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Écrivains « noirs » et prix littéraires

Enquête et contre-attaque selon Mohamed Mbougar Sarr

Published online by Cambridge University Press:  12 January 2023

Elara Bertho*
Affiliation:
CNRS, LAM (Les Afriques dans le monde UMR 5115)[email protected]
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Abstract

Cet article analyse La plus secrète mémoire des hommes, dernier roman de l’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr, récipiendaire du prix Goncourt en 2021. Sous la forme d’un roman-monde, ce texte traverse le long xxe siècle en explorant les relations entretenues entre littérature et universel. Le personnage d’Elimane, au centre du récit, met en lumière la réception racialisée de la littérature francophone et la manière dont les écrivains sont lus par la critique. Il fait office de double fictionnel pour représenter non seulement la trajectoire de Yambo Ouologuem, mais aussi celle toute une série d’autres écrivains ayant été la cible de cabales médiatiques, à l’instar de Camara Laye, de Bakary Diallo ou encore de René Maran. L’article montre qu’en représentant cette réception racialisée, Mbougar Sarr utilise la fiction elle-même pour jouer avec ces assignations critiques. Le jeu entre histoire et littérature, mis en scène dans le roman, contribue à élaborer les pistes d’un nouvel universel littéraire, reprenant et glosant les propositions de Souleymane Bachir Diagne à propos de l’universel latéral. Pastiche, ironie, décalages, jeux de doubles et de miroirs, entremêlement d’intertextualité sont les armes de l’écrivain pour mettre en scène la puissance de la fiction face aux lectures racialisantes.

This article proposes an analysis of La plus secrète mémoire des hommes, the most recent novel by Senegalese author Mohamed Mbougar Sarr, winner of the Prix Goncourt in 2021. In the form of a roman-monde or world-novel, this text traverses the long twentieth century, exploring the relationships between literature and the universal. The character of Elimane, at the center of the narrative, brings into focus the racialized reception of Francophone literature and critical responses to its authors. Elimane’s trajectory serves as a fictional double not only for that of Yambo Ouologuem, but also for a whole series of other writers targeted by media cabals, such as Camara Laye, Bakary Diallo, and René Maran. The article shows that in representing this racialized reception, Mbougar Sarr uses fiction itself to play with these critical labels. The interplay between history and literature staged in the novel contributes to the elaboration of a new literary universal, taking up and glossing Souleymane Bachir Diagne’s notion of the “lateral universal.” Pastiche, irony, inconsistencies, games with doubles and mirrors, and the tangle of intertextuality are all mobilized by Mbougar Sarr to emphasize the power of fiction to resist racialized readings.

Type
Histoire d'un livre
Copyright
© Éditions de l’EHESS

En novembre 2021, Mohamed Mbougar Sarr reçoit le prix Goncourt pour son dernier roman, La plus secrète mémoire des hommes, publié par Philippe Rey en coédition avec Jimsaan, la maison d’édition sénégalaise cofondée par les écrivains Felwine Sarr, Boubacar Boris Diop et Nafissatou DiaFootnote 1. En ouverture d’ouvrage apparaît le dédicataire : Yambo Ouologuem. Mbougar Sarr, en effet, ne cache pas le lien entre le personnage d’Elimane, écrivain maudit disparu mystérieusement, et le célèbre auteur malien. Leurs trajectoires sont identiques : un immense succès littéraire à Paris, une cabale accusant l’auteur de plagiat, un retour au pays et, finalement, le choix du silence. En s’inspirant du parcours de son aîné, Mbougar Sarr se met en scène ; dans ce récit initiatique, le double du jeune romancier, Faye, deviendra lui-même romancier au fil d’une recherche au long cours, à la poursuite du mystère « Elimane ».

Cette enquête littéraire, ce polar bibliophile si l’on veut, devient le prétexte d’une traversée du siècle, depuis les années 1880 jusqu’à nos jours. De génération en génération, le lecteur est invité à lever le voile sur l’énigme « Elimane », c’est-à-dire à comprendre son amour et sa fascination pour la langue française, l’immense blessure de l’accusation de plagiat, sa recherche du roman impossible et d’une langue littéraire pure. Polar, journal, conte, récit initiatique, roman d’amour entrecoupé de coupures de presse : l’ouvrage de Mbougar Sarr est un roman total qui balaie l’intégralité des genres littéraires, ou plutôt qui exploite pleinement la formidable plasticité qu’offre le genre. Au Sénégal, en France, en Argentine, aux Pays-Bas : Faye dessine très littéralement les contours d’un roman-monde et, ce faisant, d’un universel littéraire. Cette forme même du roman-monde, c’est du moins l’hypothèse que nous proposons, constitue une réflexion sur l’universel, dans la lignée de l’« universel de la traductionFootnote 2 » proposé par Souleymane Bachir Diagne. Le roman est imprégné de multiples influences ; il se nourrit de conversations et d’amitiés littéraires et réélabore le matériau historique pour mieux dire le présent : par sa construction, donc, il offre un contrepoint à un racisme qui ne dit pas son nom.

Avant tout, ce que Faye expérimente au fur et à mesure de son enquête, ce sont les « frontières racialisées » des institutions littéraires françaisesFootnote 3 : le « racisme inconscientFootnote 4 » des cabales visant les auteurs noirs publiés en France. Derrière la fable qu’il agence autour d’Ouologuem, c’est tout un siècle de réception raciste de la littérature africaine, régulièrement accusée de plagiat, lue de manière essentialiste, assignée à des catégories exotisantes, que Mbougar Sarr finit par exposerFootnote 5. En creux, il décrit la position paradoxale des auteurs africains sur le marché du livre francophone. Ouologuem écrivait en effet en français depuis le cœur du Quartier latin pour des maisons d’édition françaises : il prétendait à l’universel dans ses fictions, mais était incessamment ramené par ses éditeurs et par ses lecteurs français au « marché de niche » que constitue la littérature africaine. De manière provocante, certains critiques ont pu qualifier la littérature africaine éditée en France de « produit d’exportation visant un public largement étranger » afin de marquer cette scission entre un très faible lectorat en Afrique et des intellectuels écrivant et publiant au sein d’un champ littéraire dominé par des valeurs symboliques coloniales et centré à ParisFootnote 6. Ce faible lectorat africain effectif n’est néanmoins pas silencieux : quand il ne lit pas directement les œuvres, il prend part aux controverses via les réseaux sociaux. Certains lecteurs sénégalais se sont par exemple offusqués des prises de position supposément homophiles de Mbougar Sarr en l’accusant d’être rallié à la culture occidentaleFootnote 7. Ce que ces « scandales » disent, de part et d’autre de la Méditerranée, ce sont les frustrations et les incompréhensions engendrées par un système éditorial où le français reste malgré tout un fort instrument de domination symbolique au sein de la « République mondiale des Lettres »Footnote 8. Ahmadou Kourouma analyse ainsi cette relation à un lectorat français, en incluant une dimension politique à la prise de parole en français : « Nous écrivons une littérature d’une mauvaise conscience, la littérature de la mauvaise conscience de l’Occident et de la France. Ils [les Occidentaux] sont antiesclavagistes et sans cesse nous leur murmurons à l’oreille qu’ils ont été d’impénitents esclavagistesFootnote 9. » Ce susurrement de ce que ce lectorat implicitement occidental ne veut justement pas entendre, ce bruissement de mauvaise conscience, n’est pas sans écho avec l’action du narrateur de La plus secrète mémoire des hommes. Remarquons à cet égard que le roman de Mbougar Sarr pose un jalon intéressant dans l’histoire du marché du livre en raison de sa position frontière – une coédition, avec un partenariat franco-sénégalais faisant dialoguer explicitement les scènes littéraires parisiennes et sénégalaises. La maison sénégalaise Jimsaan est dirigée par Boubacar Boris Diop, écrivain militant en faveur des littératures en langues africainesFootnote 10, singulièrement en wolof, Felwine Sarr, économiste, romancier et poète ayant rédigé un rapport très remarqué sur la restitution des œuvres d’art africainesFootnote 11, ainsi que par Nafissatou Dia, écrivaine sénégalaise. Qu’un tel attelage éditorial franco-sénégalais décroche le prix Goncourt constitue en soi un hapax dans la longue et imperturbable histoire de l’hégémonie Galligrasseuil (soit la triade Gallimard-Grasset-Seuil, réputée pour se partager les principaux prix littéraires français). Il est d’ailleurs tout à fait plausible que le jury Goncourt ait souhaité laver sa réputation à la suite des soupçons de favoritisme entourant la sélection du livre de François Noudelmann, le compagnon de l’une des jurés, Camille LaurensFootnote 12 ; somme toute, la situation reste inchangée : on ne lit pas les auteurs africains pour ce qu’ils écrivent, mais pour ce qu’ils représentent. Célébrés ou vilipendés, peu importe. Le même racisme implicite est à l’œuvre : on est là au cœur de ce qui intéresse La plus secrète mémoire des hommes. Exempt d’intentions polémiques, ce grand roman tranquille dresse un tableau sans concessions du racisme des médias et des critiques des journalistes. Il est également, en acte, un merveilleux plaidoyer en faveur de la liberté de création, de la force de la littérature et de ses armes pour combattre. Car la littérature riposte : elle se joue des critiques, les intègre dans son jeu, cisèle de petites machines fabulatrices rêvant d’autres mondes à venir.

