Hostname: page-component-78c5997874-t5tsf Total loading time: 0 Render date: 2024-11-04T19:42:10.619Z Has data issue: false hasContentIssue false

Les crises démographiques en milieu urbain : l'exemple de Bordeaux (fin XVIIe-fin XVIIIe siècle)

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Jean-Pierre Poussou*
Affiliation:
Université de Bordeaux

Extract

Les crises démographiques ont constitué un point cardinal de la démographie d'Ancien Régime depuis l'article célèbre que leur consacra Jean Meuvret en 1946. Comment aurait-il pu en être autrement : existe-t-il une courbe paroissiale sur laquelle, à intervalles plus ou moins rapprochés, ne se lisent d'étonnantes montées des sépultures, accompagnées très souvent d'effondrements inverses des conceptions et des mariages ? A l'évidence, non : dans la France des XVIe-XVIIIe siècles, elles sont un fait majeur de l'évolution démographique, avec cependant, dans de nombreuses paroisses, un net recul au cours du xvnie siècle. Très vite, leur analyse a donné naissance à des controverses portant sur leur interprétation, et plus précisément sur le rôle des subsistances, dont Jean Meuvret, puis Pierre Goubert, avaient fait la cause essentielle des crises.

Summary

Summary

The traditional notion of the role ofmeans of subsistence has been much qualified over the last generation. This study examines the question with reference to the urban population of Bordeaux.

When one studies the annual data, there would seem to be important correlations between demographic crises and subsistence crises. But when one examines the same data more closely on a monthly or even a trimestrial basis, such a view becomes untenable. This applies even to 1693-1694 or 1709-1710, concerning which, incidentally, it would be better to talk of a series of crises ranging from 1706 to 1713.

If one takes into consideration urban diversity by distinguishing the graveyards of the centre of town, of the ourtskirts and of the hospital, differences at the level of monthly or trimestrial developments make it impossible to use the classical schema of the direct role of the high cost of living. The epidemic is responsible for the deaths, even if its appearance or development can be directly related to food problems. In any case, the seasonal nature of increases in the death-rate is obvious: they correspond to seasonal increases in death-rate due to epidemies.

Type
Les Crises Démographiques
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1980

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

Notes

1. Jean Meuvret, « Les crises de subsistances et la démographie de la France d'Ancien Régime », Population,1946, pp. 643-650.

2. Goubert, Pierre, Cent mille provinciaux au XVIIesiècle, Paris, 1968, pp. 6885.Google Scholar

3. Guillaume, Voir P. et Poussou, J.-P., Démographie historique, Paris, « Collection U », 1970, pp. 144165 Google Scholar ; et J.-P. Poussou, « Les hommes », dans P. Deyon et J. Jacquart, Les hésitations de la croissance 1580-1740. Histoire économique et sociale du monde,t. II, pp. 41-63.

4. Cette étude a en effet été réalisée dans le cadre de notre thèse de doctorat ès-lettres, à paraître. L'immigration bordelaise 1737-1791. Essai sur la mobilité géographique et l'attraction urbaine dans le sud-ouest de la France au XVIIIe siècle. Pour de plus amples renseignements sur les réalités bordelaises au xvme siècle, on se reportera à cet ouvrage.

5. Pour le xvme siècle, les prix moyens annuels sont ceux publiés par Benzacar, J., à la page 16 de son étude : Le pain à Bordeaux, Bordeaux, Gounouilhou, 1905 Google Scholar. Les chiffres des années 1690 et la plupart des autres chiffres mensuels ou trimestriels nous ont été aimablement fournis par P. Butel, à l'exception des chiffres des années 1787-1789 indiqués par M. LhéRitier dans La Révolution à Bordeaux,t. I : La fin de l'Ancien Régime et la préparation des États Généraux (1787-1789),Paris, 1942, p. 179 ss.

6. Caraman, Voir P., « La disette des grains et les émeutes populaires en 1773 dans la généralité de Bordeaux », Revue historique de Bordeaux, 1910, pp.297319 Google Scholar ; et F. Vedrenne, Misères des campagnes au siècle des Lumières exemples de la Guyenne sous l'administration de l'intendant Esmangart (1770-1775),TER, Bordeaux, 1969. P. Caraman souligne en particulier, que « depuis 1766, les récoltes de grains ont été mauvaises, principalement les dernières, dans toutes les parties de la généralité », op. cit.,p. 297.

