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La bourse mondiale de la traduction : un baromètre culturel ?

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Daniel Milo*
Affiliation:
Université de Tel-Aviv

Extract

Cet article a pour but d'examiner un aspect de la culture insuffisamment exploré jusqu'ici, la consommation culturelle.

« Culture », entendue ici au sens limité du terme : « Ensemble des aspects intellectuels d'une civilisation » (Petit Robert, 1982), qui n'est pas synonyme de « civilisation » : « Ensemble des caractères communs aux vastes sociétés les plus évoluées ; ensemble des acquisitions des sociétés humaines (opposé à “ nature ”, “ barbarie “) » (ibid.). Le peu d'intérêt qu'on a manifesté pour la consommation culturelle s'explique sans doute par le fait que, pour les gens « cultivés », culture — dans son sens limité et valorisé —, et consommation — dans sons sens commercial et même péjoratif — sont antinomiques. De plus, les études littéraires et culturelles traditionnelles paraissent se fier uniquement à l'idée que s'en fait l'establishment culturel de son temps, une approche qui secrète beaucoup de monstres théoriques et empiriques.

Summary

Summary

Translations seem to be an ideal field to research for cultural studies focused on the users’ aspect of culture, for they are governed mainly by a real demand of the public. The examination of the translations made throughout the world these last fifty years (the Index Translationum supplying the data) permits us to maintain that this is a highly structured field. The destiny of any author depends on the destiny of the group he belongs to much more than on the intrinsic value of his work. Several rules determine the high and lows of each group in this « stock market ». Thus, when non-legitimate literature (thrillers, children books) goes up, legitimate literature (Goethe, Tolstoy) goes down; there is a direct correlation between non-legitimate literature and that of the XXth century; a modernization of the market tends to precede its de-legitimation. And the most striking discovery we made concerns the role of the Second World War in our « stock market »—it stopped an accelarated process of delegitimation in the 1930th andeven reversed it temporarily.

Type
Lire et Écrire
Copyright
Copyright © Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1984

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References

Notes

1. Deux noms qui nous étaient inconnus avant ce travail, mais dont l'œuvre était familière, sont les auteurs français S. et A. Golon (Angélique), et René Goscinny (Astérix).

2. Nos recherches sont fondées tout d'abord sur les publications de l'Institut de Coopération intellectuelle de la Société des Nations, et de l'unesco : 1. L'Index translationum, dont les trente et un premiers numéros datent de 1932-1940, et dont l'unesco a repris la publication en 1949 (pour l'année 1948). Le 30e volume (année 1977) a été publié en 1981. 2. ĽAnnuaire statistique de l'unesco, dont le premier volume date de 1963. 3. Les Rapports et études statistiques de l'unesco (les numéros 2 et 26).

3. La production de livres augmente en R.F.A. de 16 660 titres en 1955 à 48 736 en 1977 ; aux États-Unis, de 12 589 à 85 126 en 1978.

4. En 1959-1960, 31 % des Français de plus de 20 ans étaient des « lecteurs réguliers », lisant au moins un livre par mois (Étude sur le livre et la lecture en France, Syndicat National des Édi-teurs, Paris, 1960). En 1967, 35 % des Français de plus de 20 ans lisaient au moins un livre par mois (La Clientèle du livre, Syndicat National des Éditeurs, Paris, 1967). En 1973, 38 % des Français de plus de 15 ans étaient des « lecteurs réguliers » (Pratiques culturelles des Français, Paris, 1974) ; en 1982, ils étaient 36,1 % (Pratiques culturelles des Français, 1973-1982, Paris, Dalloz, 1982).

5. Des chercheurs en Europe de l'Est, comme Lévý, Jiřy, « Translation as a Décision Process », dans To Honor Roman Jakobson, Paris-La Haye, t. II, 1967, pp. 11711182 Google Scholar ; et Popovič, Anton, « The Concept of ‘Shift of Expression’ in Translation Analysis », dans Holmes, J. S., de Haan, F., Popovič, A. éds, The Nature of Translation, Paris-La Haye, Mouton, 1970, pp. 7887 Google Scholar. Des chercheurs belges comme Lambert, José, « Traduction en France (1800-1850) », dans Poetics Today, vol. 2, n° 4 (1981), pp. 161170 CrossRefGoogle Scholar ; Lefevère, André, Translating Poetry : Seven Stratégies and a Blueprint, Assen-Amsterdam, Van Gorcum, 1975 Google Scholar, et Raymond Van Den Broeck, « Metaphor Translation », dans Poetics Today, op. cit. Le Néerlandais Holmes, James, The Name and Nature of Translation Studies, Univ. of Amsterdam, 1972 Google Scholar ; Mounin, G., Les Problèmes théoriques de la traduction, Paris, 1963.Google Scholar Et les Israéliens I. Even-zohar, « Translation Theory Today : a Call for Transfer Theory », dans Poetics Today, op. cit., et Toury, Gideon, « The Nature and Rôle of Norms in Literary Translation », dans Holmes, J. S., Lambert, J., et Van Den Broeck, R., éds Literature and Translation : New Perspectives in Literary Studies, Louvain, ACCO, 1978. Google Scholar

6. Voir les travaux de Lambert, de Even-zohar, « The Position of Translated Literature within the Literary Polysystem », dans Holmes et al., op. cit., pp. 117-127 ; de Shavtt, Zohar, « Translation of Children's Literature as a Function of its Position in the Literary Polysystem », dans Modem Realistic Stories for Children and Young People. 16th IBBY-Congress, Majonica, R. éd., Munich, 1978, pp. 180187 Google Scholar ; de Yahalom, « Le système littéraire en état de crise », Poetics Today, op. cit., pp. 143-160.