Nous reviendrons dans un premier temps sur la longue histoire des accusations de plagiat à l’encontre des écrivains noirs publiant en France et qui ont nourri le personnage d’Elimane : outre Ouologuem, et comme contenu en lui sous forme de poupées russes, de nombreux autres écrivains donnent une profondeur historique au personnage de fiction. Nous montrerons ensuite comment Mbougar Sarr s’insère avec ironie au sein de cette histoire littéraire minée, en utilisant toutes les armes de la littérature pour créer une fiction humaniste en quête d’universalisme, dans les pas de Souleymane Bachir Diagne. En définitive, ce sont les « savoirs de la littérature » qui sont interrogés dans cet article, pour reprendre le titre du numéro des Annales consacré aux relations entre histoire et littératureFootnote 13. D’une part, le roman de Mbougar Sarr se nourrit de l’histoire littéraire : il exemplifie une histoire longue du racisme de la critique et, en cela, constitue un matériau de réélaboration de cette histoire. D’autre part, il riposte et utilise les armes littéraires pour dénoncer, jouer, ruser, parodier, imaginer d’autres possibles. C’est cette double articulation qui nous intéresse : d’abord, un jeu avec l’histoire littéraire – sous Elimane se dessinent de nombreux « doubles » issus d’un long du xxe siècle, bien au-delà d’Ouologuem, ce qui lui donne une « aura » particulière –, ensuite une réponse en acte, proprement littéraire, qui ne passe pas par une argumentation mais par l’exploration de certains possibles. C’est ce temps propre au récitFootnote 14 que nous souhaitons sonder : il ne s’agit pas uniquement de dire que la littérature serait un reflet dégradé de l’histoireFootnote 15, une simple illustration de l’histoire littéraire, mais de comprendre qu’elle la réélabore, différemment. Cette machine fabulatrice qu’est le roman questionne le lecteur, le met éventuellement mal à l’aise, le pousse à s’interroger sur ses attendus de lecture, l’attrape et le redépose à une autre place. L’immersion fictionnelle, l’illusion et le jeuFootnote 16 fonctionnent ici par un décalage maîtrisé avec la référence. L’axe vrai/faux s’en trouve bouleversé : Elimane n’a proprement pas existé, et s’inscrit en cela dans le « faux », mais il dévoile le vrai autrement – soit une condition noire et une assignation identitaire des écrivains en France. Les documents fabriqués par Mbougar Sarr – de faux dossiers de presse – relèvent de l’invention documentée (le romancier s’est fait « enquêteur »Footnote 17). De même, le romancier fabule la mort des journalistes à l’inconscient raciste qui avaient critiqué Elimane : cet épisode participe d’une utopie ironique (la projection n’étant pas ici à prendre au premier degré mais comme une farce, dont l’auteur se démarque avec humour – le second degré venant introduire un jeu supplémentaire dans le rapport à la vérité fictionnelle).

Une réception racialisée de la littérature

Avec le personnage d’Elimane, Mbougar Sarr retrace en réalité l’histoire d’un xxe siècle européen marqué par une réception ouvertement, ou parfois plus discrètement, racialisée des littératures francophones. Elimane fonctionne comme un miroir renvoyant à de multiples doubles.

Elimane, miroir des pistes gelées

Mbougar Sarr s’empare de la trajectoire biographique d’Ouologuem pour créer un double de papier, en la personne d’Elimane, légèrement plus inquiétant que l’original, tel un Doppelgänger de fiction qui éclaire d’un jour nouveau la personne réelle. Elimane, tache sombre dans le récit, est le nom d’une incompréhension. Il est d’abord l’incarnation d’une prodigieuse réussite littéraire – son grand œuvre, Le labyrinthe de l’inhumain, est porté aux nues par les critiques dans les années 1930, de même que Le devoir de violence fut célébré en France dès sa sortie en 1968Footnote 18 –, dont le narrateur scrute le récit avec l’envie à la fois jalouse et pleine de dévotion d’un jeune écrivain en recherche d’un maître – cette œuvre unique représentant à ses yeux le livre parfait, l’œuvre littéraire par excellence. Elimane devient ensuite le nom d’une disparition : après la cabale ayant dénoncé de nombreux plagiats, il disparaît sans laisser de traces. Cette disparition est tout aussi mystérieuse que le processus de création amenant à une œuvre si pure. C’est cette double obscurité que Faye tente de percer. Pour lui, la piste biographique de la recherche d’Elimane, de sa naissance à sa mort, constitue une entrée en littérature. Comprendre Elimane, c’est comprendre comment écrire un chef-d’œuvre.

Avec un petit cénacle de jeunes apprentis écrivains, Faye se nourrit du roman en rêvant de ses propres écrits – et l’on note combien la narration elle-même est truffée d’emprunts, ici senghoriens, comme un pied de nez aux accusations de plagiat et à la notion de propriété littéraire :

[…] T.C. Elimane, c’était à ce nom que nous devions l’œuvre qui avait changé notre regard sur la littérature. Peut-être sur la vie. Le Labyrinthe de l’inhumain : ça s’intitulait comme ça, et nous allions à ses pages comme les lamantins vont boire à la sourceFootnote 19.

La littérature, la vie : deux faces d’une même réalité. Démêlons ensemble l’écheveau historique sur lequel est tissée la narration de Mbougar Sarr. Si elle repose sur le scandale de la publication du Devoir de violence Footnote 20, par-delà ce double évident, nous l’avons vu, Mbougar Sarr traite plus largement de la réception racialisée de la littérature africaine, non seulement en France, mais également en Europe et aux États-Unis, puisque de nombreux journalistes anglophones se sont ralliés à la campagne de dénonciation de ces auteurs. Il est vrai que d’autres romanciers récipiendaires de prix littéraires ont eu à souffrir de critiques virulentes, comme André Schwartz-Bart pour Le dernier des Justes ou encore Romain Gary avec Les racines du ciel Footnote 21. En tout état de cause, l’attribution d’un prix littéraire et l’accès à une grande notoriété exposent les romanciers, quels qu’ils soient, à des critiques éprouvantesFootnote 22. Reste que les écrivains racisés sont davantage et plus systématiquement mis en cause.