7. Voir l'excellente distinction de Ruwet, J., « Crises de mortalité et mortalités de crise à Aix-la-Chapelle, xvne-début XVIIIe siècle », dans Actes du colloque international de démographie historique, Liège, 1963, Paris, 1965, pp. 379408 Google Scholar. Le texte de Ruwet ne permet pas, cependant, de résoudre le problème posé par les liens entre crises de subsistances et crises démographiques. On sait que les recherches récentes, à la suite de ce qu'avaient écrit R. Baehrel, P. Chaunu et P. Laslett, minorent l'importance démographique directe des crises de subsistances. Par exemple, l'étude de J.-P. Goubert, Malades et médecins en Bretagne, 1770-1790,indique de fortes discordances entre la courbe des prix du blé et celle des sépultures. C'est dire l'intérêt de la méthode cartographique, proposée par Imhof et Lindskog : lorsque la vague de mortalité touche d'un seul coup de vastes régions et disparaît tout aussi soudainement, on a affaire à une crise de cherté ; au contraire, lorsqu'il y a progression à partir de paroisses ou communes précises il y a sûrement crise de mortalité. Voir leur étude, « La mortalité en Suède et en Finlande au xvme siècle », Annales ESC,n° 4, 1974, pp. 915-934.

8. Au contraire, pour la généralité, les données administratives sont relativement abondantes : voir F. Vedrenne, Misères des campagnes…Les dossiers de l'intendance renferment aussi quelques rapports ou enquêtes de médecins. On doit les compléter par le fonds — encore inexploité de ce point de vue pour l'Aquitaine — de la Société royale de médecine, important dans les années 1780.

9. P. Goubert, Cent mille provinciaux…,p. 76.

10. Idem, ibid.

11. Voir Lachiver, M., Histoire de Meulan et de sa région par les textes, Meulan, 1965, graphique p. 185 Google Scholar.

12. Voir M. Reinhard, «Les répercussions démographiques des crises de subsistances en France au xvne siècle », Actes du 81e Congrès national des sociétés savantes,1956, pp. 67-86 ; Meuvret, J., « Démographie crisis in France from the sixteenth to the eighteenth century », Population in hislory, Londres, 1905, pp. 507522 Google Scholar.

13. Ley, M. H., Lussac et ses environs (1660-1810), TER, dactyl., Bordeaux, 1974, p. 53 Google Scholar.

14. Dévier, J. L., Un canton de l'Entre-Deux-Mers: Créon (1585-1821), TER, dactyl., Bordeaux, 1975, pp. 6465.Google Scholar

15. Voir dans Cent mille provinciaux…,pp. 430-431, les graphiques de Mouy et de Breteuil.

16. S. Dontenwill, « Les crises démographiques à Charlieu et dans la campagne environnante de 1690 à 1720 », Cahiers d'histoire,1969, pp. 133-140, loc. cit., p. 123, graphiques, p. 139.

17. Idem,p. 132.

18. Voir J. L. Dévier, Le canton de Créon, op. cit.

19. PRévost, Y., Saint-Ciers-la-Lande : 1681-1792 : essai d'histoire démographique, TER, dactyl., Bordeaux, 1970.Google Scholar

20. Goy, G., La Brède au XVIIIesiècle : étude démographique, TER, dactyl., Bordeaux, 1971.Google Scholar

21. M. H. Ley, op. cit.

22. Voir J. Cavignac, « Le grand hiver de 1709 en Bazadais », Les cahiers du Bazadais,1967, pp. 37-46.

23. Voir la courbe mensuelle ci-jointe.

24. Voir courbes ci-jointes.

25. J. Benzacar, Le pain à Bordeaux, op. cit.,p. 17.

26. J. Cavignac, op. cit.,p. 42.

27. Voir plus haut les ouvrages de G. Goy, Y. Prévost, M. H. Ley, J.-L. Dévier…

28. Voir S. Guillet, La paroisse Saint-Rémy et son faubourg des Chartrons à la fin du règne de Louis XIV, 1692-1712,TER, dactyl., Bordeaux, 1974.

29. Il n'est en outre pas évident que la crise de 1693-1694 soit une crise de subsistances : Serge Guillet a montré dans son mémoire que les décès de la paroisse Saint-Rémy s'accroissent bien avant les maxima des prix du blé et chutent avant qu'ils ne soient atteints.

30. Par exemple, à Uzeste, le chiffre annuel moyen des conceptions est de 39,2 par an entre 1684 et 1688; il est de 42,4 entre 1704 et 1708. En 1709, nous ne comptons plus que 16 conceptions et 14 en 1710. Entre 1740 et 1744, nous sommes à 33. Voir de Luget, E. Delage, La population des pays du Ciron en Bazadais au XVIIIe siècle, TER, dactyl., Bordeaux, 1970 Google Scholar.

31. Étude détaillée pour la paroisse Saint-Rémy, mais dans ce domaine toute la ville présente la même évolution, dans S. Guillet, La paroisse Saint-Rémy et son faubourg des Chartrons (1692- 1712), op. cit.

32. S. Guillet souligne, avec raison, qu'en 1706 la poussée de mortalité ne s'est accompagnée — au contraire de 1693-1694 et de 1709-1710 — d'aucune chute des conceptions.

