des conventions : réflexivité et expertise », Œconomia, 1-2, 2011, p. 299-319.

71 Nick Wilding critique cette notion d’exemplaire d’épreuves en faisant référence à l’étude d’A. Grafton sur la « culture de la correction » dans laquelle les exemplaires d’épreuves sont ceux qui sont annotés et conservés en vue de futures éditions corrigées : N. Wilding, Faussaire de Lune, op. cit.

72 En effet, pour H. Bredekamp et son équipe, il a fallu d’abord, après comparaison avec douze exemplaires, identifier le SN de Graz comme l’exemplaire proche du SNML et démontrer ensuite qu’il avait aussi servi de modèle. Cette hypothèse est corroborée par le fait que cet exemplaire est disponible en format numérique depuis 1999 et que le faussaire a pu l’avoir à sa disposition.

73 P. Needham, I. Brückle et H. Bredekamp « Ultimes réflexions », art. cit., p. 126.

74 Ibid., p. 127 ; M. Schlitt, « Galileo’s Moon », art. cit.

75 H. Bredekamp, « Vers une psychologie du faussaire », art. cit., p. 118.

76 Ibid., p. 118.

77 A. Grafton, Faussaires et critiques, op. cit.

78 Béatrice Fraenkel, La signature. Genèse d’un signe, Paris, Gallimard, 1992.

79 P. Needham, I. Brückle et H. Bredekamp, « Ultimes réflexions », art. cit., p. 124.

80 Ibid.

81 Voir aussi la postface de SNML. Anatomie d’une contrefaçon, rédigée par Alexandre Laumonier, qui a bénéficié de révélations sur ce point ainsi que sur les différents vols du libraire, entretenant l’affaire du SNML : Alexandre Laumonier, « Postface », in H. Bredekamp, I. Brückle et P. Needham (dir.), SNML. Anatomie d’une contrefaçon, op. cit., p. 129-142.

82 C. Bessy et F. Chateauraynaud, Experts et faussaires, op. cit.

83 Propos de M. de Caro rapportés par A. Laumonier : A. Laumonier, « Postface », art. cit., p. 136.

84 Pierre Lascoumes et Carla Nagels, Sociologie des élites délinquantes. De la criminalité en col blanc à la corruption politique, Paris, Armand Colin, [2014] 2018.

85 Silvio Berlusconi, homme d’affaires et responsable politique italien, président du Conseil de 1994 à 1995, de 2001 à 2006 et de 2008 à 2011.

86 Plusieurs spécialistes italiens ont apporté des éléments d’analyse des faits dont Massimo De Caro a été reconnu coupable, de son parcours biographique et de son réseau de relations. Voir Flaminia Gennari Santori, « L’affaire Sidereus Nuncius », Doppiozero, 6 févr. 2014, https://www.doppiozero.com/materiali/ars/l’affaire-sidereus-nuncius ; Alberto Saibene, « Estradare un bibliofilo ? », Doppiozero, 14 avr. 2014, https://www.doppiozero.com/materiali/commenti/estradare-un-bibliofilo ; Claudio Bartocci, « Max Fox o le relazioni pericolose », Doppiozero, 17 avr. 2019, https://www.doppiozero.com/materiali/max-fox-o-le-relazioni-pericolose.

87 Il a été coopté par le ministre de la Culture Giancarlo Galan, dont il avait été le conseiller lorsque ce dernier était ministre de l’Agriculture, sous la mandature de Silvio Berlusconi.

88 A. Laumonier, « Postface », art. cit., p. 139.

89 Plusieurs cas d’ouvrages apocryphes sont abordés dans A. Grafton, Faussaires et critiques, op. cit.

90 Sur ces deux derniers points, voir notamment Thierry Lenain, Art Forgery: The History of a Modern Obsession, Londres, Reaktion Books, 2011.

91 Dans le domaine de la peinture, les affaires récentes des années 2010 (telle celle impliquant le marchand d’art Giuliano Ruffini), des années 1990-2000 (l’affaire Greenlach et celle des époux Beltracchi) ou plus anciennes (comme les faux Vermeer peints dans les années 1930 par Hans Van Meegeren) reposent sur une centaine de faux, fruits de plusieurs années de travail. À la différence du SNML, ces tableaux contrefaits sortaient d’ateliers dont l’envergure semblait moindre.

92 Georgina Adam, Dark Side of the Boom: The Excesses of the Art Market in the 21st Century, Londres, Lund Humphries, 2017.

93 Jacqueline Lichtenstein, « Définir le faux en art », colloque « Le faux en art », Cour de cassation, 2017, https://www.courdecassation.fr/agenda-evenementiel/le-faux-en-art.

94 Voir par exemple S. Koldeloff et T. Timm, L’affaire Beltracchi, op. cit. ; Guy Ribes et Jean-Baptiste Péretié, Autoportrait d’un faussaire, Paris, Presses de la Cité, 2015 ; Éric Piedoie Le Tiec, Confessions d’un faussaire. La face cachée du marché de l’art, Paris, Max Milo, 2019.

95 S. Luzzato, Max Fox o le relazioni pericolese, op. cit.

96 B. Lahire, Ceci n’est pas qu’un tableau, op. cit.