Revenons maintenant sur quatre dates qui ont constitué autant de scandales littéraires et donnent une épaisseur historique toute particulière au personnage d’Elimane : 1968 et l’« Affaire Ouloguem », 1954 et Camara Laye, 1926 et le tirailleur-romancier Bakary Diallo, 1921 et le Goncourt de René Maran. Ces quatre grandes figures de la littérature, doubles possibles d’Elimane, sont les « pistes gelées » dont parle le narrateur :

Le Labyrinthe de l’inhumain appartenait à l’autre histoire de la littérature (qui est peut-être la vraie histoire de la littérature) : celle des livres perdus dans un couloir du temps, pas même maudits, mais simplement oubliés, et dont les cadavres, les ossements, les solitudes jonchent le sol de prisons sans geôliers, balisent d’infinies et silencieuses pistes geléesFootnote 23.

1968

Tout d’abord Ouologuem. C’est le double avoué d’Elimane, grâce à la dédicace initiale, ce qu’a d’ailleurs bien relevé la critiqueFootnote 24. La trajectoire biographique d’Ouologuem en est adaptée et décalée de plusieurs décennies, avant de s’y « raccrocher » in extremis. Ce décalage de vingt-cinq ans entre la fiction et la réalité permet à Mbougar Sarr d’introduire la Première Guerre mondiale dans la trajectoire du père d’Elimane et la Seconde Guerre mondiale dans celle du fils. Il s’insère ainsi dans l’histoire longue du xxe siècle, racontant une histoire globale et connectéeFootnote 25. Les deux guerres mondiales représentent des béances dans le récit : le père d’Elimane, Assane, engagé volontaire comme tirailleur, disparaît sans laisser de traces ; c’est cet évanouissement qui produit chez son fils le désir d’aller en métropole – ne serait-ce que pour découvrir que son père est mort au combat. La Seconde Guerre mondiale est le terrain de l’effacement d’Elimane, qui échappe aux mailles de l’Occupation et s’évapore. Cette seconde disparition est le moteur de la narration, le jeune narrateur se lançant à la poursuite du personnage.

Résumons ici de manière linéaire ce qu’une toile plus complexe a enchevêtré. Dans la fiction, Elimane Madag Diouf naît en 1915, dans un petit village du Sine Saloum, au Sénégal. Remarqué par son instituteur, il poursuit ses études en France. En 1935, il se lie d’amitié avec un couple d’éditeurs et en 1938, après plusieurs remaniements, paraît Le labyrinthe de l’inhumain, qui connaît un succès foudroyant avant d’être attaqué. L’auteur s’évanouit pendant la Second Guerre mondiale. En 1948 est publié un ouvrage critique de Brigitte Bollène, à la recherche du mystérieux écrivain. En 1958, on retrouve sa trace à Buenos Aires. En 1985, l’écrivaine Siga, cousine d’Elimane, croise la route de Bollène et tente de percer le mystère de l’écrivain disparu. En 1986, Elimane rentre dans son village à la mort de son oncle et père adoptif, Ousseynou Koumakh, dont le lecteur apprendra finalement qu’il était sans doute son véritable père. Il ordonne de déchirer tous les livres qui croisent son regard. Il meurt à cent deux ans, en 2017, la même année que Yambo Ouologuem.

Dans la « vraie vie », Ouologuem naît en 1940 à Bandiagara, dans le Mali contemporain. Il poursuit des études brillantes à Paris, comme son double de papier, au lycée Henri IV. Il envoie à de nombreuses reprises des manuscrits aux éditions du Seuil, avant d’être finalement accepté. Jean-Pierre Orban a effectué une étude de la génétique du Devoir de violence, des rapports houleux d’Ouologuem avec son éditeur Paul Flamand et, enfin, de l’immense cabale médiatique autour de la notion de plagiat suscitée par le livreFootnote 26. À partir de la fin des années 1970, Ouologuem ne donne plus aucun signe de vie, se retirant dans son village et ne publiant plus – sinon sous pseudonyme – jusqu’à sa mort.

Le scandale proprement dit est parti d’un article du Times Literary Supplement daté du 5 mai 1972 qui accusait Yambo Ouologuem d’avoir plagié le roman It’s a Battlefield de Graham GreeneFootnote 27. Une fois proférée, la dénonciation de plagiat agit selon le principe de la rumeur et en fonction de la réputation de l’auteur : force est de constater que la déflagration n’est pas la même pour un écrivain racisé. Des plagiaires reconnus comme tels devant les tribunaux au titre du Code de la propriété intellectuelle ne se voient pas pour autant mis au ban de l’édition, que l’on pense à Alain Minc ou à Étienne Klein. Ici, à la suite de cet article du Times, les dénonciations vont se multiplier à propos d’œuvres fort diverses : Ouologuem aurait ainsi plagié la nouvelle « Le port » de Guy de Maupassant ou Les énergumènes de John D. MacDonald ; c’est surtout Le dernier des Justes d’André Schwartz-Bart qui est repéré comme intertexte majeur.

Ce dernier réagira avec finesse, en ne se déclarant pas attaqué sur le fond – il compare ses œuvres à des pommiers, susceptibles d’engendrer de nouveaux arbres sur de nouveaux sols –, mais sur la forme, reprochant à son éditeur (François-Régis Bastide, qui travaille au Seuil aux côtés de Paul Flamand) de ne pas l’avoir informéFootnote 28. Pour J.-P. Orban, il faut considérer Le devoir de violence comme « un montage vertigineux de textes repris d’autres auteurs ou d’œuvres anonymes, telles [sic] la Bible ou le CoranFootnote 29 ». Lorsque les emprunts se révèlent multiples, où s’arrête la création littéraire, où commence le plagiat ? Ouologuem réagit dès 1970 aux accusations dont il fait l’objet dans une lettre incendiaire très intéressante :

[…] John Mac Donald est cité, comme Ki Zerbo, comme Leo Frobénius (sous le nom de Schrobénius), comme Okba be Nafi el Fitri, comme le Tarik, divers griots, chroniqueurs noirs, s’exprimant en langues vernaculaires regroupant les principaux groupes linguistiques africains (cf. les italiques du roman), comme divers historiens arabes, portugais, espagnols, coptes, éthiopiens, ou, plus généralement, dans une perspective d’universalité du conflit violence et non violence, la Bible et le Coran, la correspondance de missionnaires blancs, Tacite, Suétone, Schwarz Bart (puisque l’Éthiopie, par Haïlé Sélassié juif de par la reine de Saba ouvre la dimension de la conscience malheureuse antérieure à la négritude, et, dès lors, affranchie de la dialectique usée Noirs-Blancs), et enfin, deux maîtres du réalisme désabusé : Flaubert et Maupassant. Mon propos, ce faisant, était davantage l’histoire légendaire, puisque c’est par la seule légende qu’il est possible de créer un discours à l’intérieur de mythe vaste des civilisations en devenir. L’architecture initiale de mon roman était autre, en clins d’œil, références, guillemets, narrations, analysesFootnote 30.

La question des guillemets enlevés par l’éditeur ne pourra être résolue que lorsque les manuscrits initiaux auront été retrouvésFootnote 31 ; en l’état actuel de la documentation, il est impossible de trancher. Ce qui est en jeu ici, c’est la définition de la liberté littéraire comme de l’auctorialité : le maillage du texte d’un tel foisonnement référentiel plaide en faveur d’un jeu conscient et avoué d’Ouologuem avec l’histoire littéraire mondiale. La densité des références et l’usage fait de tous ces classiques français, africains, mondiaux représentent en soi un tour de force ayant vocation à inscrire l’écrivain dans un dialogue des lettres mondialiséesFootnote 32.