33. Conceptions et mariages ne figurent donc plus sur nos graphiques, leur présence ne s'imposant plus.

34. Voir M. Marion, « Une famine en Guyenne (1747-1748) >>, Revue historique,mai-août 1891, t. 46, pp. 241-287.

35. Florenty, G., L'évolution démographique de Saint-Cyprien et de son canton au XVIIIesiècle, TER, dactyl., Bordeaux, 1974, pp. 5153.Google Scholar

36. M. H. Ley, Lussac et ses environs,p. 54.

37. E. Delage DE Luget, La population des pays du Ciron,pp. 74-75.

38. Brouste, M., Une paroisse du Réolais au XVIIIesiècle : Mongauzy (1701-1830), TER, dactyl., Bordeaux, 1976, pp. 3234.Google Scholar

39. J. L. Dévier, Un canton de l'Entre-Deux-Mers : Créon…, op. cit.

40. E. Delage DE Luget, La population des pays du Ciron…, op. cit.,pp. 74-75. Uzeste connaît en 1759 une nouvelle grande crise ; il s'agit cette fois d'une épidémie de dysenterie qui frappe, elle aussi, surtout les enfants de moins de 10 ans. Remarquons — c'est peut-être suggestif pour Bordeaux — qu'elle sévit « des premiers jours de septembre aux premiers jours de décembre ».

41. M. H. Ley, Lussac et ses environs…, op. cit.

42. Voir P. Caraman, «La disette des grains et les émeutes populaires en 1773 dans la généralité de Bordeaux », op. cit.

43. Voir J. Benzacar, Le pain à Bordeaux,p. 21.

44. P. Caraman, op. cit.

45. J. L. Dévier, op. cit.

46. Malheureusement la courbe n'est pas complète et n'a pu être prolongée au cours de l'année 1791 : les relevés sont devenus irréguliers ou n'ont été qu'incomplètement conservés.

47. Voir P. Caraman, « La disette des grains et les émeutes populaires en 1773… », op. cit., p. 301 ss.

48. C. Huetz DE Lemps, Géographie du commerce de Bordeaux à la fin du règne de Louis Xiv, Paris-La Haye, 1975, pp. 351-359, loc. cit., p. 356.

49. P. Goubert, Cent mille provinciaux…,p. 70.

50. R. Baehrel, Une croissance: la Basse-Provence rurale (fin du XVIe siècle-1789),Paris, 1961.

51. Chaunu, P., La civilisation de l'Europe classique, Paris, 1966, p. 232.Google Scholar

52. « La famine en Mauritanie », L'Express,9-15 juillet 1973, loc. cit.

53. J. Georgelin, « Famine et mortalité en Inde au xixe siècle », Annales de démographie historique,1975, pp. 403-407.

54. Idem,p. 405.

55. Ibid.,p. 406.

56. Imhoff et Lindskog, « La mortalité en Suède et en Finlande au XVIIIe siècle », art. cité.

57. Les pourcentages d'accroissement sont calculés en comparant les chiffres des années de crise avec la moyenne annuelle des cinq années précédentes.

58. Voir Ph. Loupes, « L'hôpital Saint-André de Bordeaux au XVIIIe siècle », Revue historique de Bordeaux.1972, pp. 79-112.

59. Garden, M., Lyon et les Lyonnais au XVIIIesiècle, Paris, Les Belles Lettres, 1970, p. 146 Google Scholar.

60. Parmi une nombreuse documentation, retenons cet extrait d'un « Mémoire sur la nécessité et la facilité du dessèchement des marais qui sont à l'ouest de Bordeaux », en date de 1763 : … « Si on n'éprouve plus chaque année dans les quartiers voisins de ces marais des épidémies et des contagions, les fièvres périodiques et malignes y sont extrêmement habituelles. Ce sont des faits que chaque canicule voit constamment renouveler » (Archives départementales de la Gironde, C 278). Ces fièvres peuvent cependant se décaler nettement vers l'automne, comme ce fut le cas en 1805, année où, d'après le rapport du préfet, les fièvres de l'automne firent beaucoup de victimes dans plusieurs quartiers de la ville. « Elles reparurent en février (1806), à la vérité sans être meurtrières. Par ailleurs, la variole frappa: « 1 107 individus en furent atteints et 233 en moururent » (Archives nationales, F 20-194).

61. F. Crouzet a déjà insisté sur les « étés lourds, orageux, humides » de la Guyenne… Voir F. G. Pariset et coll., Bordeaux au XVIIIesiècle,p. 322.

62. « Typique est la pointe estivale des mortalités ; elle est liée, comme on sait, aux démographies méditerranéennes engluées dans un bourbier microbien ; eaux pourries, air brûlant, moustiques, crasse, misère, autrement dit paludisme et toxicoses. La pointe estivale est souvent indifférente aux mercuriales, indépendante des crises de subsistances. Même sans famine, elle fleurit, sur un fond de pauvreté, quand survient un été brûlant. » Avec encore un grand rôle de la variole qui, ici, joue un rôle essentiel en 1709. Voir Les paysans de Languedoc,Paris, 1966, pp. 551 et 553.

63. Pour un autre exemple du rôle majeur des épidémies en milieu urbain, se reporter à A. Perrenoud, La population de Genève du XVIe au début du XIXe siècle. Étude géographique,t. I : Structures et mouvements,Genève, 1979.