Published online by Cambridge University Press: 26 July 2017
La révolte est un phénomène des plus instructifs pour la compréhension de la nature, du fonctionnement et de l'évolution des ordres juridiques. La contestation d'un pouvoir, lorsqu'elle émane collectivement de ceux qui y sont soumis, révèle toujours ses défaillances en même temps qu'elle perturbe les conditions de son exercice. Parfois, elle en modifie les structures et les règles : elle est alors source de droit. Aussi maintes disciplines juridiques ont-elles attaché un grand prix à son étude. On imagine à peine aujourd'hui ce que serait une théorie du droit du travail qui ferait l'économie d'une théorie de la grève. Cependant, des secteurs entiers des sciences du droit s'obstinent encore à lui tourner le dos. Souvent confrontée au phénomène, l'histoire du droit et des institutions du Moyen Age l'a souvent contournée, se satisfaisant d'une représentation statique de la hiérarchie des puissances, comme si l'on pouvait toujours présupposer la passivité des dépendants, comme si les moments de révolte, par nature étrangers au juridique, n'étaient susceptibles que d'une histoire sociale, économique, d'une histoire des mentalités.
A series of chronicles from northern France recount a dozen cases of rebellious, peasant or bourgeois, subjects murdering their lord. All these accounts present the event as a divine act, usually as God's judgement of a “ tyrant. ” They reveal that rites existed for such killings, rites that, reenacted in the various murder cases, turned assassination into a sort of sacrifice, which must be compared with regicide in ancient Germania and Scandinavia. This ritual murder can be seen as a form of social regulation corresponding to the state of the lordship in the ll th and 12th centuries when the lord's power was not yet limited by the development of the judicial function and common law.
1. Ranum, O., «The French Ritual of Tyrannicide in the Late Sixteenth Century », Sixteenth Century Journal, 11, 1980, pp. 63–82.CrossRefGoogle Scholar
2. Une première version de ce texte a été présentée sous la forme d'une communication au congrès organisé en mai 1988, sur le thème « Révolte et société », par l'association Histoire au Présent. J'ai bénéficié des informations que m'ont apportées à cette occasion MM. R. Fossier, Y. Sassier, R. Dekker. Qu'ils trouvent ici l'expression de ma reconnaissance.
3. Archives Départementales du Nord, 1H 1757*, f. 46.
4. Sens, Clarius De, Chronicon Sancti Pétri Senonensis, A° 1149, dans. Duru, L.-M., Bibliothèque historique de l'Yonne, Paris, 1850-1864, II, p. 452.Google Scholar
5. Poitiers, Hugues De, Chronicon Vizeliacense, Huygens, R.-B.-C. éd., Monumenta Vizeliacensia. Textes relatifs à l'histoire de l'abbaye de Vézelay, dans Corpus Christianorum. Continuatio Mediaevalis, t. 42, Turnhout, 1976, pp. 433–434 Google Scholar (événements de 1152) et 569 (événements de 1165). Le meurtre d'Artaud est aussi éclairé par des sources diplomatiques: lettres de Pascal II (1106) et Lucius II (1144) prescrivant le bannissement des meurtriers et de leurs descendants : cartulaire de Vézelay, actes n° 19 et 25, dans R.-B.-C. Huygens, Monumenta Vizeliacensia, op. cit., pp. 302-303 et 311. Cf. en outre la lettre de Geoffroy de Vendôme à Conon, évêque de Préneste et légat de Pascal II : PL, 157, col. 58-59.
6. Sur ce sujet, la bibliographie est immense. Ont été utilisés ici, outre les deux récits principaux (Galbert De Bruges, De multro, traditione et occisionegloriosiKaroli comitisFlandriarum, H. Pirenne éd., Histoire du meurtre de Charles le Bon comte de Flandre (1127-1128) par Galbert de Bruges, Paris, 1891, et Gauthier De Thérouanne, Vita Caroli comitis, Mghss, XII, pp. 537- 366), les détails de l'assassinat notés par Simon, Gesta Abbatum Sancti Bertini Sithiensium, II, c. 117, MGH SS, XIII, p. 658, et Tournai, Herman De, Liber de restauratione monasterii Sancti Martini Tornacensis, ce. 28-29, MGH SS, XIV, p. 285.Google Scholar
7. Gesta Lietberti, c. 2, MGH SS, VII, p. 489; Chronicon Sancti Andreae Castri Cameracensis, II, 8, MGH SS, VII, p. 532 ; Annales Elnonenses, MGH SS, V, p. 12.