De manière sous-jacente, ce grand scandale littéraire interroge plus spécifiquement la notion d’auctorialité des écrivains noirs. Le champ littéraire des années d’après-guerre était encore dominé par un préjugé – intégré, inconscient, rendu « transparent » en quelque sorte – attribuant aux Africains des œuvres intemporelles, des « traditions » (des mythes, des contes, des récits, des proverbes, etc.) collectées par des ethnologues ou des administrateursFootnote 33. Dans un tel rapport au savoir et à la création, l’Africain se voit réduit au rang d’informateur, et c’est l’Européen, venu recueillir et éditer un récit auquel on dénie une insertion dans l’histoire, qui devient l’auteurFootnote 34. La « minoration » systématique du statut d’auteur pour les romanciers noirs joue un rôle important dans la réception des écrivains de la génération d’Ouologuem.

Un colloque organisé à l’Université de Lausanne en 2018 rend hommage à Ouologuem et milite explicitement en faveur d’une revalorisation de son œuvreFootnote 35. À cette occasion, Anthony Mangeon et Christine Le Quellec Cottier rappellent que ce « jalon majeur » est encore « largement méconnu du grand public, et rarement étudié à l’université », rendant nécessaire une entreprise critique de réévaluation de son œuvre afin de « revisiter ce ‘classique africain’ qui tiendrait tout à la fois de l’hapax et de la ‘patate chaude’, pour lui donner une résonance contemporaine en restituant précisément ses filiations, ses postérités, loin de la réception stigmatisante dont a pâti son auteur »Footnote 36. La reconnaissance universitaire s’amorce donc, après cinquante ans de purgatoire.

1954

Revenons plus brièvement sur les trois autres affaires, en présentant simplement les enjeux littéraires sous-jacents et leurs liens avec le personnage d’Elimane. Camara Laye, quelques années plus tôt, avait déjà été visé par pareilles accusations, mais le nombre de références en cause était bien moindreFootnote 37. Les attaques visaient davantage à interroger le statut d’auteur en AfriqueFootnote 38. Reprise, réécriture, réélaboration de personnages à partir d’une matière commune (comme on parle de « matière de Bretagne » par exemple) sont monnaie courante dans le champ de la création oraleFootnote 39. Le regard du roi, publié en 1954, est alors considéré comme une œuvre publiée à plusieurs mains, notamment avec l’écrivain Francis Soulié et l’éditeur Robert Poulet (chez Plon)Footnote 40. En cause, le ton et le style, que les critiques jugent loin d’une « authenticité africaine » – fantasme s’il en est. Cette question de la maîtrise du français est reprise par Mbougar Sarr, qui reproduit des coupures de presse (inventées, réécrites, pastichées) commentant Le labyrinthe de l’inhumain : « Ce livre est la bave d’un sauvage qui, se prenant pour le maître-artificier d’une langue dont il ne domine qu’insuffisamment le feu subtil, finit par s’y brûler les ailesFootnote 41. »

1926

Remontons encore le temps pour nous retrouver dans la période de l’entre-deux-guerres, moment clef du roman et époque d’un autre scandale. En 1926 paraît Force-Bonté du tirailleur Bakary DialloFootnote 42, qui avait appris le français dans les tranchées. Parce que le style du roman n’a pas la simplicité et l’oralité attendues d’un auteur africain, les critiques suspectent une écriture française, en sous-main, en la personne de Lucie Cousturier, jugeant impossible un apprentissage si rapide de leur langueFootnote 43. Mbougar Sarr s’inspire de ces accusations lorsqu’il fait dire à l’un des critiques d’Elimane : « on se demande si cette œuvre n’est pas celle d’un écrivain français déguiséFootnote 44 ». Les études contemporaines sur Bakary Diallo pointent au contraire les ponts existants entre sa culture orale peule et le récit romanesque français, en soulignant l’effort de l’auteur de faire dialoguer les genres littéraires et les languesFootnote 45.

1921

En 1921, René Maran est le premier écrivain noir à recevoir le prix Goncourt pour Batouala Footnote 46 – clin d’œil de l’histoire, cent ans exactement avant celui de Mbougar SarrFootnote 47. On lui reproche de pasticher d’autres romans coloniaux et de ne pas avoir de style propre. Si René Maran reçoit des soutiens, que ce soit Léon Bocquet qui prend la plume pour sa défenseFootnote 48 ou l’administrateur André FraisseFootnote 49, le mal est fait : les controverses heurtent la sensibilité du jeune écrivain. Il n’est pas impossible que les flux de conscience d’Elimane, ses interrogations sur le racisme institutionnel voire ses intermittences du cœur soient inspirés d’Un homme pareil aux autres de René Maran, dont Mbougar Sarr rédige d’ailleurs la préface à la réédition de 2021Footnote 50.

Toutes ces critiques ont un arrière-goût de racisme, conscient ou nonFootnote 51. Trop ou trop peu : la maîtrise du français pose toujours problème ; ce qui est en jeu, c’est l’appropriation de la langue du colonisateur par les colonisés ou, de manière plus générale, par les Noirs, car René Maran, bien que Français, n’échappe pas à la polémique. Il y a donc bien une « ligne de couleur » en acte : ce qui pose problème, c’est la « couleur de l’écrivain », pour reprendre l’expression de Sami TchakFootnote 52 (ce que Mbougar Sarr fait dire à l’un des critiques, textuellement : « c’est la couleur de l’écrivain qui gêneFootnote 53 »).

La riposte de Mbougar Sarr

Grande profondeur de champ historique dans le personnage d’Elimane, donc, pour lequel, Mbougar Sarr pense un dispositif littéraire mettant en abyme cette scène racialisée de la littérature africaine et de sa réception française pour mieux s’en moquer, en pointer les travers et proposer diverses pistes d’utopies littéraires de substitution. Dressons maintenant un rapide panorama de ce « writing back » de l’écrivainFootnote 54, qui rejoint l’art de la « parade », de l’esquive décrite par Lydie MoudilenoFootnote 55.

La première des armes utilisée par Mbougar Sarr prend la forme d’une boutade, adressée à la fois aux journalistes et aux critiques littéraires. Non seulement il s’amuse à reproduire des critiques d’Elimane, avec distance et en montrant combien les jugements négatifs sont implicitement condescendants et empreints de racisme, mais il souligne également combien les commentaires bien intentionnés se rabattent systématiquement sur la couleur de la peau de l’écrivain, autre forme de racisme inconscient qui empêche tout autant l’analyse de l’œuvre pour elle-même. Mbougar Sarr ne s’arrête pas là, poussant plus loin la mise en scène : les auteurs de ces critiques meurent tous, un par un, dans des suicides étonnants qui ne seront jamais élucidés. L’écrivain suggère – esquissant une piste « polar » que le texte ne suit pas jusqu’au bout – qu’Elimane aurait assassiné ses détracteurs. De l’assassinat considéré comme un des beaux-arts : un « dossier des suicides » est ainsi retranscrit avec une jubilation manifesteFootnote 56. L’avertissement à l’égard de la critique contemporaine, d’une ironie narrative réjouissante, est tout à fait net : la réception est incluse dans la machine narrative. Regardez l’œuvre et non la couleur de peau de son écrivain, sous risque de finir « suicidé » : c’est en substance le message adressé au lectorat. La fiction vient au secours de l’argumentation en proposant des issues au sein d’un champ encore largement conditionné par des réflexes institutionnels racialisés.

Mbougar Sarr s’en donne à cœur joie dans l’invention de coupures de presse : « Nous attendions plus de couleur tropicale, plus d’exotisme, plus de pénétration dans l’âme purement africaine », peut-on lire dans La Revue de Paris, en écho direct à la réception de René MaranFootnote 57. Le personnage d’Henri de Bobinal est le plus délicieux, tant il incarne un type, celui du savant blanc dont l’autorité vient du temps passé « en Afrique » :

J’ai effectué plusieurs séjours en Afrique, et plus précisément dans la colonie du Sénégal, entre 1924 et 1936. C’est durant l’un d’eux, entre 1929 et 1934, que j’ai découvert et étudié un étrange peuple, les Bassères. J’ai passé assez de temps avec les Bassères pour le dire avec assurance : l’ouvrage de T.C. Elimane est une réécriture honteuse d’un des récits de la cosmogonie bassèreFootnote 58.