7. Dans Sociologie de la littérature, Paris, 1957, p. 73.

8. Dans Histoire du livre : l'époque moderne, Paris, 1964, p. 166.

9. A noter encore, que les deux études dites « scientifiques » consacrées à l'Index (selon la responsable de l'Index translationum, Mlle Laches), l'une de Suzanne Honoré, « L'Index translationum : réalisations passées, perspectives d'avenir », Revue de l'Unescopour la Science de l'Information, la Bibliographie et l'Archiviste, vol. II, n° 2 (avril-juin 1980) ; « Études sur l'Index translationum », Bibliographie de France, n° 9, 1976, ne peuvent pas contribuer à notre propos, car leur intérêt est beaucoup trop limité.

10. Comment interpréter ces chiffres ? L'unesco demande chaque année à ses membres d'indiquer toutes les traductions parues au cours de l'année, et de préciser pour chaque titre s'il s'agit d'une nouvelle traduction ou d'une réédition (malheureusement, aucune indication concernant les tirages n'est exigée). La plupart des pays ignorent complètement ces instructions, d'autres ne les suivent que très partiellement d'après les renseignements que nous ont fournis les responsables de l'Index translationum. Et pour ajouter à la confusion, il y a beaucoup de premières éditions qui ne sont pas de nouvelles traductions — c'est le cas du passage d'un texte au livre de poche ou au club. Ce genre de problèmes rend toute étude systématique de la proportion entre les diverses catégories de traductions impossible — et nous contraint à envisager le corpus globalement. Mais notre situation n'est pas si grave, car la distinction entre trois catégories principales de traductions — première traduction d'un texte dans une langue donnée ; nouvelle traduction d'un texte déjà traduit auparavant dans cette langue ; réédition d'une traduction existante — permet de constater que presque toutes les traductions des auteurs qui figurent dans nos listes appartiennent à des « re-traductions » ou à des rééditions. Étant donné que ce sont précisément ces deux catégories qui sont les plus soumises à la demande du public, ce défaut des sources est minime.

11. D'autres paramètres, le sexe des lecteurs ou leur lieu d'habitation, par exemple, nous paraissent soit trop flous, soit peu productifs pour cette étude.

12. Nous entendons par « légitimé » les produits culturels que l'establishment canonise : par l'enseignement donné aux jeunes, par les programmes universitaires, etc.

13. Selon F. Baldensperger, « les lexiques, les manuels, les études rétrospectives sont les indices de la renommée » (La Littérature : création, succès, durée, Paris, 1913, p. 253).

14. Escarpit, R. distingue entre auteurs morts il y a plus de vingt ans et auteurs” contemporains » (Le Livre et le conscrit, Bordeaux, 1966 Google Scholar ; Le Littéraire et le social, Paris, 1970,pp. 155 et 297).

15. Nous avons utilisé deux sources : Catalogue des thèses de doctorat (France); et Comprehensive Dissertation Index, U.S.A., 1861-1972 : Language and Literature, Ann Arbor, Michigan Univ., Xerox-Microfilm, 1973.

16. Autrement dit, l'ancienneté de l'œuvre traduite qui peut être plus ou moins grande.

17. Les données qui concernent les adaptations cinématographiques sont fondées principalement sur Daisne, H. T., Dictionnaire filmographique de la littérature mondiale, Gand, 1971 Google Scholar ; Ens, A. G. S., FilmBooksandPlays, 1928-1969, Londres, 1971 Google Scholar, et GuinnessBookojFilm, 1980.

18. Selon une autre perspective, nous dirons que c'est le moment où l'élite culturelle cessa d'insister sur la prééminence des classiques.

19. Rappelons qu'il s'agit du « deuxième rang » des écrivains du xixe siècle. Inutile de préciser que cette classification ne comporte aucun jugement esthétique.

20. Le cas de E. A. Poe est assez surprenant, étant donné son grand succès au cinéma : 95 adaptations de ses œuvres. On pourrait expliquer ce manque de succès littéraire par le fait que la plupart de ces « adaptations » sont en effet des variations libres sur ses poèmes, comme Le Corbeau.

21. Le cas de Stendhal et de Flaubert révèle un fait « cruel » : pour acquérir une position de premier rang dans la bourse de la traduction aussi bien que dans l'enseignement et dans les autres champs considérés comme autorités culturelles, il faut produire plus qu'un ou deux chefsd’ œuvre…Signalons toutefois que c'est une « demande » plutôt récente, comme le prouvent Homère, Rabelais et Cervantes.

22. Et non pas à Simenon, qui n'est pas uniquement un écrivain de suspens ; cela peut, d'ailleurs, expliquer sa chute vers la fin des années trente, quand tout le genre montait. Ce n'est qu'à partir des années cinquante que Simenon est identifié à travers le monde avec le commissaire Maigret.

23. Cette survie de Dickens est sans doute liée à la conversion de plusieurs de ses romans — David Copperfield, Oliver Twist et Un conte de deux villes — au marché de la littérature enfantine.

24. La seule mention de ce phénomène que nous avons trouvée est une phrase de R. Estival qui écrit : « Le fait que les guerres de 1914-18 et de 1939-45 aient entraîné une évolution de la lecture et partant de la production des genres frivoles aux genres sérieux est un indice recherché par l'éditeur », Le Littéraire et le social, op. cit., p. 79.