8. d'ardres, Lambert, Chronica comitum Ghisnensium, ce. 54 et 135-136, MGH SS, XXIV, pp. 588 et 628-630.Google Scholar
9. La source principale est constituée par les chroniques rimées des évêques de Cambrai : Gesta Liethardi episcopi Cameracensis, ce. 3-5, MGH SS, XIV, pp. 225-226; Gesta Nicholai episcopi Cameracensis, ce. 5-19, MGH SS, XIV, pp. 229-237. Mais cf. aussi: Wattrelos, Lambert De, Annales Cameracenses, A° 1137, MGH SS, XVI, p. 514 Google Scholar ; Chronicon Sancti Andreae Castri Cameracensis, II, 39, MGH SS, VII, pp. 549-550; Gestapontificum abbreviataper canonicum Cameracensem, ce. 14 et 16-17, MGH SS, VII, pp. 506-507.
10. Marchiennes, Galbert De, Miracula Sanctae Rictrudis, c. 45, AA SS, 12 mai, III, p. 134 Google Scholar ; cf. Platelle, H., «Crime et châtiment à Marchiennes. Étude sur la conception et le fonctionnement de la justice d'après les Miracles de Sainte Rictrude », Sacris erudiri, 1980, pp. 186–187.Google Scholar
11. Galbert De Marchiennes, Miracula, op. cit., c. 61, p. 138.
12. Marchiennes, André De, Miracula Sanctae Rictrudis, ce. 26-27, A A SS, 12 mai, III, pp. 104–105.Google Scholar
13. Wattrelos, Lambert De, Annales Cameracenses, MGH SS, XVI, p. 510 Google Scholar; cf. aussi : Gestorum versio gallica, ce. 2, 4, 8, MGH SS, VII, p. 511.
14. Cf. par exemple les meurtres énigmatiques de Robert d'Aire, prévôt de Saint-Omer (Gesta abbatum Sancti Bertini continuatio, II, ce. 11-15, MGH SS, XIII, p. 668) ou de l'avoué Fastré de Tournai (Herman De Tournai, Liber de restauratione Sancti Martini Tornacensis, op. cit., c . 40, p. 292), qui se distinguent parfois malaisément d'attentats perpétrés par vengeance, tel le meurtre de Thierry d'Avesnes vers 1100 (Chronicon Laetiense, c. 6, MGH SS, XIV, pp. 495-496).
15. Guibert De Nogent, De vita sua, III, 5 et III, 7-8, Bourgin, G. éd., Guibert de Nogent. Histoire de sa vie (1053-1124), Paris, 1907, pp. 144–149 Google Scholar et 163-168.
16. Sur la conception de la justice immanente dans les Miracles de sainte Rictrude, cf. la magistrale étude de H. Platelle, « Crime et châtiment… », déjà citée. L'interprétation providentialiste des événements y est à ce point systématique que Galbert, qui ne se rappelle plus du tout les péchés du maire d'Aines, croit pouvoir déduire du seul fait de son assassinat qu'il avait déplu à sainte Rictrude: Galbert De Marchiennes, Miracula, op. cit., c. 61, p. 138.
17. Lambert D'Ardres, op. cit., c. 134, p. 629.
18. « Ille vero, ut erat in terra, ut iam diximus, avarus et cupidus et in subiectos truculentus et tirannus, putans et sperans de rustico, qui tamen nullus erat, magnant se adepturam pecuniam, cum solo proditore solus, ne forte percipiatur a rustico, in Fulberti nemus digreditur. » : Ibid., c. 135.
19. Gesta Nicholaï, op. cit., c. 10, str. 102-103, p. 232; c. 11, str. 125-127, p. 233; c. 13, str. 154-155, p. 234.
20. Ibid., c. 14, str. 158-159 (Eccl. 27,26) et str. 164-166, p. 234.
21. Lettre de l'abbé Geoffroy à l'évêque de Préneste, PL, 157, col. 58-59.
22. « Plebs igitur tota crédit, / quae peccata eius novit, / matri placuisse Dei / quod sic tirannus obiit; Per quant ipse iuraverat / et obsidem se dederat / quod tutus de perpétua /presul foret fide sua »: Gesta Nicholaï, op. cit., c. 15, str. 173-174, p. 235.
23. Galbert De Marchiennes, Miracula, op. cit., p. 134.
24. Hugues De Poitiers, Chronicon Vizeliacense, op. cit., p. 433.
25. Galbert De Bruges, op. cit., c. 15, p. 25.
26. Ibid.,c. 11, pp. 18-19.
27. André De Marchiennes, Miracula, op. cit., ce. 26-27, pp. 104-105.
28. Guibert De Nogent, op. cit., III, 6, pp. 149 sq. ; Ibid., III, 10, pp. 175-177 ; Galbert De Bruges, op. cit., c. 76, p. 120.