L’ironie narrative est d’autant plus cruelle que l’on apprend plus loin que le mythe auquel se réfère ce savant n’existe tout simplement pas. Cette accusation de plagiat, lestée de toute l’histoire littéraire commentée plus haut, est, dans sa forme même, dénoncée dans la narration comme d’un ridicule achevé.

La plus secrète mémoire des hommes est un roman total, qui raconte aussi bien l’occupation allemande en France du point de vue d’un Africain que les tribulations d’un couple d’éditeurs dans les années 1930 ou encore les dilemmes de la famille d’un lettré sénégalais face à l’école coloniale dans les années 1890. S’enchâssent au sein de ce qui se veut un roman-monde aussi bien des coupures de presse, des récits, des lettres que des contes. Jusque dans ses emprunts, l’ouvrage de Mbougar Sarr tend vers un anti-essentialisme radical. Il s’insère bien sûr dans la grande tradition littéraire africaine francophone : le coucher de soleil à l’arrivée au village à la toute fin du roman n’est pas sans rappeler les descriptions en incipit du Batouala de René MaranFootnote 59. Il emprunte également à l’oralité, en puisant dans les contes et les chansons. Mbougar Sarr s’inspire néanmoins d’un fonds bien plus vaste de références, communes à un cénacle d’amis écrivains, autour de Sami Tchak, d’Annie Ferret, d’Elgas, de Blaise Ndala et d’Ananda Devi. Ce petit groupe partage des lectures et des affinités littéraires ouvertes sur le monde (notamment l’Amérique du Sud, chère à Sami TchakFootnote 60). Mbougar Sarr revendique par exemple l’héritage de Roberto Bolaño, auquel il emprunte son mode de composition romanesque, en toile d’araignée : des personnages qui se croisent et se recroisent selon des perspectives différentes au fil des parties du roman, à la recherche d’un écrivain disparuFootnote 61. Borges, Rimbaud, Senghor, Homère, Hafez : la toile de références dessine une cartographie mondiale de la littérature, contribuant à déjouer les assignations identitaires.

Selon l’une des pistes explorées par Mbougar Sarr, Elimane aurait arrêté d’écrire car il aurait atteint avec son roman un sommet littéraire qu’il se sentait incapable d’atteindre à nouveau. Les cahiers que retrouve Faye lorsqu’il arrive enfin au village d’Elimane montrent des textes inaboutis : il n’y a donc pas de manuscrit génial en attente de publication, bien au contraire. Elimane a été victime de son chef-d’œuvre. Par-delà la racialisation et la violence de la réception, c’est une piste qui interroge la notion de valeur, d’aboutissement artistique. Mbougar Sarr pose aussi, ce faisant, la question de la carrière littéraire.

Cette multiplicité des renvois littéraires ne vise pas seulement à revendiquer une identité-mondeFootnote 62 : elle déjoue aussi les accusations de plagiat. Le roman traite explicitement du plagiat, de l’originalité de l’œuvre littéraire, de la force des grands romans : Mbougar Sarr choisit de faire exploser le nombre des références, en parade aux attaques. L’entrelacement de la bibliothèque mondiale constitue le maillage même du roman. Ce miroitement de l’œuvre, riche d’une mémoire immense, est la proclamation d’une totale liberté d’écriture. Avec des accents borgésiens, Mbougar Sarr fait dire à son personnage : « Tu voudrais écrire le biblicide, l’œuvre qui tuerait toutes les autres, effaçant celles qui l’ont précédée et dissuadant celles qui seraient tentées de naître à sa suite, de céder à cette folie. En un geste, abolir et unifier la bibliothèqueFootnote 63. » Il réalise tout le contraire : l’unification non pas dans la destruction mais dans l’accumulation joyeuse et vorace. « La seule patrie que je trouvais habitable […], c’est évidemment la patrie des livresFootnote 64 », dit le narrateur plus loin.

Après l’éblouissement initial à la lecture du Devoir de violence, Mbougar Sarr a mené une vaste enquête, en se documentant auprès de multiples sources universitaires et en consultant diverses anthologiesFootnote 65. Pour autant, il ne s’en est pas tenu à écrire un roman documentaire. Au contraire, mettant à distance l’histoire, il a refusé de lire et d’assister à des manifestations scientifiques autour d’Ouologuem et a préféré se consacrer à la création de son personnage fictionnel, Elimane. Cette élaboration lui a permis de constituer une fable plus inclusive, susceptible de renvoyer aux auteurs « classiques » de l’histoire littéraire comme aux écrivains contemporains. Ce « travail d’imagination », comme il l’appelle, est la force de la forme romanesque, qui renvoie tout aussi bien au passé qu’au présent.

Au terme de cette vaste enquête, Faye a rencontré l’amour en la personne d’Aïda, une maîtresse en littérature chez Siga, l’Araignée-mère. Il a compilé des bibliothèques entières et a voyagé de Paris à Amsterdam pour finalement revenir à Dakar. La plus secrète mémoire des hommes se clôt sur les émeutes dakaroises en racontant au plus près de la rue la colère et le désespoir des jeunes face à une classe politique indigente (« Nos dirigeants […] ne sont pas des hommes mais des poissons : des mérous […] », derrière la vitre de la télévision, d’où aucun son ne filtre, conclut ChérifFootnote 66). Le roman aura entre-temps brossé le tableau de la colonisation du Sénégal, de l’ascension des élites via l’école française, du rejet de l’école par les élites savantes musulmanes, du bouillonnement culturel du Paris des années 1930, du racisme des institutions littéraires, de l’occupation allemande, de la vie de Buenos Aires à la fin des années 1950, jusqu’au Paris et au Dakar de la fin des années 2010. Plus d’un siècle d’amplitude pour ce polar littéraire dont le criminel – l’écrivain maudit – se cachait finalement chez lui, au villageFootnote 67.

Siga, Assane, Elimane sont trois figures de la même famille d’écrivains maudits, déchirés par « l’épine […] de la colonisation ». Mbougar Sarr n’entend pas les guérir de cette malédiction, mais raconter la succession des autres éraflures qui participent de la constitution des identités complexes des individus. Il s’attache à décrire « notre grande blessure, c’est-à-dire notre vie »Footnote 68. Ce faisant, il s’approprie les définitions de l’humanisme de Souleymane Bachir Diagne, à la recherche d’un « universel latéralFootnote 69 ». Le philosophe sénégalais tente en effet de déjouer les pièges de l’universalisme des Lumières, imposé d’un centre européen « d’en haut », tout en promouvant un nouvel universel par les voies de la traduction des langues entre elles, par le dialogue d’égal à égalFootnote 70. Cette pensée alternative de l’universel irrigue l’œuvre de Mbougar Sarr qui raconte les passages d’une langue à une autre, les dialogues empêchés mais toujours reconduits avec obstination. « Porteuse de savoir »Footnote 71, la littérature offre un positionnement critique par sa forme même, tissée d’un dialogue des textes littéraires mondialisés. Pastiche, ironie, mise en abyme, fictions utopiques, tressages d’influences multiples, jeu avec l’histoire littéraire : les techniques du récit – tout autant que le « temps du récit »Footnote 72 – construisent une petite machine fabulatrice exploratoire des débats critiques contemporains.

Pour autant, cette riposte littéraire que nous avons tenté de décrire ne s’extrait pas elle-même du champ de la controverse. Mbougar Sarr, malgré sa grande habileté et sa maîtrise de la bibliothèque mondiale, n’a pas été épargné par le scandale. Au Sénégal d’abord, l’attribution du prix Goncourt, et l’intense médiatisation qui l’accompagne, a été l’occasion de redécouvrir son parcours et son roman portant sur l’homosexualité, De purs hommes Footnote 73. Des années après une publication passée inaperçue, l’ouvrage devint un objet de scandale, le jeune auteur se voyant accusé de dégradation des valeurs morales sénégalaises. Felwine Sarr prit immédiatement la plume pour défendre la littérature comme espace de fiction et de questionnementFootnote 74, dénonçant au passage l’idée de « valeurs » authentiquement sénégalaises et la possibilité qu’elles soient mises à mal par le roman. En France, des accusations de plagiats rejouèrent, avec cinquante ans de retard, le scénario de l’affaire Ouologuem : un article a ainsi dénoncé des similitudes jugées suspectes entre le roman de Mbougar Sarr et Les détectives sauvages de Bolaño, à tel point que le critique s’en dit « interloqué », « suffoqué » d’étonnementFootnote 75. Pour autant, celui-ci est bien en peine de pointer autre chose qu’une « structure » similaire – à savoir la trame d’un groupe d’écrivains à la recherche d’un auteur mythique disparu : bien mince dossier pour une telle invective, l’innutrition étant l’un des fondements de la création littéraire. Nul besoin de convoquer l’imitation des Anciens pour le prouver : les compagnonnages et les réécritures forment l’histoire littéraire tout entière. Dans ce double scandale, en France comme au Sénégal, c’est la liberté de création littéraire qui est en jeu : pouvoir parler d’homophobie au Sénégal, prétendre à une conversation littéraire mondiale lorsque l’on est en France. Mbougar Sarr endosse ce rôle de « mauvaise conscience » que pointait Ahmadou Kourouma : murmurer à nos oreilles ce que nous ne voulons pas entendre.

References

1 Mohamed Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, Paris/Dakar, Philippe Rey/Jimsaan, 2021. Je remercie Camille Lefebvre, Vincent Azoulay et Antoine Lilti pour leurs suggestions et leurs relectures.

2 Souleymane Bachir Diagne et Jean-Loup Amselle, En quête d’Afrique(s). Universalisme et pensée décoloniale, Paris, Albin Michel, 2018. Cette notion est reprise dans son autobiographie, parue récemment : Souleymane Bachir Diagne, Le fagot de ma mémoire, Paris, Philippe Rey, 2021.

3 Sarah Burnautzki, Les frontières racialisées de la littérature française. Contrôle au faciès et stratégies de passage, Paris, H. Champion, 2017. Voir également la nuance apportée par Jean-Pierre Orban, « Contre, sans et après Ouologuem : le paradoxe des (ré)éditions et des études de son œuvre », Fabula/Les colloques, 2019, § 14 et 15, http://www.fabula.org/colloques/document6003.php, appelant à faire la part des éditeurs et de la réception dans l’analyse de la « racialisation » : « La rétractation alimentait elle-même les présomptions de connivence […] sur le traitement défavorable dont les écrivains africains auraient fait l’objet dans les processus éditoriaux français. Présomption reprise par Sarah Burnautzki dans sa thèse de 2014 publiée en 2017, Les frontières racialisées de la littérature française, et qui amplifie le ressenti d’une situation binaire où s’affronteraient en rangs opposés une catégorie compacte d’auteurs africains noirs et un ‘espace’ littéraire, intellectuel et médiatique blanc homogène. Quel que soit le bien-fondé de semblables analyses, en particulier pour la part française de cet ‘espace’, il nous semble qu’il conviendrait de distinguer, à l’intérieur de celui-ci, les différents territoires qui le composent, entre média et édition par exemple, et, au sein de l’édition, les spécificités historiques, idéologiques et commerciales de chacune de ses entités. Surtout, il s’agit, une fois que le manuscrit a franchi le seuil de la maison d’édition, de tenter d’étudier chaque cas comme à la fois particulier – engagé dans un processus qui lui est adapté – et général –, appliqué à tout manuscrit proposé ou même commandé. »

4 Koffi Anyinefa, « Scandales. Littérature francophone africaine et identité/Scandals: Francophone African Literature and Identity », Cahiers d’études africaines, 48-191, 2008, p. 457‑486.

5 Didier Decoin, l’actuel président du jury Goncourt, n’est lui-même pas exempt de préjugés exotisants. En témoignent ses quelques tournures maladroites (au mieux) quant à l’africanité du roman : « certaines tournures qui semblent hermétiques, mais je trouve qu’elles sont un peu africaines », « c’est comme quand je regarde une sculpture fétichiste », dit-il par exemple : Isabelle Contreras, Dahlia Girgis et Thomas Faidherbe, « Le prix Goncourt pour Mohamed Mbougar Sarr », Livres Hebdo, 5 nov. 2021, https://www.livreshebdo.fr/article/le-prix-goncourt-2021-pour-mohamed-mbougar-sarr.

6 Graham Huggan, The Postcolonial Exotic: Marketing the Margin, Londres, Routledge, 2001, cité par Claire Ducournau, La fabrique des classiques africains. Écrivains d’Afrique subsaharienne francophone (1960-2012), Paris, CNRS Éditions, 2017, p. 16.

7 Voir la brève de Cheikh Tidiane Kandé, « Mohamed Mbougar Sarr – Pour apologie à ‘l’homosexualité’, un retrait tous azimuts de félicitations », Senego, 5 nov. 2021, https://senego.com/mohamed-mbougar-sarr-pour-apologie-a-lhomosexualite-un-retrait-tous-azimuts-de-felicitations_1342663.html, et divers messages sur Twitter (dont un seul exemple, éloquent : « Voici leur nouvel instrument de propagande de l’homosexualité européenne en terre africaine. Mbougar Sarr tu es un vendu, tu fais honte au Sénégal » [@EZORKPIN, 4 nov. 2021]).

8 Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, Paris, Éd. du Seuil, 1999.

9 Ahmadou Kourouma, « Préface », in B. Mongo-Mboussa, Désir d’Afrique, Paris, Gallimard, [2002] 2020, p. 15-17, ici p. 15.

10 Boubacar Boris Diop dirige par ailleurs la collection Céytu (chez les Éditions Zulma) de littérature en langue wolof. Pour l’importance politique d’une littérature éditée en wolof et le rôle de B. B. Diop dans la configuration de ce champ littéraire émergent, voir la thèse d’Alice Chaudemanche, Romans (en) wolof : traduction et configuration d’un genre, thèse de doctorat, université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, 2021.

11 Felwine Sarr et Bénédicte Savoy, Restituer le patrimoine africain, Paris, Philippe Rey/Éd. du Seuil, 2018. Concernant sa poésie et son éthique humaniste, voir Elara Bertho, « Restituer = relier, habiter. La pensée cosmopolite de Felwine Sarr », Multitudes, 78-1, 2020, p. 206‑210.

12 Sur ces soupçons, voir Norimitsu Onishi et Constant Méheut, « Le Goncourt renoue-t-il avec les conflits d’intérêts ? », New York Times, 29 sept. 2021, https://www.nytimes.com/fr/2021/09/29/world/europe/goncourt-laurens-jury-pivot.html.

13 Étienne Anheim et Antoine Lilti, « Introduction », in É. Anheim et A. Lilti (dir.), no spécial « Savoirs de la littérature », Annales HSS, 65-2, 2010, p. 253‑260.

14 Les Annales, « Le temps du récit », no spécial « Autoportrait d’une revue », Annales HSS, 75-3/4, 2020, p. 447‑463 ; Paul Ricœur, Temps et récit, vol. 3, Le temps raconté, Paris, Éd. du Seuil, 1985.

15 Elara Bertho, Sorcières, tyrans, héros. Mémoires postcoloniales de résistants africains, Paris, Honoré Champion, 2019, p. 337.