29. Pour en venir à comparer le meurtre de Charles le Bon et la passion du Christ, Gauthier de Therouanne apostrophe ainsi les assassins : « Quem, quare, quando et quomodo occidistis ? Certe dominum vestrum, certe pro suajusticia, certe in quadragesima, certe in ecclesia, et hoc certe sine aliqua reverentia »: c. 26, MGH SS, XII, p . 549.
30. Les indications de blessures honteuses ou indicibles (Lambert De Wattrelos, op. cit., A” 1099, p. 510; Gesta Nicholaï, op. cit., c. 15, str. 172, p. 234) renvoient sans doute à un symbolisme trop scandaleux, du point de vue de l'auteur, pour être plus précisément décrit.
31. Galbert De Bruges, op. cit., c. 15, p. 25; Gauthier De Therouanne, op. cit., c. 25, p. 549 ; Guibert De Nogent, op. cit., III, 8, p. 168 ; Lambert D'Ardres, op. cit., c. 135, p. 649.
32. Galbert De Bruges, op. cit., c. 90, p. 135.
33. Boyer, R., Yggdrasill. La religion des anciens Scandinaves, Paris, 1981, pp. 154 ss.Google Scholar
34. Ibid., pp. 106-108.
35. Texte cité ci-dessus, n. 22.
36. Galbert De Marchiennes, Miracula, op. cit., c. 45, p . 134.
37. C'est évidemment aux diverses figures de la Terre-Mère que l'on songe ici : la Nerthus des Germains, la triade Njôrdr-Freyr-Freya des Scandinaves, souvent devenues « Diane » dans le folklore, et auxquelles le christianisme a fréquemment substitué la Vierge. En Scandinavie, les divinités telluriques de la fécondité sont garantes des serments (R. Boyer, op. cit., p . 157) et c'est à « Diane », « pour une année féconde », qu'est voué le régicide sacrificiel (R. Boyer, op. cit., p. 183 ; R. L. M. Derolez, Les dieux et la religion des Germains, Paris, 1962, pp. 193 ss.). Il peutêtre utile de se souvenir qu'en 1133 encore, une soudaine résurgence d'un culte païen, qui ressemble trait pour trait à celui de Nerthus, a profondément perturbé la vie religieuse et la vie politique de la Campine : Gesta abbatum Trudonensium, XII, 11-14, MGH SS, X, pp. 309-311. Sur les survivances du culte de « Diane » en Ardenne : M. S. Bouchât-dupont, dans Bouchâtdupont, M. S., Frijhof, W., Muchembled, R., Prophètes et sorciers dans les Pays-Bas, XVIe-XVIIIe siècles, Paris, 1978, pp. 58 ss.Google Scholar
38. « Continet hac fossa Gualteri principis ossa / quem Cameracensis orantem percussit ensis » : Annales Elnonenses, MGH SS, V, p. 12.
39. André De Marchiennes, Miracula, op. cit., c. 27, p. 105.
40. Galbert De Bruges, op. cit., ce. 56, 81, 84, pp. 52-53, 125-126, 127-129; Lambert D'Ardres, op. cit., c. 136, p. 630.
41. Gesta Nicholaî, op. cit., c. 18, str. 219, p. 236.
42. Dans le domaine de l'histoire et de l'anthropologie juridiques, l'ouvrage de référence est désormais : Verdier, R., Poly, J.-P., Courtois, G. éds., La vengeance, 4 tomes, Paris, 1980-1984.Google Scholar Il est significatif que le Moyen Age n'y soit représenté que par une contribution relative à la théologie de la vengeance: Davy, M.-M., «Le thème de la vengeance au Moyen Age», ibid., IV, pp. 125–135.Google Scholar
43. Cf. K. Kroeschell, «Recht und Rechtsbegriff im 12. Jahrhundert », Problème des 12. Jahrhunderts, XII, 1965-1967, pp. 309-335 ; O. Guillot, « Consuetudines, consuetudo : quelques remarques sur l'apparition de ces termes dans les sources françaises des premiers temps capétiens (à l'exception du Midi) », Mémoires de la Société d'Histoire du Droit des pays bourguignons, comtois et romans, 40, 1983, pp. 21-47 ; J. Hilaire, « Éternel problème et nouvelles données : la diversité coutumière et les libertés », Recueil des Mémoires et Travaux publiés par la Société d'Histoire du Droit et des Institutions des anciens Pays de Droit Écrit, 14, 1988, pp. 189-195.
44. En ce sens, encore une fois, les remarques capitales de H. Platelle, op. cit.
45. R. Jacob, « Sur la formation des justices villageoises au xne siècle dans la France du Nord », Les structures du pouvoir dans les communautés rurales en Belgique et dans les pays limitrophes (XIÏ'-XIX’ siècle) (Actes du 13e Colloque international d'Histoire du Crédit communal), Bruxelles, 1988, pp. 97-117.