16 Jean-Marie Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, Paris, Éd. du Seuil, 1999.

17 Laurent Demanze, Un nouvel âge de l’enquête. Portraits de l’écrivain contemporain en enquêteur, Paris, José Corti, 2019.

18 Yambo Ouologuem, Le devoir de violence, Paris, Éd. du Seuil, 1968. Se jouant des temporalités, Mbougar Sarr situe la parution de ce livre trente ans plus tôt dans sa fiction.

19 Léopold Sédar Senghor, « Comme les lamantins vont boire à la source » [1956], in Poésie complète, Paris, CNRS Éditions/ITEM/Agence universitaire de la francophonie, 2007, p. 268-276 ; M. Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, op. cit., p. 18.

20 Voir le colloque consacré en 2018 à l’œuvre de Yambo Ouologuem : Christine Le Quellec Cottier et Anthony Mangeon (dir.), « L’œuvre de Yambo Ouologuem, un carrefour d’écritures. 1968-2018 », Fabula/Les colloques, 2019, https://www.fabula.org/colloques/sommaire5979.php.

21 André Schwartz-Bart, Le dernier des Justes, Paris, Éd. du Seuil, 1959 ; Romain Gary, Les racines du ciel, Paris, Gallimard, 1956. Voir Olivier Cariguel, « Romain Gary sous le feu des critiques : morceaux choisis », Revue des deux mondes, 17 mai 2021, p. 54‑58. Il est tentant de voir dans Morel un double d’Elimane, par son caractère exalté, fuyant, toujours insaisissable. Ce n’est pourtant pas une référence reconnue par Mbougar Sarr (communication personnelle avec l’auteur, 22 févr. 2022).

22 Marie Darrieussecq a par exemple été accusée par Camille Laurens d’un type de plagiat particulier, celui du « plagiat psychique ». Voir la réponse de l’éditeur des deux romancières : Paul Otchakovsky-Laurens, « Non, Marie Darrieussecq n’a pas ‘piraté’ Camille Laurens », Le Monde, 30 août 2007, https://www.lemonde.fr/livres/article/2007/08/30/non-marie-darrieussecq-n-a-pas-pirate-camille-laurens-par-paul-otchakovsky-laurens_949150_3260.html.

23 M. Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, op. cit., p. 22.

24 Voir à titre d’exemples Adrien Vial, « Prix Goncourt. Écrire ou faire l’amour, sur les traces de Yambo Ouologuem », Afrique XXI, 17 sept. 2021, https://afriquexxi.info/article4853.html ; Valentin Etancelin, « Derrière le sacre de Mbougar Sarr, le destin tragique de Ouologuem », Huffington Post/Seneplus, 4 nov. 2021, https://www.seneplus.com/culture/derriere-le-sacre-de-mbougar-le-destin-tragique-de-ouologuem ; Tirthankar Chanda, « À la recherche de l’écrivain disparu avec Mohamed Mbougar Sarr », RFI, « Chemins d’écriture », 13 nov. 2021, https://www.rfi.fr/fr/podcasts/chemins-d-%C3%A9criture/20211113-%C3%A0-la-recherche-de-l-%C3%A9crivain-disparu-avec-mohamed-mbougar-sarr.

25 Sur ce décalage temporel et l’insertion des Africains dans la période du nazisme et de la Shoah, voir Jean-Pierre Orban, « Les fantômes du Goncourt de Mohamed Mbougar Sarr », Afrique XXI, 25 mars 2022, https://afriquexxi.info/article4946.html.

26 Id., « Livre culte, livre maudit. Histoire du Devoir de violence de Yambo Ouologuem », no spécial « Yambo Ouologuem. Histoire du Devoir de Violence », Continents manuscrits. Génétique des textes littéraires – Afrique, Caraïbe, diaspora, 2018, https://doi.org/10.4000/coma.1189. Jean-Pierre Orban est d’ailleurs avec Sami Tchak, l’éditeur de Yambo Ouologuem, Les mille et une bibles du sexe, La Roque d’Anthéron, Vents d’ailleurs, 2015, auparavant publié sous pseudonyme.

27 Anonyme, « Something New Out of Africa? », Times Literary Supplement, 5 mai 1972, p. 525 ; Graham Greene, It’s a Battlefield, Londres, William Heinemann, 1934.

28 Voir cette belle lettre d’André Schwarz-Bart à son éditeur dès le 16 août 1968 (IMEC, SEL 2923.9), citée par J.-P. Orban, « Livre culte, livre maudit », art. cit., § 120 : « j’ai toujours vu mes livres comme des pommiers, content qu’on mange de mes pommes, et content qu’on en prenne une, à l’occasion, pour la planter dans un autre sol. À plus forte raison, suis-je profondément touché, bouleversé, même, qu’un écrivain noir ait pu prendre appui sur Le dernier des Justes pour faire un livre tel que Le devoir de violence. Ainsi donc monsieur Ouologuem n’est pas mon débiteur, mais moi, le sien. […] Ce qui me gêne, vois-tu, ce qui m’offense, c’est ton mutisme tout au long de l’élaboration de ce travail. Écrivain toi-même, tu sais que ton devoir était de m’avertir dès que tu eus connaissance de ce travail. »

29 J.-P. Orban, « Livre culte, livre maudit », art. cit., § 117.

30 Lettre de Yambo Ouologuem à Paul Flamand, 15 mars 1970, IMEC, SEL 2923.9, citée par J.-P. Orban, « Livre culte, livre maudit », art. cit., § 132.

31 Jean-Pierre Orban précise dans son article que Yambo Ouologuem aurait perdu les manuscrits à la suite d’une rupture amoureuse précipitée et de déménagements impromptus.

32 Stratégie d’insertion que relève d’ailleurs P. Casanova, La République mondiale des Lettres, op. cit.

33 Maurice Delafosse est certainement la plus grande figure d’administrateur-ethnographe, avec une immense connaissance des langues africaines. Voir Jean-Loup Amselle et Emmanuelle Sibeud (dir.), Maurice Delafosse. Entre orientalisme et ethnographie : itinéraire d’un africaniste (1870-1926), Paris, Maisonneuve et Larose, 1998, ainsi que, pour le passage d’un « informateur » au rang d’« auteur », Camille Lefebvre, « Amadou Hampâté Bâ, Amkoullel, l’enfant peul. Mémoires ; Amadou Hampâté Bâ, Oui, mon commandant ! (comptes rendus) », no spécial « Autoportrait d’une revue », Annales HSS, 75-3/4, 2020, p. 852-856.

34 Sur ces « intermédiaires » et leur statut dans la constitution de la « bibliothèque coloniale », voir Benjamin N. Lawrance, Emily Lynn Osborn et Richard L. Roberts (dir.), Intermediaries, Interpreters, and Clerks: African Employees in the Making of Colonial Africa, Madison, The University of Wisconsin Press, 2006 ; Céline Labrune-Badiane et Étienne Smith, Les Hussards noirs de la colonie. Instituteurs africains et ‘petites patries’ en AOF (1913-1960), Paris, Karthala, 2018.

35 A. Mangeon et C. Le Quellec Cottier (dir.), L’œuvre de Yambo Ouologuem…, op. cit.

36 Anthony Mangeon et Christine Le Quellec Cottier, « Introduction », in L’œuvre de Yambo Ouologuem…, op. cit., § 2, https://www.fabula.org/colloques/document6048.php.

37 Voir le remarquable article de F. Abiola Irele, « In Search of Camara Laye », no spécial « Textual Ownership in Francophone African Writing », Research in African Literatures, 37-1, 2006, p. 110‑127. Voir également la leçon au Collège de France de François-Xavier Fauvelle, « Un roi dont le nom est Lion », consacrée à Camara Laye et au Maître de la parole, Kouma Lafôlô Kouma (Paris, Plon, 1978), à ses sources et, plus généralement, au statut d’auctorialité en Afrique de l’Ouest : https://www.college-de-france.fr/site/francois-xavier-fauvelle/course-2021-11-16-17h30.htm.

38 Alec G. Hargreaves, Nicki Hitchcott et Dominic Thomas, « Introduction », no spécial « Textual Ownership in Francophone African Writing », Research in African Literatures, 37-1, 2006, p. vi‑ix.

39 Avec humour, Kaye Whiteman défend d’ailleurs Ouologuem en se servant de cette référence aux griots et au régime d’oralité : « Et à ceux qui disent que c’est inférieur à un ‘roman africain’, on pourrait rétorquer que le style d’allusion et de citation est par excellence, comme le dit Yambo, celui des griots », extrait de Kaye Whiteman, « Appendix: In Defense of Yambo Ouologuem » [1972], in Y. Ouologuem, The Yambo Ouologuem Reader, éd. par C. Wise, Trenton, Africa World Press, 2008, p. 335-338, ici p. 338.

40 L’attaque la plus agressive est due à Adele King, Rereading Camara Laye, Lincoln, University of Nebraska Press, 2002.

41 M. Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, op. cit., p. 93.

42 Bakary Diallo, Force-Bonté, Paris, Rieder, 1926.

43 Ainsi dans France & Monde. Le livre trimestriel des Rénovateurs, 126, 1er janv. 1926, p. 256, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5500712t/f259.image.r=%22bakary%20diallo%22?rk=536483;2 : « On ne peut cependant accorder à ces pages une grande valeur littéraire […]. De toute évidence Bakary Diallo a perdu, en utilisant le français, presque toute l’originalité de son récit primitif » ; ou encore dans la Revue des lectures, 19-1, 15 janv. 1926, p. 879, où C. Bourdon déplore que personne n’ait songé à convertir Bakary Diallo à « la vraie religion de Jésus Christ » https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5742697s/f885.image.r=%22bakary%20diallo%22 ; pas moins généreux, dans L’Humanité, du 16 juin 1926, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k402103s/f4.item.r=%22bakary%20diallo%22.zoom, Henri Barbusse écrit : « Mon pauvre Bakary, vous mêlez gentiment dans votre histoire, comme un enfant, un tas de choses qui ne vont pas du tout ensemble, et toute votre idéologie d’altruisme est posée bien de travers sur la réalité des choses », après avoir fait mention de Lucie Cousturier, « la grande amie des noirs » en garante de l’œuvre.

44 M. Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, op. cit., p. 87.

45 Mélanie Bourlet, « D’une voix à l’autre. La transmission du poème Mbâla de Bakary Diallo », in S. Bornand et M. Manca (dir.), no spécial « D’un rythme à l’autre », Cahiers de littérature orale, 73‑74, 2013, https://doi.org/10.4000/clo.1993 ; voir aussi le film documentaire réalisé par Mélanie Bourlet et Franck Guillemain, Bakary Diallo, mémoires peules, CNRS, 2016, https://www.canal-u.tv/86799

46 René Maran, Batouala, Paris, Albin Michel, 1921.

47 La Bibliothèque nationale de France (BNF) a d’ailleurs invité Mbougar Sarr dans son hommage à René Maran le 1er décembre 2021 : https://www.bnf.fr/fr/agenda/centenaire-du-prix-goncourt-de-rene-maran-avec-batouala ; voir aussi, toujours sur le site de la BNF, ce même parallèle dans la brève « Mohamed Mbougar Sarr, prix Goncourt 2021 » du 4 novembre 2021, https://www.bnf.fr/fr/actualites/mohamed-mbougar-sarr-prix-goncourt-2021.

48 Voir Charles W. Scheel, « René Maran : genèses de la première édition (1921) de Batouala, véritable roman nègre, et de sa préface », in X. Luce et C. Riffard (dir.), no spécial « René Maran », Continents manuscrits. Génétique des textes littéraires – Afrique, Caraïbe, diaspora, 17, 2021, https://doi.org/10.4000/coma.7748.

49 Voir la section 6 consacrée à René Maran dans l’exposition « De la bibliothèque coloniale aux premières littératures africaines. Exposer les littératures dans les Archives nationales d’outre-mer » (21 sept.-21 nov. 2019) aux Archives nationales d’outre-mer (ANOM) coorganisée par Elara Bertho, Catherine Mazauric et Cécile van den Avenne, dont quelques numérisations sont en ligne https://elam.hypotheses.org/2216.

50 René Maran, Un homme pareil aux autres, préface de M. Mbougar Sarr, Marseille, Éditions du Typhon, [1947] 2021.

51 L’hypothèse « inconsciente » est la conclusion retenue dans K. Anyinefa, « Scandales », art. cit.

52 Sami Tchak, La couleur de l’écrivain. Comédie littéraire, Ciboure, La Cheminante, 2014.

53 M. Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, op. cit., p. 102.

54 Pour paraphraser le titre du célèbre ouvrage The Empire Writes Back: Theory and Practice in Post-Colonial Literatures : Bill Ashcroft, Gareth Griffiths et Helen Tiffin (dir.), L’Empire vous répond. Théories et pratiques des littératures post-coloniales, trad. par J.-Y. Serra et M. Mathieu-Job, Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, [1989] 2012.

55 Lydie Moudileno, Parades postcoloniales. La fabrication des identités dans le roman congolais, Paris, Karthala, 2006.

56 M. Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, op. cit., p. 295-301.

57 Ibid., p. 98.

58 Ibid., p. 103-104.

59 Ibid., p. 427.

60 Voir sur ce point l’entretien avec Sami Tchak Elara Bertho et Ninon Chavoz, « Entretien avec Sami Tchak (07/05/2016) », Fabula/Les colloques/Afriques transversales, http://www.fabula.org/colloques/document6344.php.

61 Roberto Bolaño, Les détectives sauvages, trad. par R. Amutio, Paris, Gallimard, [1998] 2010.

62 Ce qui n’est pas sans rappeler le manifeste pour une littérature-monde ; voir sur ce point la première partie de l’ouvrage de C. Ducournau, La fabrique des classiques africains, op. cit.

63 M. Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, op. cit., p. 119.

64 Ibid., p. 319.

65 Communication personnelle avec l’auteur, 22 févr. 2022.

66 M. Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, op. cit., p. 360.

67 À l’instar de Christopher Wise se mettant en scène à la recherche d’Ouologuem : Christopher Wise, À la recherche de Yambo Ouologuem, Paris, Éd. de Philae, 2018.

68 M. Mbougar Sarr, La plus secrète mémoire des hommes, op. cit., p. 146.

69 S. B. Diagne et J.-L. Amselle, En quête d’Afrique(s), op. cit., p. 75 et passim.

70 Ibid.

71 J’emprunte cette expression au dossier des Annales concernant les savoirs de la fiction : É. Anheim et A. Lilti, « Introduction », art. cit. Cela n’est pas sans écho avec les analyses d’Ivan Jablonka, L’histoire est une littérature contemporaine. Manifeste pour les sciences sociales, Paris, Éd. du Seuil, 2014.

72 Pour reprendre et interroger l’article Les Annales, « Le temps du récit », art. cit.

73 Mohamed Mbougar Sarr, De purs hommes, Paris/Dakar, Philippe Rey/Jimsaan, 2018.

74 Felwine Sarr, « Polémique autour de Mohamed Mbougar Sarr : Felwine Sarr prend position », SeneNews, 23 nov. 2021, https://www.senenews.com/actualites/polemique-autour-de-mohamed-mbougar-sarr-felwine-sarr-prend-position_376436.html.

75 Jordi Bonells, « De l’utilisation du micro-ondes en littérature », Diacritik, 12 janv. 2022, https://diacritik.com/2022/01/12/de-lutilisation-du-micro-ondes-en-litterature/.